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Témoignages de parents: Le casse-tête des places en crèche

Le casse tete geant des places en creche

Six mamans et un papa partagent leur longue et sinueuse route pour obtenir une place en crèche.

© GETTY IMAGES/LOURDES BALDUQUE

Ce n’est pas un scoop, les crèches suisses sont pleines à craquer, au grand dam des jeunes parents. Comme une lumière au bout du tunnel, en juillet 2023, des représentant-e-s du PS, des Vert-e-s et du Centre ont déposé leur initiative populaire pour des crèches en suffisance et «de qualité abordable» à Berne. Mais les jeux sont loin d’être faits. On assiste aux prémices du processus politique. Pour l’occasion, nous avons recueilli le témoignage des principaux et principales intéressé-e-s: les parents qui galèrent pour faire garder leur(s) enfant(s) en crèche. Il et elles viennent des quatre coins de la Suisse romande et ne sont pas toutes et tous logé-e-s à la même enseigne, car l’accueil extrafamilial est une compétence cantonale, voire communale.

Une «aberration», voici comment la plupart des parents qui témoignent résument leur expérience au moment de trouver une place en crèche à la fin du congé maternité, tant les recherches sont compliquées. Délais à rallonge pour l’acceptation d’un enfant, files d’attentes administratives interminables, coûts exorbitants, procédures qui n’en finissent pas: ce ne sont pas les premiers obstacles auxquels on pense quand on accueille un enfant. Celles et ceux qui nous ont confié leur histoire s’y sont pourtant préparé-e-s: dès les trois mois de grossesse, toutes et tous ont enregistré leur bébé sur liste d’attente. Jenna*, une maman valaisanne, n’y a pas cru: «quand j’étais enceinte, une amie m’a conseillé de le faire. Je lui ai ri au nez!», se souvient-elle. Puis à la naissance de sa fille, lorsqu’elle veut l’inscrire: pas de place avant plusieurs mois, et pour un jour par semaine maximum. Pour celle qui travaille à 70%, c’est la douche froide.

Un équilibre familial menacé

Face à toutes ces déconvenues, comment les parents s’en sortent-ils en attendant que vienne - peut-être - un jour leur tour? Certain-e-s réduisent leur taux d’activité. «J’ai l’impression de jouer à un Tetris géant», confie Julia*, qui vit sur la Riviera. Son conjoint et elle ont baissé leur pourcentage pour pouvoir garder leur bébé. «J’ai un poste à responsabilité, je ne pouvais pas descendre à moins de 80%. Et quand on réduit son taux, on est pénalisée par les critères de sélection sur la liste d’attente». Avant de conclure: «Il est déplorable de constater qu’il est si difficile de concilier vies professionnelle et familiale en 2023 alors que la société compte sur nos enfants pour garantir notamment le système des retraites.»

Un constat amer partagé par Sofia*, qui vit dans le quartier Montchoisi à Lausanne: «On a fait tout juste, c’est frustrant. Et c’est surtout aberrant. Le système ne garantit pas aux mères qui travaillent de pouvoir retrouver leur vie professionnelle». Faute de trouver une solution de garde adéquate, Sofia et son conjoint ont pris leurs vacances à tour de rôle pour pouvoir s’occuper de leur fille. «On se dit que c’est le temps d’un été, mais c’est compliqué pour l’équilibre familial.»

«C’est usant»

Pour les personnes interviewées, ce qui est le plus marquant, c’est la longue période de silence qui suit l’inscription de l’enfant. Plusieurs mois sans réponse qui laissent les parents dans un épais brouillard. Faute de solution, il faut pouvoir composer avec son quotidien. Certaines familles peuvent compter sur leurs proches, notamment les grands-parents. Une solution utilisée «pour dépanner» dans la plupart des cas. «Ma belle-mère prend des congés non-payés pour garder notre fille. Elle le fait de bon cœur parce que c’est une solution à court terme», explique Sofia. À Lausanne, Montchoisi est un quartier prisé. «C’est la ville qui gère les crèches. Si on habite dans un quartier où il y a beaucoup de familles, les crèches sont vite pleines et on n’a pas accès aux infrastructures des autres quartiers. Dans la pratique, le système est merdique.»

Le récit de Julia soulève une autre problématique. Elle et sa famille sont à la recherche d’un nouveau logement depuis plusieurs mois. «On ne peut pas changer de commune, parce qu’on nous annonce qu’on aurait deux ans d’attente pour une place en crèche. On n’a même plus la possibilité de choisir librement son lieu de domicile. Mentalement, c’est usant». La Valaisanne Jenna* a vécu le même genre de situation lorsqu’elle a déménagé. Dans sa nouvelle commune, elle se retrouve au bas de la liste d’attente. Retour à la case départ, avec le stress que ça génère. Aussi, lorsqu’elle apprend que les inscriptions pour l’année 2023-2024 sont lancées, elle ne veut pas rater sa chance:

«On en devient presque égoïste! Première arrivée, première servie. Autant dire que j’étais sur la ligne de départ telle une tigresse pour m’assurer une place parmi les dix premières», lance cette maman d'une petite fille.

Gaël*, papa de deux enfants, installé avec sa famille à Vevey, a eu plus de chance. Comme tous les parents, il a commencé son parcours dans l’incertitude. Avec sa femme, ils confirment l’inscription de leur bébé tous les deux mois mais sans garantie. Sinon, même pas la peine d’espérer. Un jour au téléphone, son épouse mentionne que sa sœur a travaillé dans le réseau de la crèche. «On a eu la confirmation de la place deux semaines après», précise Gaël.

Et puis il y a ces familles, comme celle d’Aurore*, de la Broye fribourgeoise, pour qui le plan B devient la solution à long terme. Faute de place dans une structure d’accueil, elle se tourne vers une association de mamans de jour. «On en a trouvé une dans notre village. On est tellement satisfait-e-s qu’on a annulé l'inscription de notre fille à la crèche.»

Culpabiliser les mères

Maternité et carrière: deux termes incompatibles, encore en 2023? Marine*, qui vit à Zurich avec son mari et ses jumeaux, nous prouve le contraire. Heureusement pour elle, elle a vite trouvé une crèche qui lui convenait. Peut-être parce que ses enfants étaient deux. Les fratries sont prioritaires. Pour cette Romande, devenir mère au foyer n’était pas une option. «Je tenais à continuer à travailler. Ça me permet d’avoir une vie active, une vie à moi. Comme ça, quand je suis avec eux, je peux vraiment profiter.»

Même si la prise en charge est optimale, Marine le reconnaît, la crèche apporte son lot de difficultés. À commencer par le prix. «Nous payons 4’500 francs par mois pour deux enfants et pour quatre jours de garde. Financièrement, c’est compliqué. La moitié de nos salaires passe dans la crèche». Et la structure se réserve le droit de refuser les enfants s’ils sont malades. «S’ils ont le moindre petit souci, ils ne les prennent pas». C’est là que la situation devient vraiment complexe pour les parents. «Nous n’avons personne sur place qui peut nous dépanner au dernier moment». Dans ces cas-là, Marine doit faire appel à une nounou qu’elle paie en plus de la crèche.

Selon l’enquête «Les mères sur le marché du travail en 2021» publiée par l’Office fédéral de la statistique (OFS), huit mères sur neuf reprennent leur activité professionnelle après la naissance de leur premier enfant. Une large majorité, donc. La recherche montre également que les mamans sont toujours plus nombreuses à travailler avec un taux d’occupation élevé. Les mœurs ne semblent pas suivre la même évolution. Deux des six mamans qui ont témoigné ont rapporté des situations culpabilisantes, notamment parce qu’elles ont fait le choix de reprendre le travail. Des menaces ou des comportements regroupés sous le terme «mom shaming

Après s’être battue plusieurs années pour obtenir une place en crèche pour son premier enfant, puis pour son deuxième, Cécile*, maman de deux enfants, domiciliée sur la Côte, est confrontée au même problème pour l’accueil parascolaire: pas de place pour son aîné. Elle signale le cas à la commune. Et là, surprise:

«La secrétaire m’indique que c’était le même problème qu'il y a quinze ans. Et me conseille d’arrêter de travailler», ironise-t-elle.

Des remarques dans le genre, Julia en a aussi entendues: «Il m’a été spécifié qu’aucune solution ne pouvait m’être proposée en l’état et qu’il fallait que nous trouvions une solution de garde auprès de nos proches», détaille-t-elle.

«La cerise sur le gâteau a été qu’on me lance: "votre fille n’est pas née à la bonne période, puisque les places sont attribuées à la rentrée scolaire et que vous avez besoin d’une place uniquement au mois de novembre". Je suis tombée des nues.»

Ça bouge en politique

Si la chance a fini par sourire à certain-e-s, une lueur d’espoir à plus large échelle peut également venir de la politique. L’initiative populaire fédérale «Pour un accueil extrafamilial des enfants qui soit de qualité et abordable pour tous (L'initiative pour les crèches)» a été officiellement validée par la Chancellerie fédérale en juillet 2023. Le processus politique va pouvoir démarrer.

Pourquoi la thématique arrive-t-elle cet été au Parlement? Valérie Piller-Carrard, conseillère nationale (PS/FR), vice-présidente du parti socialiste suisse et membre du comité de soutien de l’initiative, explique que ce projet découle des revendications des grèves féministes qui ont eu lieu ces dernières années. «En Suisse, la politique familiale a toujours été assez à la traîne. On se rend compte que les aides apportées jusqu’à maintenant par la Confédération ne suffisent pas. Et lors de la récolte de signatures, on s’est rendu compte du réel besoin», ajoute la socialiste.

Les initiant-e-s veulent garantir un accès aux crèches et aux structures d'accueil extrafamilial à tous les parents, pour tous les enfants dès trois mois et jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. «Ce qui est important, c’est de laisser la liberté de choix aux parents de s’organiser comme ils le souhaitent. Il faut avoir les infrastructures qui permettent de pouvoir le faire. De mener leur choix de vie», estime Valérie Piller-Carrard.

Un pas de plus vers l’égalité? «Les structures d’accueil permettent aux mères de pouvoir conserver leur activité professionnelle et donc de ne pas sortir du marché du travail. Ce qui permettra de diminuer les inégalités, précise la conseillère nationale. Si on ne peut pas mettre en place des structures pour concilier vie familiale et professionnelle, on fonce dans le mur.»

*Prénoms d’emprunt

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