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Imaginez la scène deux secondes. Tom Cruise est là, tout près, et il s’adresse à vous. Tom Cruise, ce quinquagénaire dont la silhouette d’Adonis éternel filerait des complexes à toute une salle de fitness, demande à voir vos abdos fissa. Alors? Il y a des chances que vous fassiez comme Rebecca Ferguson, l’actrice qui s’est vu formuler cette demande sur le tournage de «Mission: Impossible 5». Et que vous envoyiez à la star un selfie de votre ventre, préalablement maquillé-trafiqué-retouché par tous les filtres imaginables que peut recéler Instagram…

La Suédoise de 31 ans n’a pas à rougir, question physique de rêve. Pourtant, elle a triché. Juste un petit peu. Et elle a une bonne excuse. Car sur les plates-formes sociales, aujourd’hui, à peu près tout le monde photoshope son corps et sa vie. Une simple balade sur Facebook permet d’ailleurs de se faire une idée du mirage: orgie d’escapades idylliques, portraits flatteurs et sourire correct exigé. A croire que le 1,5 milliard d’utilisateurs inscrits sur le site ne bossent pas, ne dépriment pas, et ont le don de ne jamais apparaître moches sur une seule photo. Il y a un truc, non? «Facebook, c’est un peu le bal masqué, claironne Yann Leroux, psychologue et membre de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, en France. Tout le monde semble s’éclater et rayonner de bonheur, mais c’est d’abord une mise en scène visant à se présenter de manière positive.» Bienvenue au théâtre!

De l’art d’être un best-of

Les arrangements avec la réalité, un phénomène qui serait même en pleine croissance sur le web, comme le révèlent plusieurs enquêtes. En 2012, un internaute sur quatre avouait mentir sur les réseaux sociaux, selon une étude du magazine américain «Consumer Reports». Fin 2014, la proportion de ces faussaires du réel était désormais de deux tiers, à en croire un rapport du site pencourage.com. De quoi nous faire soudain scruter notre écran avec un œil suspicieux.

Bien sûr, la plupart de ces petits mensonges entre amis ne font pas dans le registre complot international. A l’ère 2.0, le bobard l’est surtout par omission. On sélectionne le meilleur de notre quotidien en occultant le reste, en espérant que les autres résument notre existence à des instants forts, jalousés. «Ma meilleure amie est partie en Thaïlande avec son copain, témoigne Mélissa. Elle m’envoyait des messages disant à quel point elle s’ennuyait ferme et envisageait de mettre un terme à son couple. Mais l’album photo posté sur son profil, qui les montrait en train de s’embrasser et de prendre du bon temps, donnait l’impression que ce voyage avait été un rêve sur toute la ligne…»

Et quand nous ne dissimulons pas des pans encombrants de la vérité sous le tapis, nous bluffons. Liker un article que nous n’avons pas lu pour paraître informé, exagérer les sentiments vécus devant un coucher de soleil pour louer notre fibre poétique, ôter quelques kilos au poids que nous affichons sur un site de rencontre… D’autres s’avèrent encore plus experts dans l’auto-mise en scène: «Il m’arrive de feuilletonner le récit d’un week-end en postant des photos au compte-gouttes sur mon profil, confie Sybille, 25 ans. Cela fait un peu penser que le voyage s’est étalé sur plusieurs semaines.»

Reste que cette surenchère graphique et émotionnelle est à replacer dans son contexte. Celui d’une époque de plus en plus compétitive, où il est nécessaire de savoir se vendre et d’attirer l’attention, comme le note Patrick Amey, sociologue spécialisé dans la communication et les médias à l’Université de Genève: «Le plus important ici est de recevoir une reconnaissance, dans une société où son obtention, avec la forte concurrence qui y règne, devient de plus en plus difficile.» Conséquence: les sites sociaux ont perdu leur légèreté du début pour devenir des Mecques du «personal branding».

Dans cette course à la popularité et au regard envieux, c’est évidemment la spontanéité qui souffre. «Au début des réseaux sociaux, on ne maîtrisait pas du tout les règles, on pouvait mettre des photos qui n’étaient pas valorisantes, analysait récemment la blogueuse Titiou Lecoq lors d’une interview donnée au magazine «Les Inrockuptibles». Maintenant, il y a des codes esthétiques, on ne voit passer que de très jolies photos. Le côté brut, avec Instagram et ses filtres, notamment, a disparu.»

Des internautes dopés

Les fils d’actualité ressemblent alors à un catwalk haute couture de données personnelles, les internautes faisant office d’Anna Wintour en puissance évaluant ce qui défile. «Ce «storytelling» de notre propre vie est certes une biographie, mais celle-ci est notée en direct par les autres selon une sorte d’applaudimètre, constate Gianni Haver, sociologue de l’image à l’Université de Lausanne (UNIL). On est donc tenté de rajouter une part fictionnelle, idéalisée, pour sortir du lot. D’autant plus facile que le web a démultiplié les possibilités d’être vu.» Booster sa personne online afin d’augmenter ses performances sociales? Le dopage, ça existe aussi sur les comptes de réseaux sociaux…

Un concours où chacun, en outre, choisit sa discipline reine, éclaire une étude américaine de 2013. Chez les hommes, la triche vise à faire paraître plus intelligent et cool. Côté femmes, l’exagération concerne volontiers les selfies, histoire de rendre les représentations de soi flatteuses. Est-ce que toute cette chirurgie numérique fait du bien? Pas sûr. Des enquêtes montrent que face à cet étalage de perfection les internautes se sentent finalement frustrés de leur propre vie.

Mais il faut peut-être chercher au-delà de l’alibi narcissique pour comprendre toute l’ampleur du phénomène. Et si, au fond, c’était une manière d’explorer les frontières de notre identité? «Ces arrangements cosmétiques s’inscrivent dans un discours sur ce que l’on aimerait être, plus que sur ce que l’on est, décortique Olivier Glassey, sociologue au Laboratoire de cultures et humanités digitales de l’UNIL. Pour une majorité d’utilisateurs, la tricherie joue sur une certaine plasticité entre leur identité et celle qu’ils rêvent d’avoir. Bref, ils se racontent à eux-mêmes une histoire avant de mentir aux autres.»

Si l’être humain possède cette faculté naturelle à fabuler, à s’imaginer différemment, internet, par son potentiel, favorise ces excursions hors de son être réel, confirme Gianni Haver: «Avant l’apogée des grandes plates-formes sociales, il y avait «Second Life ou World of Warcraft», qui permettaient d’être à peu près n’importe qui ou quoi. La présence online était souvent synonyme de travestissement de son identité officielle, on se connectait et on devenait un prince ou un elfe de la nuit… Ces pratiques ont probable ment créé un habitus encore palpable aujourd’hui, nous donnant l’impression qu’on peut surfer en s’inventant un personnage.»

Sigmund Freud aurait sûrement adoré ça. «Quand «Second Life» était à son apogée, les études ont montré que le choix des avatars était le plus souvent de sexe opposé au joueur, rappelle la psychiatre et psychanalyste française Vannina Micheli-Rechtman. L’anonymat permettait sans doute d’explorer l’autre côté du miroir… Sauf que ces inventions sont un piège et peuvent rendre dépendant, puisqu’une autre vie peut finir par s’inventer sur le web.» Des exemples extrêmes sont même là pour l’attester. A l’instar de l’affaire Leah Palmer.

Il y a quelques mois encore, cette jeune et jolie professionnelle de la mode réunissait plusieurs dizaines de milliers de followers sur son compte Instagram. Une vie rythmée par les voyages et les rendez-vous mondains, faisant fantasmer nombre d’internautes. L’un d’eux a même commencé une relation amoureuse avec elle, sans avoir pu la rencontrer en vrai. Trop de déplacements, paraît-il… Jusqu’à ce que le masque dégringole: le visage de Leah Palmer existe, mais c’est celui d’une autre, une inconnue britannique dont des centaines d’images ont été volées sur son profil Instagram. Qui écrivait et scénarisait une existence de toutes pièces derrière l’écran? Personne ne le sait.

Un passé approximatif

Vrai profil cette fois, mais même démystification ahurissante pour l’actrice espagnole Anna Allen, dont les photos qu’elle postait suggéraient une carrière trépidante. Invitation aux Oscars, soirées avec la jet-set: tout ou presque était photoshopé. Avec le ridicule au bout du tapis rouge quand tout est révélé. Voire l’amnésie. Selon l’étude réalisée par pencourage.com, les mythomanes 2.0 en viennent à oublier les vrais détails d’un événement, se mettant à croire mordicus à leur propre version enjolivée. Une mémoire entièrement réécrite pour quelques like de plus… Il serait peut-être temps de penser à se reconnecter. A notre vraie identité, s’entend.

Le top 10 des mensonges sur Facebook

Pour être comparé à Albert Einstein ou au top-modèle Gisele Bündchen sur les réseaux sociaux, quelques boniments suffisent. Panorama des plus courants, selon une étude de siteopia.com.

1. Choisir, pour sa photo de profil, une vieille image de soi pour paraître plus jeune.

2. «Aimer» des pages d’écrivains, de réalisateurs et autres artistes pour donner l’impression d’une grande culture générale.

3. Retoucher ses photos avant de les mettre en ligne pour apparaître plus séduisant qu’au naturel.

4. Rédiger un statut ou un tweet en contradiction avec ce que l’on pense réellement.

5. Utiliser l’image d’une autre personne pour sa photo de profil.

6. Ecrire un statut à propos d’une fête à laquelle on a participé en gonflant le côté fun de la soirée.

7. Afficher «en couple» alors qu’on est célibataire.

8. Exagérer ses qualifications et ses responsabilités au travail.

9. Se taguer dans un lieu où l’on n’est jamais allé.

10. Rendre son parcours scolaire plus brillant qu’il ne l’est vraiment.

Quand les faux profils inspirent le cinéma

Qu’est-ce qui pousse une personne lambda à s’inventer une vie incroyable sur internet? A quel point ces existences fictives peuvent-elles avoir des répercussions sur la vraie vie des autres? C’est pour tenter de répondre à ces interrogations, quasi philosophiques, que plusieurs cinéastes ont récemment fait du «fake» 2.0 le personnage principal de leur film. Sorti ce printemps au Canada, «Le profil Amina» de Sophie Deraspe (photo) s’inspire d’une histoire véridique. Nous sommes en 2011, en plein cœur du Printemps arabe. Le web voit émerger le blog d’une jeune femme révoltée contre le régime de Bachar el-Assad. Sur cette page intitulée «A Gay Girl in Damascus», une certaine Amina rédige sa chronique de la vie et de l’amour en temps de guerre. Une Québécoise, Sandra, tombe raide dingue d’elle. S’ensuivent des échanges enfiévrés. Mais l’amante par correspondance se met à douter de l’existence de sa belle, et pour cause: personne ne l’a jamais vue. Le film narre cette enquête qui mènera non pas à une séduisante Syrienne, mais à un résidant écossais.

Ce scénario rappelle celui de «Catfish», sorti en 2010. Egalement basé sur un fait divers authentique, ce long-métrage emmène le New-Yorkais Nev dans un road trip à travers l’Amérique, afin d’aller rencontrer la fille dont il est tombé fou amoureux sur Facebook. Mais la sublime blonde stylée se révèle être une habitante du Midwest nettement moins gâtée par la nature…

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