égalité
La claque Swissmediatoo
C’est l’autre deuxième vague qu’on n’avait pas vu venir. Quelques semaines après l’article explosif du Temps sur de supposés comportements inappropriés de la part de cadres de la RTS, c’est cette fois un compte Instagram qui fait trembler le petit monde de la presse suisse. Créé par le Collectif RTS 14 juin, un groupe fédérant actuellement plus d’une centaine de femmes, Swissmediatoo rapporte au fil de ses publications les pires phrases sexistes ou misogynes, blagues douteuses ou tentatives de harcèlement sexuel entendues dans les rédactions de médias du pays.
Avec près de 110 posts et plus de 6000 abonnés en quelques jours, Swissmediatoo rencontre un succès inespéré. «On nous a reproché d’attiser la haine entre hommes et femmes, mais ce n’est nullement notre intention, se défend une membre du collectif. Nous souhaitons toucher les gens moins concernés par ce type d’expériences et les confronter de façon abrupte à ce que nous vivons en tant que femmes. L’idée d’un collectif était de pouvoir obtenir un impact fort sur la société, d’enclencher un changement plus profond, au-delà de la révélation choc, pour que ce genre de comportements cesse enfin.»
Problème global
Enfin, le mot fait sens. Trois ans après la vague MeToo et BalanceTonPorc, sexisme cru et harcèlement sexuel semblent perdurer largement. «On peut en effet se demander pourquoi ces dénonciations n’arrivent que maintenant en Suisse, mais ça démontre une évolution en cours dans notre société, estime Valérie Vuille, directrice de l’association féministe romande DécadréE. Chaque pays a son propre rythme et ses façons d’agir. La grève du 14 juin 2019 avait déjà constitué un jalon important, signe de synergies mises en œuvre. Il est essentiel, via de telles démarches, que la parole se libère, de montrer que ces vécus négatifs ne sont pas le fait d’individus isolés, mais découlent de quelque chose de systémique.»
D’ailleurs, si la presse est dans le viseur de Swissmediatoo, il ne faudrait pas en déduire que les phrases sexistes y sont endémiques.
Les autres aussi désapprouvent
On remarquera néanmoins que Swissmediatoo, contrairement à d’autres initiatives, garde les témoins ainsi que les auteurs des faits rapportés anonymes. Cela peut-il suffire pour changer les choses à l’échelle de la société? «Oui, affirme sans hésiter Valérie Vuille. Ces comptes sont bénéfiques, car ils proposent un espace de liberté de parole et créent une résonance, montrant aux autres femmes que ce qu’elles vivent n’est pas isolé ni généré par leur faute. Nous sommes encore éduquées à trouver ces comportements normaux et à ne pas nous y opposer plus que ça. En lisant les posts de Swissmediatoo, je m’aperçois, en tant que femme, que je ne suis pas la seule à ne pas être d’accord avec ces agissements.»
Pascal Roman, professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse à l’Université de Lausanne, confirme que ces initiatives «aident la quête de reconnaissance d’une parole qui n’a pu être dite au bon endroit au bon moment, sur fond d’une société qui fonctionne encore beaucoup sur le mode d’abus d’autorité d’hommes sur des femmes». La prochaine étape?
Car attendre encore trois ans une énième nouvelle vague façon MeToo, c’est long.
Avant Swissmediatoo, d’autres initiatives online ont témoigné des comportements sexistes et des harcèlements au quotidien. Le site Paye Ta Shnek, né en Alsace en 2012, a notamment marqué les esprits et inspiré plusieurs sites similaires comme Paye ton médecin et Paye ta blouse. En 2017, la Néerlandaise Noa Jansma dénonçait, elle, le harcèlement de rue via le compte Instagram DearCatcallers, postant des images de ses altercations avec les siffleurs et les dragueurs lourds.
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