Interview
Politique, climat, égalité: Lisa Mazzone se livre
Édit: Lisa Mazzone a été élue à la présidence des Vert-e-s suisses le samedi 6 avril 2024 lors de l'assemblée des délégué-e-s à Renens. L'ancienne conseillère aux États genevoise était la seule candidate en lice. En mars, nous l'avions interviewée à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
FEMINA Après votre non-réélection au parlement en octobre 2023, vous décidiez de faire une pause. Comme avez-vous vécu ces quelques mois en retrait de la vie politique?
Lisa Mazzone C’était une période douloureuse, car il fallait faire le deuil de mon mandat parlementaire. Mais cela s’est révélé une respiration finalement bienvenue après de nombreuses années au parlement fédéral. Je retrouve une certaine liberté de parole.
On vous a vue très touchée et vous avez parlé ouvertement d’un coup dur. Comment est-ce qu’on affronte une telle situation?
Mes convictions n’ont pas été ébranlées. Il est nécessaire de s’engager face aux inégalités et à un monde qui va droit dans le mur en matière d’environnement. Mais j’ai fait face à une forte remise en question et réalisé un travail d’introspection. Je devais trouver quel était le moyen de continuer mon engagement. Je me suis demandé si la politique était le bon endroit pour le faire, mais j’ai aussi reçu énormément de messages de soutien, notamment de femmes, et cela m’a beaucoup touchée. Et ce n’est certainement pas le moment d’abandonner, surtout qu’il y a actuellement une montée du populisme et un retour de bâton sur les questions climatiques et sur les questions d’égalité.
Que souhaitez-vous apporter en tant que femme, Romande, jeune, à la présidence des Vert-e-s?
Mon objectif est de parler à tout le monde, tout en montrant par l’exemple que la politique est un espace où les femmes et les jeunes ont aussi leur place et que leur voix mérite d’être entendue, car elle apporte une perspective différente et bienvenue. Même constat pour les Romand-e-s, et il n’y en a aucun à la tête des partis. Sur des questions d’égalité, la Suisse romande est pourtant souvent précurseure.
Ce nouveau poste, hors de la politique fédérale et de ses compromis, vous permettrait-il d’avoir davantage le champ libre pour affirmer vos idées politiques?
Je vais pouvoir redéployer mes convictions d’une autre manière. Il y a en effet plus de liberté et l’agenda n’est pas dicté par les séances de commissions et les nombreux dossiers à l’ordre du jour.
La question de l’obtention d’un siège pour les Vert-e-s au Conseil fédéral revient souvent sur le devant de la scène politique, cette demande est-elle justifiée selon vous?
Les Vert-e-s représentent une force politique incontournable aujourd’hui en Suisse. Non seulement elle est justifiée, mais elle est très importante, car le pouvoir exécutif est un lieu de décision dans lequel on peut mettre en place les solutions. Nous souhaitons avoir davantage de responsabilités et nous avons un rôle à jouer à l’heure où les questions environnementales font face à un revers.
Comment votre entourage réagit-il à vos actualités et à votre carrière politique?
J’ai un partenaire qui connaît très bien la politique et m’a toujours accompagnée avec bienveillance. Le fait qu’il ne pense pas aux intérêts du parti mais à moi et à notre famille avant tout est bienvenu. Mes enfants sont habitués depuis leur naissance à mon agenda politique. J’ai néanmoins remarqué que c’était dur pour eux de me voir triste après ma non-réélection. Mais c’est aussi une leçon pour eux, qui leur montre qu’il arrive de perdre, mais qu’il ne faut pas baisser les bras.
Vous vous battez en faveur de l’environnement. Est-ce que la voie politique est le chemin le plus efficace pour ce combat?
C’est un chemin auquel je crois. Je suis cependant persuadée que ce n’est pas le seul chemin. La voie politique permet de modifier le cadre légal et, pour que cela arrive, il faut un changement global au sein de la société, ce qui est rendu possible par la société civile et le travail de terrain des associations. Tous ces éléments forment un puzzle qui permet d’avancer.
Des actions en faveur du climat sont organisées par des activistes directement dans la rue, pour alerter l’opinion publique et politique. Est-ce que de telles actions résonnent auprès des politicien-ne-s?
Force est de constater que non. Il y a plutôt une instrumentalisation par leurs détracteur-rice-s, qui engendre une distraction stratégique et détourne le débat des questions importantes. On ne parle plus que de ces actions, mais on ne parle plus du fond du problème et des solutions à l’urgence climatique. Je pense que les personnes qui les organisent peuvent se demander si elles servent encore la cause. Dans le contexte actuel, j’en fais une lecture plutôt critique.
On sent un certain essoufflement, voire un agacement autour de la lutte pour le climat, comment faire pour mobiliser davantage autour de l’environnement?
C’est un vrai défi, mais il est important de parler d’espoir. Je suis persuadée que cette transition face à l’urgence climatique représente une chance pour mieux vivre ensemble. Il est important de donner envie à la population, de transmettre cette soif d’avenir et de ne pas se sentir abattu-e-s par la situation actuelle.
Et vous, comment gardez-vous votre motivation?
Par mon engagement politique qui me pousse vers l’avant. Face aux enjeux climatiques et aux inégalités, ma réponse est de rester engagée à mon échelle et afin de changer ce grand tout. Évidemment, on ne peut pas y arriver seule, il faut agir en collectivité.
Quel est le succès dont vous êtes le plus fière?
Je citerai deux projets importants auxquels j’ai participé ces quatre dernières années: la loi sur l’énergie, qui permet le développement des énergies renouvelables sans sacrifier la nature et sur laquelle nous voterons en juin 2024, et la modernisation de la définition du viol dans le Code pénal. Ce fut un long travail, fait de compromis.
On vous dit ambitieuse, qualificatif qui passe mal, parfois, pour une femme et dans un parti de gauche. L’êtes-vous?
Oui, pour le fond. J’ai une forte ambition concernant mes convictions et mes engagements en faveur du climat et de l’égalité. Je n’en rougis pas.
Être une figure féminine de la politique suisse, est-ce devoir adopter des codes masculins pour faire sa place?
Aujourd’hui il y a de la place pour faire de la politique autrement.
Au Conseil des États, on organisait des repas entre femmes et on s’efforçait de faire référence aux interventions de nos collègues féminines lors des débats au sein des Chambres.
Vous a-t-on reproché ces réunions en «mixité choisie»?
Les hommes le font souvent, même si ce n’est pas estampillé ainsi. Parfois, on se gêne de mettre en place des systèmes de solidarité. Peut-être faut-il passer par des formalités, comme ces repas, pour prendre la même habitude entre femmes. Et il ne faut pas se laisser impressionner, on est libres de manger avec qui l’on veut.
En 2017, des parlementaires se sont exprimées à propos de gestes déplacés. Sept ans après #MeToo, les choses ont-elles changé?
J’ai observé un vrai changement au parlement à la suite des discussions autour du harcèlement, mais surtout depuis 2019, quand le peuple a élu 42% de femmes au Conseil national. Dès lors qu’on atteint une masse critique, les gestes déplacés n’ont plus leur place. En marchant dans les couloirs, je sentais, physiquement, que les choses avaient changé: on était moins regardées, il y avait plus de décontraction, simplement parce que les femmes étaient plus nombreuses.
Mais les femmes restent sous-représentées en politique.
Oui, et les conséquences sont là. On a forcément un vécu différent quand on est une femme. Moins de politiciennes signifie des majorités plus difficiles pour le financement des crèches ou le congé parental, alors qu’il s’agit de questions cruciales aussi pour l’économie et pour permettre aux femmes de s’engager dans la sphère professionnelle.
Avec deux garçons en bas âge, comment conciliez-vous vies privée et professionnelle? On pose certes cette question aux femmes, mais on ne peut ignorer qu’elles assument majoritairement les tâches domestiques.
Il est important d’en parler, car on ne doit pas faire croire que les politiciennes sont des surfemmes. La solution est un vrai partage des tâches.
Je peux aussi compter sur mon père, mais toutes les familles n’ont pas cette chance. C’est un vrai défi. Le système de garde repose encore trop sur le privé, qui demande un accès à un réseau social fort.
Le féminisme, c’est quoi pour vous?
S’engager pour les droits des femmes, pour créer une société où le genre ne déterminera pas ce qu’on peut faire. Malheureusement, ce n’est pas encore une réalité, il n’y a qu’à voir les inégalités salariales qui demeurent. La grève féministe joue d’ailleurs un rôle central en mettant le sujet à l’agenda le 14 juin. Malgré tout, c’est frustrant de voir qu’on stagne.
Comment l’expliquez-vous?
Actuellement, je sens un recul: on instrumentalise certains débats, créés de toutes pièces notamment par l’UDC, pour contourner des questions comme le travail de soin gratuit, l’inégalité salariale, l’écart de rente à la retraite.
Le retour de la guerre en Europe a remis les hommes sur le devant de la scène et relégué des enjeux essentiels pour le quotidien des femmes. Alors, évidemment, on doit parler de la guerre, elle nous touche au quotidien, mais ce n’est pas une raison pour reléguer l’égalité au second plan.
Le 8 mars nous célébrons la journée internationale des droits des femmes, qu'est-ce que cette date représente pour vous?
Une journée importante de mobilisation. L’avantage de ces rendez-vous annuels est qu’on n’y échappe pas, quel que soit le contexte géopolitique. Cela permet de relancer les discussions autour de l’égalité.
Pour ou contre… ces questions d’égalité qui font débat
• Le congé parental
Pour. C’est une priorité. La Suisse accuse un sérieux retard en Europe. On entre à la maternité en couple moderne et on en sort en couple inégalitaire. Le congé parental est la clé pour un partage équitable des tâches domestiques, de la charge mentale et du temps de travail.
• Le congé menstruel
Pour. C’est un avantage, en particulier pour celles atteintes d’endométriose. Cependant, il ne faut pas que cela stigmatise les femmes en donnant l’impression qu’elles sont moins aptes au travail.
• Le troisième genre à l’état civil
Pour. Je serais même pour l’élimination du genre à l’état civil. Chacun et chacune doit pouvoir décliner son identité comme il ou elle la comprend. Je suis pour une société libérale qui n’a pas à se mêler de l’identité de genre.
• Les quotas de femmes à des postes de pouvoir
Pour. C’est un instrument essentiel. Les quotas sont positifs pour les entreprises et on trouve des femmes à compétences égales. On doit prendre en compte les parcours dans l’ensemble: le processus de formation, les formations continues, la prise en charge de la maternité, etc. Là est le vrai défi et les entreprises doivent être accompagnées.
• L’IVG dans la Constitution
Pour. Mais avant tout il faut sortir l’IVG du Code pénal et reconnaître que le corps des femmes leur appartient.
• Légiférer sur le langage inclusif
Contre. Cela reviendrait à l’interdire. Ce serait faux, car une langue n’est pas figée, elle évolue. L’idée est de privilégier les termes épicènes pour englober tout le monde. Les détracteurs du langage inclusif en font un grand débat avec leurs propositions d’interdiction, alors qu’en réalité cela se passe assez bien dans les administrations.
• Allouer davantage de fonds publics pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles
Pour. Dans le cadre légal, on a bien avancé, maintenant, c’est une question de mise en pratique, de formation et de distribution de moyens.
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