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Interview

Performances, fair-play: La révolution du sport féminin

Mondial feminin football GETTY IMAGES NAOMI BAKER

Durant le Mondial de football féminin, comme ici lors du match Angleterre-Nigeria, les moments de solidarité entre joueuses nous ont donné une leçon de sportivité.

© GETTY-IMAGES-NAOMI-BAKER

FEMINA Le Mondial de football féminin qui fait vibrer la planète entière, le Tour de France Femmes célébré à la télévision… L’été 2023 constitue-t-il un tournant majeur en matière de reconnaissance du sport féminin?
Solène Froidevaux
On constate en effet un intérêt toujours plus grand de la part du public et des médias. De plus, le sponsoring est clairement en hausse pour ces compétitions, ce qui participe à lui donner davantage de visibilité et de moyens. Il y a tout un travail sur le côté marketing pour valoriser ces événements, c’est assez nouveau. Il y a un changement, mais de là à parler de tournant majeur, je serais moins optimiste.

Le système de ces compétitions demeure rentable car les droits de retransmission sont encore bas par rapport à d’autres rencontres masculines, il y a toute une logique économique autour. Et puis, en dehors de ces grandes compétitions assez exceptionnelles, ces sports vont-ils bénéficier de la même attention durant le reste de la saison? Sur ce plan, c’est moins sûr.

On ne peut pourtant nier que ces compétitions ont généré une émulation inédite?
Oui, c’est certain. Au fil des années, le public arrive à mettre des noms sur les visages, il connaît davantage les faits, les actions de ces sportives, il s’enthousiasme sur la passe décisive de telle joueuse, du but spectaculaire de telle autre. En 2019, lors du précédent Mondial féminin, déjà assez médiatisé, on parlait beaucoup plus du physique, de l’élégance ou des tenues de ces sportives que des détails de leurs performances sur le terrain.

Il est clair qu’un changement s’est opéré, le public et les médias ont compris que les actions de ces femmes étaient désirables sur le plan sportif. On se détourne progressivement de l’unique considération esthétique.

Pensez-vous que les médias ont pris davantage les choses au sérieux?
Le traitement journalistique est lui aussi en train de bouger, avec une véritable analyse des performances lors de ces compétitions. Cette année, des retransmissions télévisées ont, en outre, été commentées par des femmes, ce qui a son importance, car le changement ne se fait pas seulement par le regard, mais aussi par l’audition. Socialement, on apprend surtout à écouter et à entendre des hommes parler de sport, ce qui crée une association entre cet univers et la masculinité.

Lors du Mondial, des joueuses venaient consoler une adversaire, ou aidaient une autre à remettre son voile tombé pendant une action. Cette bienveillance prouve-t-elle qu’une autre façon de pratiquer ces sports est possible?
Ces gestes peuvent aussi exister chez les hommes, mais il est vrai que ces derniers évoluent encore beaucoup dans un univers qui a établi tout un rituel autour de la violence vue comme légitime, ou encore de l’agressivité. Il ne faudrait pas tomber dans l’écueil d’une vision essentialiste et affirmer que les femmes agissent ainsi parce qu’elles seraient plus douces ou attentives aux autres par nature, toutefois ces personnes n’ont souvent pas eu la même éducation, et de ce fait, ne pourrait-on pas s’en inspirer?

On assiste effectivement à une autre manière de faire du sport, qui est aussi liée au modèle économique et commercial, dont les attentes ne sont peut-être pas tout à fait les mêmes que celles à l’égard des compétitions masculines. Au lieu d’opposer radicalement des façons de se comporter qui seraient plus féminines ou masculines, je dirais que le modèle sportif dont on a hérité peut gagner à être questionné par ces nouvelles manières de faire du sport à haut niveau qui sont médiatisées.

N’y voyez-vous pas l’expression d’une sororité?
Le fait d’être davantage discriminées dans la société crée évidemment un mouvement de solidarité entre les femmes, même lorsqu’elles s’affrontent sur un terrain. Je crois qu’on remarque également ces attitudes de bienveillance et d’entraide parce que cela va à l’encontre des croyances populaires sur les rôles de genre.

Des stéréotypes tenaces véhiculent l’idée que les femmes entre elles se comportent comme des rivales, qu’un groupe de femmes est forcément plus conflictuel qu’un groupe d’hommes, pourtant, il y a moins de confrontation et de violence que chez eux.

J’ajouterais que beaucoup de joueuses ont fait entendre leur voix pour défendre la cause des sportives, notamment sur la question de l’égalité des salaires, du voile, des menstruations ou encore des droits LGBT.

Le sport féminin est-il un espace plus efficace et plus sûr pour revendiquer son identité? On voit par exemple que l'homosexualité reste très taboue dans le football ou le cyclisme masculins...
Je crois en effet que les disciplines masculines souffrent de ces figures dites froides ou du héros, où l'émotionnel n'est toléré qu'en rapport avec la performance sportive, il n'est acceptable de pleurer, de se montrer vulnérable seulement en rapport avec la victoire ou la défaite. Il y a aussi une très forte norme à l'hétérosexualité masculine, peu de sportifs en activité aujourd'hui ont fait leur coming out.

On retrouve moins cela chez les femmes - ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas d'homophobie - et cette situation contribue à ouvrir et à montrer un champ des possibles au public, qui reflète davantage la diversité existant dans nos sociétés.

On a vu des millions de spectateurs devant leurs écrans pour regarder «jouer leur pays». Est-il nouveau qu’une formation féminine puisse ainsi susciter un sentiment d’appartenance nationale?
C’est assez récent en effet, et cela se construit par l’accumulation d’actions ponctuelles et de politiques publiques sportives proactives dans ce domaine. Depuis plusieurs années par exemple, la Ville de Genève monte des fans zones pour ces compétitions afin de créer du lien et des moments de sociabilité autour de ces actions sportives de femmes. Car ce sont ces actions, en étant partagées, qui amènent à générer ce sentiment d’appartenance.

Il faut des rituels autour de la pratique sportive des femmes.

Avec ce succès, peut-on imaginer que davantage d’argent irrigue ces disciplines et contribue à les valoriser?
Oui en effet. Même s’il ne faut pas oublier la logique de rentabilité qui est sous-jacente, en particulier dans le sport d’élite. Il y a certes une conscience toujours plus grande des inégalités entre hommes et femmes dans le sport, mais ce n’est pas nécessairement le moteur principal des sponsors et autres financeurs. De plus, l’histoire des droits des femmes montre que les choses ne sont pas linéaires, il ne s’agit pas d’attendre pour avoir davantage d’égalité.

Reste qu’il faut aussi développer plus la pratique sportive des femmes en général. En amont de ces grandes compétitions, il faut faire tomber les obstacles intériorisés ou réels qui bloquent les femmes.

Par exemple, beaucoup de sportives de haut niveau doivent encore travailler à côté pour vivre, ce qui a un impact sur la qualité de leur préparation.

On doit mettre en place des moyens pour offrir plus d’espace aux sportives pour s’entraîner, et pour faire évoluer les clubs, car actuellement beaucoup de structures existantes sont monopolisées, de manière plus ou moins inconsciente, par les hommes, héritiers d’un modèle sportif duquel les femmes ont longtemps été exclues. Il faut donc accueillir les pratiques sportives féminines dans des conditions favorables, ce qui oblige à requestionner la culture sportive et ses logiques d’exclusion. Or beaucoup de fédérations et institutions y sont encore réticentes.

Et ailleurs aussi. Comme avec le conservatisme qui s'affirme face au mouvement MeToo, la progression de la place des sportives dans la société semble entraîner des attaques misogynes et sexistes plus violentes qu'auparavant. On a ainsi vu une vidéo de Megan Rapinoe refaire surface, où la joueuse américaine signe le ballon d'un jeune fan tout en regardant ailleurs. Des hommes connus, dont le tennisman Nick Kyrgios, l'ont taxé «d'arrogance diabolique». Il me semble qu'on n'utiliserait pas ce genre de termes relevant quasi du champ lexical de la sorcière envers des joueurs...
On assiste souvent à l'apparition de résistances face à l'avancée des droits des femmes, l'histoire en la matière n'est pas linéaire, elle est plutôt en dents de scie. Une ligne qui bouge peut susciter une levée de boucliers. J'ai notamment constaté que nombre de commentaires sous les articles traitant du mondial féminin étaient à caractère sexiste, ce qui demande un gros travail de modération...

Cela montre que les femmes ne peuvent pas être seules porteuses du changement, il faut aussi que les hommes s'investissent, notamment en dénonçant les attaques envers le sport pratiqué par les femmes, et que tout le monde s'interroge sur ses propres préjugés.

Ce qui est sûr, c'est que de plus en plus de femmes et d'hommes regardent ces compétitions et y trouvent du sens. C'est un changement lent qui s'opère.


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