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Interview

Ovidie: «Un jour, j’ai arrêté le sexe avec les hommes»

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«Le dégoût, d'abord ponctuel, a pris place insidieusement, jusqu'à m'envahir complètement. Comme un épuisement psychique, un burn out, une impossibilité de faire un pas de plus, de rouler un kilomètre supplémentaire sur cette longue route de la perte de sens. […]» - Ovidie, dans le prologue de son livre La chair est triste hélas (Éd. Julliard, collection Fauteuse de trouble).

© CHARLOTTE KREBS

À 42 ans, Ovidie a déjà eu plusieurs vies: réalisatrice de films X, dont elle fut d’abord actrice à la fin des années nonante lorsqu’elle était étudiante en philosophie, autrice de documentaire sur la sexualité, figure du féminisme, aussi. Avec en fil rouge un rapport complexe au sexe et à l’amour qu’elle explore aujourd’hui dans un livre, La chair est triste hélas édité par Vanessa Springora chez Julliard (collection Fauteuse de trouble). Elle nous raconte pourquoi elle est «sortie de la sexualité».

FEMINA Vous vous définissez comme grèviste du sexe et non comme abstinente, quelle est la nuance?
Ovidie Je ne suis pas abstinente dans la mesure où quand on s’abstient, on s’abstient de faire quelque chose qu’on a envie de faire, mû par une volonté morale ou politique. On décide d’arrêter pour que ça puisse correspondre à ses convictions. Ce qui n’a pas été mon cas. Je ne suis pas dans la rédemption.

Je ne suis pas dans une quête puriste de ce que devrait être la parfaite féministe. Je préfère aujourd’hui me définir comme gréviste dans la mesure où je me mets à l’arrêt en attendant que ça change.

Est-ce qu’il y a eu un préavis à cette grève?
Non, et il n’y a pas eu non plus de premier jour de grève pensé comme tel. C’est quelque chose qui s’est installé dans la durée.

Un jour, je me suis rendu compte que ça faisait six mois, puis un an que je n’avais plus de relations sexuelles. C’est là que j’ai réalisé que ce que je vivais au niveau individuel était presque quelque chose de collectif.

Il y avait d’autres femmes de mon âge (ndlr: Ovidie avait 38 ans au début de sa grève), soit plus jeunes, soit plus âgées, qui étaient aussi en pause de sexe. Elles préféraient ne rien faire que de faire des choses dont elles n’avaient plus envie.

Et ce n’est pas juste arrêter d’avoir des rapports sexuels avec des hommes dont il s’agit, car arrêter l’hétérosexualité, c’est aussi arrêter de participer à l’ensemble d’un jeu, d’un système.

C’est-à-dire?
Il y a eu chez moi un rejet progressif de tout ce que l’hétérosexualité représentait. Pas l’acte sexuel en lui-même - acte que je trouve actuellement dispensable dans ma vie - mais tout ce qui va avec. Le fait qu’être une femme dans la société c’est consacrer un temps infini au fait de devenir attirante, baisable, séduisante. Toute notre vie est tournée vers ça, qu’on ait des rapports sexuels ou non.

Jusqu’à provoquer chez vous un état d’écoeurement vis-à-vis de l'hétérosexualité?
Ce qui m’a définitivement écoeurée au fil du temps, c’est tout cet entretien: des heures passées à faire du cardio à jeûn, l’argent dépensé dans les vêtements, le maquillage, la lingerie, dans des crèmes qui ne servent à rien ou les épilations de la raie du cul.

Progressivement, j’ai commencé à me dire que je n’avais pas envie de me contraindre à faire tout ça juste pour se revaloriser à travers le regard masculin.

Il faut qu’on soit la Schtroumpfette suprême vers qui tous les regards sont posés, que tout le monde admire et désire. Ce qui implique aussi une compétition intrasexuelle et je n’ai pas envie de me comparer aux autres femmes. C’est tout un ensemble qui me semblait insupportable. L’arrêt du sexe est un point de départ.

Ce choix a-t-il eu un impact sur votre vie sociale?
Le fait d’arrêter les rapports sexuels m’a poussée à revoir intégralement toutes mes relations sociales. J’ai constaté qu’il y avait énormément de choses dans notre environnement culturel et médiatique qui ne me concernaient plus, comme par exemple des publicités ou des séries qui ne s’adressent plus à moi. J’ai aussi constaté que les interactions au travail ou avec des inconnus étaient chargées de sexualité sans qu’on s’en rende compte, qu’il y avait un jeu de séduction permanent.

Et une forme de marginalisation également?
J’ai la sensation que quand on est une femme et qu’on est encore considérée par la société comme étant en âge d’avoir des relations sexuelles, on devient une anomalie sociale si on s’extrait de ce jeu-là.

Notre fonction première en tant que femme, ce n’est pas d’être mère ou de réussir professionnellement. Notre mission dans la société c’est d’être potentiellement désirée et désirable.

C’est le premier capital qu’on attend d’une femme. Je n’ai pas envie d’être jugée par rapport à ça.

Est-ce que c’est aussi le fait d’avoir été «mal baisée» qui vous a poussée à arrêter?
Bien sûr qu’on est très nombreuses à être mal baisées, et je n’ai pas honte de le dire.

«Mal baisée» c’est une insulte, mais la vraie question, c’est: mal baisée par qui? Par les hommes.

Souvent les femmes n’ont pas de rapports sexuels dans le but d’avoir du plaisir mais dans le but de faire plaisir et d’être valorisée. Elles n’attendent pas un orgasme. Les chiffres le prouvent d’ailleurs, les femmes hétérosexuelles sont celles qui sont le moins bien baisées.

Une grève, en général, ça se termine un jour…
Ce n’est pas un projet de vie cette grève, je ne sais pas combien de temps ça va durer. Ce que je constate, c’est que je n’ai jamais été aussi productive que ces quatre dernières années. Une fois affranchie de la question sexuelle et amoureuse, je me suis retrouvée avec énormément de temps à consacrer à moi-même: j’ai soutenu ma thèse, j’ai publié plusieurs livres, j’ai fait plusieurs documentaires, j’ai fait la série Des gens bien ordinaires (ndlr: disponible sur MyCanal).

Tout ce temps qui était consacré à mon apparence a été investi dans autre chose, pareil pour le temps infini qu’on consacre à la relation et à la conjugalité. Je m’en suis libérée.

Raconter cette libération dans ce texte très personnel a-t-il été pour vous un exutoire?
Oui en quelque sorte. Je suis tombée sur la tête l’été dernier, ce qui a eu quelques répercussions sur ma santé. J’avais du mal à finir mes phrases notamment. Ma posture de défense habituelle, tout à coup s’est assouplie et c’est comme si on avait ouvert toutes les vannes.

En mode écriture automatique, j’ai balancé tout ce que j’avais sur le coeur. Ce n’est ni un manifeste, ni un essai. Encore moins un projet de société ou une leçon de féminisme.

J’aimerais qu’on le prenne pour ce qu’il est, un texte. À travers cette tranche de vie, je raconte ce que vivent beaucoup de femmes. Sans pour autant être anti-hommes. Juste, je ne veux pas coucher avec.

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