Société
Judith Godrèche met en cause la responsabilité des médias
«Les lignes bougent»: c’est en lui adressant ces quelques mots qu’une amie offre à Judith Godrèche Le consentement, de Vanessa Springora, à sa parution en 2020. Trop proche de sa propre histoire, celle-ci ne parvient pas à le lire dans un premier temps. C’est cet épisode que l’ancienne actrice devenue réalisatrice révélait le 12 février 2024 dans l’émission de Mediapart en accès libre, À l’air libre. Son regard et ses mots, criant une vérité glaçante qui dénonce la culture du viol ancrée dans le cinéma français, désarment l’auditoire sur les plateaux télé qui l’invitent à témoigner. Et elle n’en finit pas de ne plus se taire. En son propre nom, en tendant la main à l’adolescente qu’elle était, érigée en muse d’un réalisateur prédateur déguisé en pygmalion. Mais aussi au nom de toutes celles et ceux qui se taisent.
Torrentiel et essentiel, son récit décortique le système duquel elle était prisonnière à 14 ans, sous l’emprise d’un adulte manipulateur. Les médias assimilent ses paroles à l’éveil tardif du mouvement #MeToo en France. Ce n’est pas tant la chasse aux prédateurs qui anime Judith Godrèche, plutôt la réappropriation de son histoire. Et dans sa quête – exemplaire de courage – elle ne ménage pas le rôle qu’ont joué les médias. À celles et ceux qui se demandent encore pourquoi elle ne prend la parole que maintenant, elle répond que ce n’est pas faute d’avoir essayé. Aussitôt mise en sourdine, remise à sa place. Même par Laure Adler, qui lui demande pardon aujourd’hui (sur le plateau de l'émission C ce soir, le 12 février 2024, ndlr).
Évanouissement à Locarno
Toujours dans l’émission de Mediapart, le journaliste Mathieu Magnaudeix interroge la réalisatrice sur la couverture de Télérama, qui a choisi comme titre pour traiter du sujet: «Aveuglement collectif». Sa réponse est sans équivoque: personne n’a jamais été aveugle, affirme-t-elle. Tout le monde a toujours su, et en donnant systématiquement la parole aux prédateurs, les médias ont trop longtemps réduit les victimes au silence. Elle se souvient d’une édition du Festival du film de Locarno lorsqu’elle était adolescente. À table, les journalistes fourmillent autour de la jeune actrice et du réalisateur Benoît Jacquot. Ce dernier lui sert un verre de vin rouge. Le premier de sa vie. Elle vomit à table, s’évanouit. Dans l’indifférence générale.
Après toutes ces années, elle ne comprend toujours pas comment aucun des journalistes présents ne s’est alors inquiété en l’invitant à s’isoler un instant pour lui poser la simple question bienveillante: «Comment vas-tu?» Si l’aveuglement n’a jamais été collectif, c’est l’urgence de la remise en question qui doit l’être.
Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!