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- «On se fait un resto?»
- «Impossible, je suis déjà prise… Ce soir, je dîne chez des inconnus!»

L’idée peut paraître saugrenue, elle est surtout très tendance. Tour à tour estampillé du vocable «food surfing», «social dining», «surf dining» ou encore «eat surfing», le concept reste le même: partager un repas convivial avec de parfaits étrangers, chez eux ou chez vous, selon les occasions, les préférences, mais aussi, évidemment, les talents de chacun.

Après la mode du «couch surfing», largement popularisé par l’émission «J’irai dormir chez vous», voilà que ces repas chez l’habitant d’un nouveau genre prolifèrent grâce à la magie d’internet. Bien que le phénomène soit très récent – une poignée d’années au plus pour le monde anglo-saxon – de multiples sites francophones (vizeat.com, surfingdinner.com, voulezvousdiner.com… ) ont décidé de sauter dans la marmite et proposent aujourd’hui, chacun à sa sauce, de faire le lien entre amateurs de nouvelles saveurs et chefs d’un jour.

Goûter au concept

Outre-Atlantique, le site EatWith, créé en 2012, recense déjà des milliers d’hôtes ainsi que des dizaines de milliers de convives répartis dans une trentaine de pays. Vizeat, le leader français, vient de passer le cap du 10 000e hôte après seulement dix-huit mois d’existence. Tantôt spécifiquement dédiées aux touristes, aux habitants d’une même ville ou aux businessmen et women en déplacement, ces plates-formes se mettent peu à peu en place sur le territoire suisse. Du côté romand, un site spécifique, basé à Lausanne, a notamment été créé: surfingdinner.com. En une année, une petite septantaine d’hôtes s’y sont déjà inscrits.

Le «social dining» a donc le vent en poupe, mais dans les faits, comment ça se passe? Une inscription en ligne suffit pour pouvoir ensuite dénicher un repas dans sa région, ou proposer directement une invitation chez soi, en indiquant la date, le lieu, le nombre de convives possible, le prix et, parfois, le menu intégral. L’enjeu n’est pas uniquement gastronomique (ou économique), mais bien relationnel: aller à la rencontre de nouvelles têtes et savourer, le temps d’une soirée, un moment d’échange avec des personnalités aussi bigarrées qu’imprévisibles. Car là est la raison d’un tel succès: «Ces dîners offrent réellement des rencontres improbables», souligne Guillaume Tranchard, responsable commercial de voulezvousdiner.com. «A ma dernière table, il y avait deux Californiens, une New-Yorkaise, deux Toulousaines et trois Parisiens. L’échange générationnel et culturel est forcément au rendez-vous.» La Lausannoise Alicia, inscrite sur surfingdinner.com, le confirme: «Comme le dîner se fait avec des inconnus, cela donne un côté «surprise» à la soirée, aussi intrigant qu’excitant.»

Le sociologue Olivier Glassey, du Laboratoire de cultures et humanités digitales de l’Université de Lausanne, opte pour la même analyse: «Les individus sont aujourd’hui profondément en quête d’expériences originales. Or ce concept de «dîners» apparaît comme une promesse d’originalité: on se retrouve dans un lieu que l’on ne connaît pas, on ignore tout de qui seront les autres participants et on s’apprête à déguster des spécialités culinaires que l’on ne retrouvera nulle part ailleurs. Il y a là trois encouragements à penser vivre quelque chose hors du commun.»

Pour Gregory Mantzouranis, docteur en psychologie au CHUV qui s’est longtemps intéressé aux interactions virtuelles, le phénomène du «social dining» ne serait pas fondamentalement nouveau: «L’organisation de banquets rassemblant des personnes d’origines diverses à des fins de socialisation remonte au moins à l’Antiquité. A mon sens, il ne s’agit que d’un renouveau de cet usage qui s’actualise au travers des nouvelles technologies de communication.»

Croquer la «vraie» vie

Ce qui frappe l’observateur lambda, c’est cependant cette volonté toujours plus présente de se servir des possibilités d’internet et des réseaux sociaux pour réintégrer la vraie vie, et non plus se cacher derrière des avatars virtuels. «Il y a en effet eu un moment de fascination par rapport à ce que l’on appelait le web social et ce qui allait désormais se jouer en termes de lien social, atteste Olivier Glassey. On a longtemps envisagé les technologies de l’information comme ouverture vers une communication globale. Or on découvre aujourd’hui de plus en plus à quel point ces technologies peuvent être puissantes ici et maintenant.» Ainsi, désormais, si l’on peut toujours échanger avec des inconnus vivant à l’autre bout de la planète, internet et les réseaux sociaux sont davantage utilisés pour dialoguer avec des gens que l’on connaît déjà. Un constat partagé par Gregory Mantzouranis: «L’ère des amis uniquement virtuels a touché à sa fin. A l’heure actuelle, les cercles sociaux «réels» et «virtuels» semblent constitués quasiment des mêmes personnes.»

Quant aux prises de contact qui passent d’abord par le virtuel, elles tendent à arriver rapidement à l’étape rencontre en chair et en os. Ce que concrétise précisément le «surf dining». «Le but premier est de recréer du lien, affirme ainsi Camille Rumani, cofondatrice de la plate-forme Vizeat. Autant les invités que les hôtes ont cette envie d’aller à la rencontre de l’autre. C’est une façon de remettre internet à sa place, soit non pas nous amener à vivre dans le virtuel, mais à faire des rencontres dans la vraie vie. Quant au repas, c’est le moment convivial par excellence.»

Selon le sociologue Olivier Glassey, se retrouver au même endroit au même moment est aussi une manière de valider un lien, de lui donner une signification: «Partager une soirée est perçu comme un gage d’authenticité. On a l’impression de vivre une vraie rencontre, par opposition aux relations virtuelles dont on ne connaît jamais vraiment le statut…»

Sociabiliser autrement

Laisser entrer chez soi de vulgaires inconnus n’a cependant pas toujours été une évidence. Il y a vingt ou trente ans, se retrouver autour d’une table, chez et avec des gens que l’on ne connaissait pas, aurait paru plus que bizarre: «C’est contraire à tous les codes de l’étiquette sociale, confirme le sociologue. Mais voilà, grâce à internet, nous avons appris à dialoguer et à discuter avec des gens que nous ne connaissions pas. Ces pratiques numériques ont certainement facilité l’ouverture actuelle et permis des formes de sociabilité que l’on n’envisageait pas forcément auparavant.»

Internet nous aurait-il rendus plus sociables? Certaines études récentes portent à le croire, notamment celle menée sur une population d’adolescents par le Dr Gregory Mantzouranis. «Il semble que les rares personnes qui n’utilisent pas internet à des fins de communication avec autrui ont de moins bonnes compétences sociales et moins d’amis», résume-t-il. Au cours de ses travaux, il a ainsi constaté que plus les jeunes utilisaient des moyens de communication online (en particulier les sites de réseautage social tels que Facebook, par exemple), plus leurs compétences sociales (sociabilité, identification des émotions d’autrui, dévoilement de soi, etc.) étaient développées. Voilà qui devrait rassurer celles et ceux qui, avec l’avènement du virtuel, s’inquiétaient de voir advenir une génération antisociale et presque autiste!


©Getty Images/Image Source

Optimisez vos repas, réseautez!

Variation sur le même thème, mybusymeal.com propose du «social dining» dans le but très avoué de nouer de nouvelles relations professionnelles. Explications avec Fabien Carraro, l’un de ses cofondateurs.

A qui s’adresse MyBusyMeal?
A toutes les personnes qui ont envie de réseauter de façon plus humaine. Aujourd’hui, la plupart d’entre nous avons un compte LinkedIn, mais peu seraient réellement capables d’activer ses liens pour changer de job ou lancer une société. Ce type de réseau reste souvent purement virtuel: nous y collectionnons des contacts plutôt que des rencontres réelles. Notre objectif est donc de dire à nos membres: prenez le temps de constituer un vrai cercle autour de vous, qui vous permettra, demain, de passer un coup de fil.

Le côté utilitaire n’est-il pas antinomique avec la convivialité? L’utilisateur ne cherche-t-il pas uniquement à se connecter à des profils «intéressants»?
Si certains repas ont une thématique, on ne sait jamais qui s’y rendra. Donc, on ne peut rien calculer. Et comme partout des affinités immédiates surgiront, ou non, et seules certaines rencontres se poursuivront au-delà du repas.

La mise en relation entre des profils très différents peut-elle vraiment se révéler profitable professionnellement?
Oui, aujourd’hui, ça l’est. Nos membres se disent souvent surpris des connexions qui peuvent apparaître au détour d’une discussion. Soudain, ils se rendent compte qu’ils ont des affinités qu’ils n’auraient jamais pu détecter sur un simple CV, par exemple.

Ces repas n’attirent-ils pas essentiellement des demandeurs d’emploi?
Pour être franc, au départ, ça a été l’une de nos peurs. Mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’il a intérêt à réseauter: dans notre monde, on ne sait jamais de quoi l’avenir sera fait. Peut-être aurons-nous besoin un jour de connaître un avocat d’affaires, un expert-comptable ou un assureur… Qui sait? Un vrai réseau, cela se construit sur la durée, et bien mieux quand on n’est pas dans une demande immédiate.

L’attractivité de votre site ne dépend-elle pas cependant de l’attractivité de ses membres?
Nous ne cherchons pas à être un site élitiste. Au contraire, on va plutôt chercher à aider les gens qui ont un peu peur de se lancer. Un startuper de 20 ans aura peut-être de la difficulté à prendre contact avec un avocat. Or, dans un environnement plus convivial, les gens osent davantage s’ouvrir et évoquer leurs projets. Chacun a ses compétences, son histoire… C’est là toute la richesse de ces rencontres.

A chaque plate-forme sa formule…

Vizeat.com Lancé en juillet 2014, Vizeat est le site le plus important en territoire francophone. Si, au départ, la plate-forme présente dans 60 pays visait principalement les touristes, ses membres ont joyeusement décliné l’offre première. Aujourd’hui, elle s’adresse tant aux voyageurs qu’aux locaux et multiplie ses «events». Ainsi, jeudi dernier à Paris, des milliers d’hôtes ont reçu simultanément chez eux des membres Airbnb venus du monde entier.

Voulezvousdiner.com La première start-up du genre entièrement française recense aujourd’hui un peu plus de 12 000 membres, présents dans 23 pays. Le site souhaitait avant tout mettre en lien touristes et locaux, sous le slogan «Visiter autrement»: soit aller au contact rapproché des indigènes ou alors pouvoir voyager… depuis sa salle à manger.

Surfingdinner.com Basé à Lausanne, ce site s’est lancé l’an passé. Son concept phare: le «Dinner Rallye». Prévues tous les trois mois, ces «folles nuits culinaires» proposent de recevoir des invités pour une des trois parties du repas, et d’aller déguster les deux autres chez de nouveaux inconnus. Des formules différentes s’invitent également spontanément et à l’envi sur la plate-forme, tels, ce mois-ci, un atelier tiramisu ou une dégustation de bières. De quoi faire fantasmer nos papilles…

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