égalité
«Déguiller le patriarcat», un podcast sur le féminisme suisse
Passionnée par les livres et la recherche documentaire, Clémentine Cuvit, 35 ans, a lancé son podcast en 2021. Pour de vrai voit le jour peu après sa fille, alors que la Fribourgeoise d'adoption (elle a grandi à Payerne) travaille à temps partiel et ressent l'envie de s'engager dans un nouveau projet stimulant en toute indépendance. «J'aime le format immersif du podcast, j'en écoute beaucoup, de La Poudre à Méta de Choc, en passant par Bliss Stories. Soutenue par les encouragements de mon compagnon, je me suis lancée», se remémore la jeune femme.
Fait-divers, biographies, Clémentine raconte des histoires vraies dans ses épisodes longs d'une trentaines de minutes, comme le parcours de l'artiste et travailleuse du sexe Grisélidis Réal, les émeutes de Stonewall à New York en 1969 marquant le début d'un mouvement LGBTIQ+, ou encore l'affaire de cyberharcèlement dite Gamergate, ayant visé des femmes de l'industrie vidéoludique. Des thématiques variées, toujours dans une perspective féministe et engagée.
Renverser le patriarcat à coups d'épisodes de podcast fouillés
Pour l'été 2023, la podcasteuse amatrice - également documentaliste à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg - a eu l'idée de lancer une série un peu spéciale.
«Alors il y a la barrière de la langue, mais comment se fait-il que je sois passée à côté de tout ce pan de l'Histoire, alors même que je suis une personne engagée et familière avec de nombreux grands noms étrangers du féminisme, comme Simone de Beauvoir ou Olympe de Gouges?»
C'est ainsi que la documentaliste s'est plongée dans l'histoire helvétique des droits des femmes et a imaginé Déguiller le patriarcat, la série d'été en dix épisodes de Pour de vrai, diffusée sur toutes les plateformes d'écoute depuis le mois de juin, à coup d'un épisode par semaine. Un entretien bonus avec une spécialiste des mouvements féministes sortira le 25 août 2023 afin de marquer la fin de la série estivale.
«Pour le titre, en clin d'œil au parler suisse, j'ai choisi le verbe régional "déguiller", qui signifie "faire tomber", raconte Clémentine avec humour. Dans le générique, on entend d'ailleurs mes parents et mon frère qui répètent ce terme avec leur accent vaudois. Je les ai enregistrés en cachette.» Ce syntagme, c'est aussi le message que la militante a dessiné sur sa pancarte de carton, à l'occasion de la dernière grève du 14 juin. Manifestation à laquelle elle a participé avec sa fille.
Féministe, Clémentine ne l'est pas devenue suite à un événement particulier.
«Mon premier souvenir de réflexion féministe est le travail de maturité que j'ai effectué au gymnase, à une période où les mouvements pour les droits des femmes n'avaient pas beaucoup de voix. Mon sujet?, sourit-elle. L'image de la femme romande dans Femina! Je ne me rappelle plus de ce que j'ai écrit, mais je crois que les mêmes injonctions pèsent toujours sur les femmes, une vingtaine d'années plus tard.» Une lecture de King Kong Théorie de Virginie Despentes et un mouvement #MeToo plus tard ont fini de convaincre Clémentine de la nécessité des luttes féministes.
De l'escargot géant aux grèves du 14 juin
Avec Déguiller le patriarcat, la Fribourgeoise aborde l'histoire des luttes féministes dans l'ordre chronologique, depuis la naissance de la première vague en Suisse à la fin du XIXème siècle, en passant par le portrait d'Emilie Gourd, le droit de vote en 1971, le Mouvement de libération des femmes (MLF), l'assurance-maternité en 2005, la figure de Christiane Brunner, jusqu'aux grèves actuelles.
Clémentine relate les histoires choisies comme une conteuse. Elle tient à vulgariser ses sujets afin qu'ils soient accessibles à toutes et tous. Les récits de Déguiller le patriarcat sont minutieusement recherchés et fourmillent de détails. On apprend notamment que Christiane Brunner a fait la grève de la lessive puisque son mari - qui s'opposait à ses études d'avocate - ne participait pas au travail domestique, que des groupes de travail lesbiens du MLF critiquaient déjà l'hétéronormativité il y a 50 ans, que le suffrage féminin a demandé plus de cinquante votations avant d'être enfin accepté par les hommes suisses, ou qu'un mouvement genevois militait dans les années 70 pour l'introduction d'un salaire pour le travail ménager.
«En étudiant les sources, de nouvelles idées de sujet se sont accumulées, raconte Clémentine, en parlant de sa méthode de travail. De six épisodes prévus, je suis passée à dix. J'aurais pu en faire vingt, et davantage, qui sait?»
«Regardez Iris Von Roten: le manifeste phare de cette militante alémanique, datant de 1958, n'a été traduit en français qu'en 2021! J'ai envie de lire plus de textes de féministes suisses, parce que c'est grâce à elles que nous en sommes là aujourd'hui.»
Au cours de ses recherches, Clémentine réalise qu'une grande partie des revendications de nos aînées sont les mêmes qu'en 2023. «Le sexisme ordinaire, le partage des tâches domestiques, l'égalité salariale, même l'action de féminiser l'espace public avec les noms de rue… L'égalité avance, mais le backlash est puissant aujourd'hui. Petite anecdote: en 1928, lors d'un congrès sur le travail des femmes à Berne, certaines ont fabriqué un escargot géant en papier mâché pour manifester leur ras-le-bol. En cause? La lenteur de l'évolution des droits politiques des femmes.»
Presque 100 ans plus tard, alors que l'égalité entre femmes et hommes n'est toujours pas atteinte en Suisse, n'aurait-on pas envie d'imiter nos arrière-grand-mères en érigeant un nouveau gastéropode symbolique?
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