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Sophie Marinopoulos: «Arrêtons de fragiliser nos enfants!»

Sophie Marinopoulos: «Arrêtons de fragiliser nos enfants!»

Pour Sophie Marinopoulos, il est indispensable de laisser l'enfant en mouvement pour qu'il puisse apprendre.

© UNSPLASH/ANNIE SPRATT

Spécialisée dans les questions de l’enfance et de la famille, la psychologue et psychanalyste française Sophie Marinopoulos se consacre depuis quarante ans à écouter parents et enfants pour les accompagner dans les défis de la vie. Mieux, elle se met littéralement à table avec eux pour nourrir les échanges, convaincue que c’est en se parlant qu’on fait avancer les choses et que les liens se tissent.

Forte de ce principe, elle fondait en 1999 l'association PPSP (Prévention promotion santé psychique) «Les pâtes au beurre» à Nantes pour accueillir les familles en souffrance. Un concept efficient qui devrait d’ailleurs bientôt essaimer du côté de Genève. À l’occasion de la sortie de son nouveau livre Ce que les enfants nous enseignent (Éd. Les Liens qui Libèrent), elle partage son expérience et son regard optimiste sur cette enfance qu’elle chérit et qui a tant à nous apprendre pour enrichir notre société.

FEMINA Quelles sont les qualités propres à l’enfance que l’on perd en devenant adulte et qu’il faudrait selon vous se réapproprier?
Sophie Marinopoulos Dans mon ouvrage, j’ai voulu mettre en avant les fondations de nos constructions psychiques sur lesquelles les enfants s’appuient pour grandir et qui finalement sont un enseignement à part entière.

Lorsqu’un enfant naît, il écoute le monde et son environnement par tout son corps sensoriel. Il a une habileté et une appétence à communiquer avec ce qui l’entoure.

Il chérit vraiment l’altérité, ce qui est essentiel car nous avons besoin d’entrer en relation aux autres pour exister. De fait, l’altérité fait naître la responsabilité les un-e-s des autres. Or, en grandissant, nous perdons cette capacité sensorielle d’approche du monde, cette appétence à l’autre, ce courage de l’inconnu.

Vous commencez d’ailleurs votre livre avec un exemple concret, celui des enfants retrouvés vivants après un mois dans la jungle colombienne en juin 2023. Pourquoi?
Le premier chapitre repose en effet sur cette affaire qui a stupéfié le monde entier: celle des quatre enfants perdus dans la jungle en Colombie retrouvés vivants et qu’on a considérés comme miraculés. Les Amérindien-ne-s se sont opposé-e-s à ce terme de miraculés, en expliquant que si ces enfants avaient survécu c’étaient justement parce qu’ils connaissent leur environnement: ils savent écouter la dimension culturelle de ce que racontent les arbres, ils savent que les rivières communiquent, ils savent lire les traces dans la forêt.

C’est à partir de la réflexion de ce peuple amérindien que je me suis dit qu’il fallait parler de qui nous sommes, des besoins que nous avons et de comment on étrique l’appétence, les connaissances et les aptitudes premières de nos enfants en privilégiant un sens qui est la vue.

C’est-à-dire?
On privilégie la vue dès la toute petite enfance dans nos crèches: on va montrer à l’enfant, on va lui demander de s’asseoir et de nous écouter.

Ça fait partie des enseignements dont je parle: un enfant ne peut comprendre le monde et vivre son environnement que dans le mouvement, car c’est le corps en mouvement qui fait naître la pensée.

La petite ou le petit va s’éveiller au monde par ses sens, et par ses sens il va commencer à délibérer. La délibération est l’action première d’un-e citoyen-ne inscrit-e dans une démocratie. Nos bébés sont des citoyens à part entière qui sont dans l’expérience pour pouvoir prendre soin de notre espèce et du monde qui l’entoure. En privant les enfants de mouvement, on les fragilise.

Dans nos sociétés urbaines, est-ce que ce n’est pas aussi une manière de les protéger?
On ne fragilise pas consciemment nos enfants mais en entrant dans une ère de la vitesse nous laissons la cadence prendre le pas sur les rythmes humains. Cela a des répercussions sur nos constructions relationnelles et donc psychiques qui sont bricolées. De ce fait, on est toujours un peu en déséquilibre dans nos fondations. Nous vivons alors sous tension, dans l'appréhension, et devenons vite craintif-ve-s. La peur se met à dominer nos vies avec cette crainte toujours vive de ne pas maîtriser les mouvements de nos vécus.

Ces peurs deviennent des angoisses et on transforme tout ce qui est mouvement de l’enfance en peur qu’il lui arrive quelque chose.

La peur colore notre relation à l’enfant au point que nous rétrécissons leur champ d'expériences, leur horizon.

Vous parlez en effet de l'obstruction de leur horizon, provoquée par nos peurs…
Quand on se promène avec lui et qu’on lui dit «regarde où tu mets les pieds» au lieu de «regarde ce que la forêt, les nuages ou les rivières ont à te dire», c’est une manière déjà de lui signifier de ne pas se projeter trop loin. Cela a des incidences sur sa construction interne. Car ce sont les expériences répétées et accompagnées par les adultes qui les nourrissent psychiquement. À force de laisser libre court à nos peurs, on en arrive à avoir peur de nous-mêmes et des autres.

On n’a plus cette sécurité interne qui est basée sur la confiance en soi et la confiance en l’autre.

Quand on perd cette sécurité interne qui est une pépite psychique, on vit dans la méfiance et la défiance et on va faire appel à des systèmes sécuritaires. On voit d’ailleurs comment lentement au fil des décennies on donne à la technique le soin de prendre soin de nous au lieu de prendre soin de nous entre nous. C’est une crise relationnelle qui m’inquiète beaucoup plus que la crise écologique.

Pourquoi cela vous préoccupe-t-il autant?
Parce que nous ne considérons plus notre vulnérabilité comme première ce qui a des effets sur nos vies relationnelles, sur nos liens aussi avec notre environnement. Nous nous sommes lancés dans l'effacement de notre vulnérabilité au profit d'une course à la compétence, à l’efficacité et cela abîme nos vies. À tel point qu’on se perd de vue, qu’on ne prend plus appui les uns sur les autres, ce qui installe une réelle et profonde crise relationnelle.

Comme on se méconnaît, on se craint et c’est cette crainte qui nous conduit à une violence qui surgit très vite dans nos relations. J’ai quarante ans de carrière professionnelle, et ce qui me préoccupe énormément, c’est que ce changement dans nos modes de vie est venu très vite.

Je pense qu’il n’y avait pas autant d’accélération précédemment au niveau des liens humains dans la question de la santé relationnelle, de nos liens, et donc de notre santé mentale. Cela a pris une place telle que je dis souvent que nous allons mourir de nous entretuer bien avant que la crise climatique ait notre peau.

C’est cette évidence qui me conduit à dire que pour prendre soin de notre société et de notre habitat la terre nous devons reconsidérer qui nous sommes c'est-à-dire nous rappeler que nous sommes des êtres de relations.

D’où l’importance de votre appel optimiste à écouter les enfants pour ce qu’ils nous apprennent, afin de faire face aux crises multiples qui nous attendent?
Oui, c’est essentiel. On a voulu tellement rationaliser le monde qu’on a fait perdre à l’enfance ses potentiels premiers qui sont la créativité, l’imaginaire, l’émerveillement, la sensibilité. On a totalement mis ces dimensions-là en arrière-plan considérant que ce n’est pas utile. Or ce qui nous rend humain, ce qui nous permet de construire une société de qualité, d’entraide, qui prend en compte les défis de la vie, c’est une société qui prend appui sur cette dimension-là.

Je ne parle pas de réinventer une éducation, car elle existe, mais de lui redonner ses lettres de noblesse pour construire une société civilisée qui va relever les défis du XXIe siècle.

Je suis optimiste car je travaille avec les enfants et j’ai sous les yeux leur courage, leur générosité et leur capacité à prendre en compte un autre que soi. Ça me donne de l’espoir.

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