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Cyberharcèlement, sexisme: Déferlement de haine sur les miss

Miss harcelement GETTYIMAGES UNSPLASH LUKE CHESSER

De g. à d.: Karolina Shiino (Japon), Ève Gilles (France) et Apameh Schönauer (Allemagne). Les concours nationaux se heurtent au racisme et au sexisme.

© GETTY IMAGES - UNSPLASH/LUKE CHESSER

Déjà qualifiés «d’inspections de viande» par les féministes des années 60-70, les concours de miss ont-ils un avenir à l’ère de MeToo, de la reconnaissance des droits LGBT et de la nouvelle vague du féminisme en Occident? Sous le feu des accusations pointant un concept ringard, dévalorisant et anachronique, les organisations des différents pays ont pourtant récemment tenté, avec plus ou moins de radicalité, de moderniser l’ADN de la miss parfaite afin de la rendre davantage soluble dans la modernité.

En clair? Il s’agissait de desserrer (un peu) le bien rigide et poussiéreux cadre imposé de la candidate de moins de vingt ans, célibataire sans enfant, qui n’a jamais fait de photos dénudées et que l’on propulse dans l’incontournable défilé en bikini face caméras. L'enjeu, au-delà d’une image plus dans l’air du temps, est quand même de sauver une industrie qui continue à générer des revenus significatifs. Si les concours de beauté ne sont plus diffusés sur la RTS, ils continuent en effet d’attirer un public important dans certains pays européens.

L’élection de Miss France, diffusée sur TF1 en décembre 2023, demeure cette grand-messe du divertissement qui draine près de sept millions de téléspectateur-rice-s, soit à peine moins que les chiffres mesurés il y a dix ans. Mais voilà, à vouloir refondre à tout prix le concept des miss sous la pression des sensibilités féministes, les comités se retrouvent désormais sous le feu d’autres détracteurs: les sensibilités conservatrices, voire extrémistes, de plus en plus décomplexées, dont la virulence des attaques va crescendo.

Fond de nationalisme

Au cœur de ce phénomène, une vision selon laquelle le corps des femmes serait la vitrine d’une nation forte, virile et souveraine, reposant sur les valeurs rassurantes du passé. Pendant qu’il envahissait l’Ukraine et dénonçait la prétendue décadence occidentale, Vladimir Poutine vantait publiquement la beauté classique des femmes russes, signe, selon lui, d’une société intègre.

Jeune, féminine, désirable, blanche, hétéro et féconde, voilà vers quoi doit tendre la citoyenne idéale aux yeux de cette idéologie qui a contaminé les réseaux sociaux par sa frange la plus à droite. La miss est ainsi à leurs yeux le bastion de cette féminité idéale à la dimension quasi politique, puissante égérie garante du monde d’avant. Y toucher, c’est alors remettre en question toute une identité fantasmée.

Apameh Schönauer: pas assez belle

Apameh Schönauer en a récemment fait les frais. Elle a reçu sa couronne le 24 février 2024 dans le contexte d’un concours de Miss Allemagne qui, depuis 2019, ne fait plus de l’apparence physique le critère déterminant, à l’instar de Miss America depuis 2018. Les organisateur-rice-s préfèrent mettre en avant la force d’un message et d’un parcours qui s’avèrent inspirants. Mère de famille, âgée de 39 ans, originaire d’Iran et un peu éloignée de l’idée qu’on se fait du physique de mannequin, elle détonne certes par rapport au profil classique de la miss.

Un véritable crime de lèse-majesté pour les tenants de la féminité traditionnelle, qui se sont empressé-e-s d’en faire une cible en ligne. Depuis son élection en tant que Miss Germany, Apameh Schönauer fait face à une intense campagne de dénigrement et de racisme sur les réseaux sociaux. «Miss Allemagne, c’est le résultat de 12 ans de wokisme, de gauchisme et de déconstruction», s’agace un utilisateur sur X. D’autres fustigent à l’envi son physique banal et la traitent de «boudin» ou de cliente type rencontrée au «rayon fruits et légumes des hypermarchés».

Karolina Shiino: pas assez locale

Même campagne de haine lors de l’élection de Miss Japon fin janvier 2024. Mais pas pour les mêmes raisons. Ses nombreux-ses détracteur-rice-s se déchaînent alors en ligne pour critiquer l’origine ethnique de cette jeune femme née en Ukraine, pas assez japonaise à leur goût. Dans une culture nipponne contemporaine encore largement traversée de réflexes xénophobes, Karolina Shiino, 26 ans, est pourtant la première miss naturalisée, détentrice du passeport depuis 2022 et arrivée dans l'archipel à l'âge de 5 ans.

Un symbole que tout le monde n’est manifestement pas prêt à apprécier au Japon. Devenue une cible récurrente d’attaques sur internet, elle a finalement dû rendre sa couronne au motif qu’elle entretenait une liaison avec un homme marié, alors que le statut de Miss Japon n’exige en rien d’être célibataire ou respectueuse d’une quelconque morale sur la question des mœurs. En 2015 et 2016, deux miss Japon ayant des parents d’origine étrangère avaient également dû affronter les critiques d’internautes frustré-e-s de leur couleur de peau pas assez claire.

Ève Gilles: trop androgyne

Quelques semaines plus tôt, c’est Miss France 2024 qui suscitait un torrent de commentaires haineux. Depuis son élection en décembre 2023, Ève Gilles, 20 ans, fait l’objet de critiques acerbes sur… sa coiffure, jugée trop masculine. En plus d’un demi-siècle d’existence du concours, elle est en effet la première Miss France à arborer des cheveux courts façon garçonne.

«Comme si j’avais un énorme tsunami derrière moi», écrit-elle alors pour qualifier l’ampleur du cyberharcèlement dont elle est victime et qu’elle peine à comprendre.

Des haters incapables de voir dans cette jeune femme une figure pourtant indéniablement marquante et charismatique. À noter que le 18 mars 2023, Inès Chicot Roussel était devenue Miss Alpes du Sud tout en étant maman, une première dans le concours des miss françaises qui a longtemps exigé de ses candidates d’être célibataires et sans enfant.

Pas une femme «traditionnelle»

Une levée de boucliers s’est en outre opérée lorsque pour la première fois des candidates transgenres ont accédé à la couronne en Europe. Après la pionnière espagnole Ángela Ponce en 2018, Rikkie Valerie Kollé, 22 ans, a ainsi été élue Miss Pays-Bas début juillet 2023, peu avant que Marina Machete, 29 ans, soit sacrée Miss Portugal à l'automne 2023. Une véritable révolution, alors que les comités organisateurs de ces pays avaient décidé d’ouvrir le concours à toutes les femmes quelques années en arrière seulement.

Là encore, ces deux têtes couronnées ont subi des campagnes de haine sur les réseaux sociaux. Pris en étau entre les appels au progressisme et le bulldozer de l’idéologie d’extrême droite qui progresse en Occident, les concours de miss se réinventent, certes, mais dans la douleur. Et sans obtenir cette représentation nationale tant espérée. L’incarnation d’une société de plus en plus clivée. 

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