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L'astrophysicienne Léa Griton-Noël publie «En quête de planètes»

Lea Griton astrophysicienne Photo BARTHELEMY THUMERELLE QUANTO scientifique

«Marie Curie est un modèle intimidant [...] Or, on peut exercer un métier de recherche tout en ayant une vie familiale et sociale riche.» – Léa Griton-Noël

© BARTHELEMY THUMERELLE QUANTO

Elle n'a que 30 ans mais affiche déjà un CV impressionnant. Native de Paris, Léa Griton-Noël est docteure en astrophysique, maîtresse de conférences à l'université de la Sorbonne et chercheuse spécialisée en physique des plasmas dans le système solaire au Lesia, un laboratoire de l’Observatoire de Paris. Elle a en outre reçu la médaille Camille et Gabrielle Flammarion de la société astronomique de France pour ses contributions au magazine L’Astronomie, de la Société astronomique de France, dont elle a été membre du comité de rédaction.

Parcours d'autant plus passionnant qu'elle est encore l'une des rares femmes à avoir trouvé sa place dans le monde de la recherche en astrophysique, le domaine spatial ayant longtemps été monopolisé par les hommes - quitte à y éclipser ou s'approprier les travaux de leurs consœurs! C'est cette exploration d'un univers devenu presque familier, mais aussi cette lente reconnaissance des savantes par leur milieu, que raconte Léa Griton-Noël dans son nouvel ouvrage En quête de planètes (Éd. Quanto, à paraître le 7 septembre 2023). Interview d'une scientifique heureuse qu'on paye pour avoir la tête dans les étoiles.

FEMINA On est en 2023, et l’exploration spatiale, qu’elle se fasse depuis la Terre ou en orbite, semble toujours bien peu féminisée...
Léa Griton-Noël Le milieu de l’exploration spatiale et de la recherche en astrophysique est encore majoritairement masculin, oui. Mais les choses changent, dans la bonne voie. Les agences spatiales commencent à nommer des femmes à des postes de décision. La Nasa compte désormais des femmes responsables de mission, c’est une révolution.

À l’ESA (l’agence spatiale européenne), c’est aujourd’hui Carole Mundell qui dirige le département scientifique et technique.

Pourtant, il y a toujours eu des femmes dans ces métiers, mais elles restaient très peu visibles et n’accédaient pas aux postes à responsabilité dans les hautes sphères. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Comment expliquer cette rareté des femmes dans le domaine spatial?
Arriver à de tels postes ne peut se faire qu’après un parcours long et exigeant, or la place des femmes dans la société et l’éducation qu’elles reçoivent créent des facteurs qui tendent à les freiner ou les détourner de ces voies. Il y a un facteur psychologique:

alors que les hommes vont souvent surestimer leurs capacités et oser postuler pour une fonction qui peut être trop qualifiée pour eux, les femmes, elles, se présentent davantage pour des postes pour lesquels elles sentent avoir toutes les compétences requises.

On constate en outre que nombre d’étudiantes engagées dans ces cursus ne se retrouvent ensuite pas dans la recherche en astrophysique. Jusqu’au doctorat, on compte jusqu’à 34% de femmes dans ces filières, mais lorsqu’on regarde les postes permanents dans la recherche en astrophysique en France, on s’aperçoit qu’on a perdu un tiers de ces personnes.

Pourquoi selon vous?
La sélection est impitoyable car il n’y a pas assez d’ouverture de postes permanents. Les conditions de travail jusqu’à l’obtention de ce statut peuvent décourager. Après le doctorat, il faut généralement cumuler, durant de longues années, plusieurs contrats à l’étranger en CDD avant de trouver un poste fixe, les déménagements sont donc assez fréquents et il est compliqué de gérer tout cela en préservant sa vie privée.

Je pense que beaucoup de jeunes diplômées, juste après la thèse, se rendent vite compte de leur valeur et préfèrent partir dans le privé au lieu de s’engager sur un parcours aussi incertain, elles y trouvent de meilleures rémunérations et conditions de travail. C’est une approche plus réaliste car elles y décrochent souvent un poste en CDI très rapidement. Mais ce sont autant de talents perdus pour la recherche fondamentale.

Et vous, comment avez-vous géré ce parcours complexe jusqu’à obtenir un poste fixe de chercheuse?
J’ai fait des choix parfois difficiles: je ne suis pas partie en postdoc à l’étranger juste après la thèse, et pour cela j’ai dû changer de thématique de recherche, sortir de ma zone de confort. Autre exemple, je voulais devenir maman, mais j’ai préféré attendre d’obtenir un poste permanent de maîtresse de conférences à l’université pour avoir mon bébé. C’est un statut qui offre une certaine liberté dans la gestion de l’emploi du temps, ce qui est très appréciable pour les jeunes parents.

Cela reste difficile car le métier de chercheuse implique de rester au courant de découvertes récentes, de jongler entre différentes tâches, de répondre à des appels d’offre en urgence. Mais je gère au mieux ces multiples casquettes avec l’aide de ma famille, de mes collègues, et surtout parce qu’avec le papa, on se répartit les tâches de façon égalitaire.

Vous disiez que les femmes ont toujours existé dans le domaine de l’astronomie et de l’astrophysique. Connaît-on des pionnières en la matière?
Il y en a eu dès l’Antiquité. Dans la Grèce ancienne, on connaît notamment Hypatie, qui fut une astronome très influente. On sait peu de choses sur elle, mais elle est mentionnée dans certains textes en tant qu’enseignante. Le fait qu’elle ait été lapidée parce qu'elle était une femme de savoir prouve qu’elle occupait une place importante à l’époque, qui devait déranger, même.

Plus proche de nous, on a retrouvé les travaux importants de Nicole-Reine Lepaute, épouse de l’horloger du roi, dont on fête le 300ème anniversaire cette année. Ses compétences de haut vol en calcul lui ont permis de travailler avec l’astronome Jérôme de Lalande. Ensemble, ils ont appliqué une méthode inventée par le mathématicien Clairaut pour calculer la trajectoire d’un objet céleste traversant le Système solaire en prenant en compte l’influence de l’attraction de trois corps: par exemple une comète, le Soleil, ainsi qu’une des deux plus grosses planètes, Jupiter ou Saturne.

Pourquoi est-elle marquante?
C’était révolutionnaire. Grâce à ce travail, les scientifiques français de l’époque ont adopté la loi universelle de la gravitation. En effet, en utilisant cette loi et en ne l’appliquant qu’à la comète et au Soleil seul, Halley prédisait le retour de «sa» comète pour 1758. Or, en prenant en compte l’influence de Jupiter, puis de Saturne, Lepaute et Lalande ont calculé une date bien plus précise, au printemps 1759, et qui s’est confirmée.

S’ils ne l’avaient pas fait, les détracteurs de la gravitation universelle auraient trouvé matière à leurs critiques! Leur travail fut donc un apport important pour l’astronomie, et de tels calculs sont toujours utilisés pour déterminer la trajectoire de comètes, d’astéroïdes ou de sondes spatiales par exemple. Mais aujourd’hui, ils sont réalisés par des ordinateurs, plus par les femmes qu’on appelait les calculatrices.

Mais Lepaute n’occupait pas un poste officiel?
Elle n’a jamais été payée pour ses calculs et elle ne fut même pas mentionnée dans certains travaux ultérieurs sur les comètes. Aujourd’hui, on oublie souvent à quel point, pour les femmes, le chemin des sciences a été ardu! La première astronome professionnelle française, Edmée Chandon, n’a obtenu son poste à l’Observatoire de Paris qu’en 1912! Les choses ont lentement évolué grâce à ces pionnières.

Caroline Herschel, une astronome allemande fut la première femme connue ayant été rémunérée pour ses activités de recherche.

Son frère, qui a découvert la planète Uranus en 1781, a exigé qu’elle reçoive elle aussi une pension car il ne pouvait pas mener ses travaux d’observation sans elle. Sa contribution pour l’astronomie a été très importante et reconnue par ses pairs. Elle a reçu la Médaille d'or de la Royal Astronomical Society et en est devenue membre honoraire en 1835. Mais quand elle a découvert, seule, ses premières comètes, un peu plus de quarante ans plus tôt, c’est son frère qui a lu ses travaux à la Royal Astronomical Society, car elle n’avait pas le droit d’y mettre les pieds!

Vous évoquez également Jocelyn Bell, que vous admiriez plus jeune et que vous avez eu la chance de rencontrer durant vos études.
Oui, c’est une légende. Elle a découvert le tout premier pulsar, un objet astrophysique très important pour comprendre l’histoire de l’Univers, alors qu’elle était étudiante, mais ce sont ses directeurs de thèse qui ont reçu le Nobel à sa place pour cette découverte! Depuis, elle est chercheuse, enseignante, maman… C’est un vrai modèle. Dans mon livre, je présente certaines de ces «role models» qui continuent de m’inspirer aujourd’hui.

C’est important qu’une scientifique véhicule cette image accessible, une femme de tous les jours?
Tout à fait. Lorsqu’on parle de modèles de scientifiques pour les femmes, il est souvent question de Marie Curie, une scientifique exceptionnelle, certes, mais entièrement dévouée à son travail au point de ne presque pas avoir de vie en dehors de son labo. Le risque est alors de donner l’impression que la seule manière de faire de la science pour les femmes est de tout sacrifier et d’avoir au moins deux prix Nobel.

C’est un modèle intimidant qui propose une image trop haute, presque inatteignable pour la plupart des femmes comme des hommes d’ailleurs. Or, on peut exercer un métier de recherche tout en ayant une vie familiale et sociale riche. De l’autre côté, les hommes ont beaucoup plus de modèles, plus diversifiés. A vrai dire, il y en a partout, et cela débute dès l’apprentissage des sciences, puisque même les théorèmes mathématiques portent des noms d’hommes.

La NASA a promis que le prochain être humain à fouler le sol lunaire sera une femme. C’est un effet d’annonce ou une vraie avancée selon vous?

Astronaute est l’un des métiers qui fait le plus rêver les enfants, en particulier les garçons. Mais si les jeunes filles voient des femmes qui font des choses passionnantes dans l’espace, et qui, de plus, ont une aura médiatique comparable à celle d’un Thomas Pesquet par exemple, ce sera fantastique. Elles voudront davantage se déguiser en astronaute.

On voit d’ailleurs que ce processus fonctionne, puisque depuis la sortie du film Les figures de l’ombre, sur les calculatrices méconnues des missions Apollo, de plus en plus de petites filles se déguisent en ingénieure de la Nasa pour Halloween! Sans parler de l’astronaute européenne Samantha Cristoforetti, qui a depuis 2022 une poupée Barbie à son effigie. Et quand on voit le succès actuel du film Barbie

Le rôle des jouets est fondamental pour la promotion des carrières scientifiques, ils offrent des modèles et permettent de développer des compétences. Les petites voitures, les jeux de construction, par exemple, donnent déjà l’occasion de se familiariser avec des notions de sciences: le repérage dans l’espace, le lien de cause à effet…

Était-ce aussi la motivation de votre livre, démocratiser l’astrophysique tout en montrant aux femmes qu’elles y excellent autant que les hommes?
Mon éditeur, Quanto, voulait donner la voix à une jeune femme pour parler d’exploration du Système solaire. J’ai accepté car je suis très engagée pour encourager les femmes à faire de la science, pour leurs études et pour s’y construire une carrière épanouissante ensuite. Je vais régulièrement dans les classes, mais ce livre pourrait me donner l’opportunité de toucher un public plus large et essayer de susciter des vocations. Je l’ai écrit avec le souci que tout le monde, femme comme homme, jeune ou moins jeune, se sente à l’aise dans sa lecture.

Sur quoi allez-vous travailler ces prochains mois?
Je suis très impliquée dans les recherches qui concernent Uranus. Il s’agit de l’une des dernières planètes qui n’ont pas bénéficié d’une mission dédiée. Cette géante glacée a seulement été survolée par la sonde Voyager 2 en 1986, alors qu’on compte une quarantaine de missions pour Mars et Vénus, et au moins trois pour Jupiter. La distance gigantesque fait aussi qu’on connaît mal Uranus: depuis la Terre elle n’apparaît pas plus grande qu’une pièce de deux francs à travers les meilleurs télescopes.

Or, l’exploration de cette planète gazeuse est devenue une priorité pour la NASA, à la fois car c’est une des dernières planètes à explorer et que le projet est un des plus aboutis à ce jour, avec la proposition d’un budget maîtrisé qui devrait bientôt être voté au Congrès. Si la proposition est acceptée, on devra préparer la sonde et ses instruments très rapidement, car elle devra décoller début 2030 pour bénéficier d’une fenêtre rarissime: Jupiter sera alors sur la route et on pourra profiter de sa masse énorme pour un phénomène de fronde gravitationnelle.

En clair, on utilise l’attraction de cette planète pour faire passer la sonde tout près, puis la propulser, et ainsi économiser du carburant. Pourtant, au vu de la distance, les premières mesures sur place ne se feront pas avant 2044.

Pensez-vous que votre activité permettra un jour d’accompagner les premiers pas sur Mars ou la découverte d'une vie extraterrestre?
L’exploration habitée de Mars pourrait se réaliser, oui, mais les spécialistes les plus réalistes ne la croient pas possible avant 2100. Aujourd’hui, on aurait les capacités d’y aller, mais c’est revenir qu’on ne sait pas faire. Or, on ne conçoit pas encore de missions spatiales suicides! Il faudrait pouvoir construire la fusée de retour sur place et également y fabriquer le carburant nécessaire au décollage et au voyage vers la Terre.

L’idée serait alors d’envoyer la fusée de retour en plusieurs parties à l’avance sur Mars, ce qui prendrait de longues années. Et comment y produire du carburant? Il n’y a presque rien sur cette planète, pas d’eau, pas d’oxygène, et il y fait en moyenne -40 degrés… Cela n’apporte pour l’instant pas de solution à nos problèmes. Quant à la découverte de la vie, on a compris que ce n’est probablement pas sur Vénus et Mars qu’on va la trouver aujourd’hui, contrairement aux espoirs qui subsistaient avant l’exploration spatiale, jusque dans les années 1960.

Faut-il faire le deuil de trouver de la vie dans notre système solaire?
Il y a des pistes sérieuses à explorer sur plusieurs lunes de planètes géantes, mais il faut garder à l’esprit que les conditions offertes sur Terre sont extrêmement précieuses et exceptionnelles. La preuve: bien qu’on ait découvert des milliers d’exoplanètes autour des étoiles en moins de trente ans, on n’a pas encore identifié une preuve de vie ailleurs, c'est très difficile.

Mes travaux de recherche sur les interactions électromagnétiques des étoiles avec leurs planètes pourraient contribuer à notre compréhension de ce qui permet à la vie d’être possible, ce qu’on appelle «l’habitabilité».

Ce qu’on sait avec certitude aujourd’hui, c’est que nous ne disposons pas de planète B où exiler l’humanité en cas de catastrophe écologique majeure sur Terre.

Étudier l’espace ne peut que nous rendre davantage conscients que notre planète est un miracle à préserver.

© DR

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