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Histoire de forêt: Waipoua, en Nouvelle-Zélande
À grand renfort d’images de synthèse, les films Avatar, de James Cameron, nous transportent dans les forêts merveilleuses d’une lune fictive. De la science-fiction? Pas tout à fait. Car l’univers visuel de la saga s’inspire d’un paysage bien réel, ici sur Terre. C’est là, dans les territoires sauvages du Northland, tout en haut de l’archipel de la Nouvelle-Zélande, que le réalisateur a trouvé son modèle pour la planète Pandora: la forêt de Waipoua.
Une végétation dense et luxuriante, des arbres géants élevés au rang de divinités par un peuple autochtone en connexion avec la nature… Les similitudes sont évidentes. Jusque dans le destin commun de ces deux lieux.
Comme dans Avatar, la forêt de Waipoua a dû être férocement défendue contre les convoitises des industriels, qui étaient prêts à l’exploiter jusqu’à la dernière racine. Cette étendue verte au nord d’Auckland est en effet le plus précieux vestige de l’ancienne forêt primaire qui recouvrait l’île avant l’arrivée des colons européens. Une forêt notamment composée de kauris, l’une des espèces d’arbres les plus imposantes du globe, l’une des plus rares aussi.
Des arbres et des dieux
Agathis australis ne pousse qu’ici, entre la pointe nord de la Nouvelle-Zélande et le degré 38 de latitude Sud. Un colosse végétal qui n’atteint sa taille maximale qu’à l’âge de 800 ans, après avoir poussé tout droit vers la canopée pour capter ce qu’il lui faut de lumière pour prospérer.
Le kauri, dont on retrouve des fossiles dans le sous-sol du pays, a d’ailleurs passé du bon temps durant des millénaires, sans menace d’aucune sorte, même lorsque les Maoris, venus de Polynésie, se sont installés: ils ont fait de cet arbre, baptisé Te Whakaruruhau, l’une des divinités majeures de leur cosmogonie, à l’origine de la création du monde.
Ce sont en effet les plus vieux kauris, incarnations du dieu Tane, qui auraient participé à la séparation originelle du ciel et de la terre, permettant alors le jaillissement de la lumière. Le débarquement des navigateurs européens sonne le glas de cette poésie. L’arbre est regardé comme une vulgaire matière première, apprécié pour son bois, solide et sans nœuds. Le capitaine Cook, qui explore le Northland en 1769, en coupa plusieurs troncs pour réparer certains éléments de son navire.
Reconstruire San Francisco
Sa résine permet quant à elle la production d’une gomme très prisée dans l’industrie. Au milieu du XIXe siècle, avec l’établissement massif des colons en Nouvelle-Zélande, les choses finissent par vraiment mal tourner pour le kauri, qui fait l’objet d’une exploitation impitoyable.
On creuse des canaux en plein milieu des forêts afin de déplacer les troncs par la force du courant. L’ancienne cathédrale St. Paul de Wellington, dont l’impressionnante nef toute en bois fait penser à un bateau renversé, fut en grande partie bâtie grâce au kauri dans les années 1860.
L’arbre s’est même massivement exporté à cette époque où aucune restriction ne protégeait cette essence endémique: de nombreux bateaux partirent vers la Californie chargés de kauris pour permettre de reconstruire San Francisco après le grand séisme de 1851.
Le combat d'un scientifique local
Un appétit qui s’est payé au prix fort. En 1900, il ne restait déjà plus que 10% de la couverture forestière de kauris. Il a fallu attendre le premier tiers du XXe siècle pour qu’une conscience écologique émerge dans l’archipel, en partie grâce à l’action du biologiste néo-zélandais William Roy McGregor.
Celui-ci s’engage dès les années 40 dans une croisade pour sauver la forêt de Waipoua, lançant une vaste pétition et publiant un manifeste de 80 pages où il qualifie le site de «dernière forêt vierge de kauris de Nouvelle-Zélande». Il faut dire que jusqu’ici, la zone a été relativement épargnée par les coupeurs d’arbres, sauvée par son isolement et les difficultés d’accès.
Le combat du scientifique génère une conscience nationale et ouvre la voie à la sanctuarisation de la région en 1952, même si la déforestation se poursuivit officieusement pendant encore vingt années. Aujourd’hui, Waipoua, «la forêt où il pleut la nuit» en langue maorie, abrite la majorité des kauris de l’archipel et demeure l’un des lieux les plus mystiques de Nouvelle-Zélande.
Son icône: «Te Matua Ngahere»
Pour des raisons de conservation, 75% de la forêt est fermée aux visiteurs, mais ceux-ci peuvent encore venir admirer les deux plus impressionnants kauris de la planète, objets de toutes les vénérations. Le plus haut, atteignant 51 mètres de hauteur pour plus de 4 mètres de diamètre, n’a été découvert qu’en 1924. Il est le «Dieu de la forêt», selon la signification de son nom maori, Tane Mahuta.
L’arbre aurait entre 1200 et 2500 ans. Un petit jeune à côté de l’autre colosse des lieux, Te Matua Ngahere, «Le seigneur de la forêt» (photo). Un peu moins grand mais plus large, ce kauri afficherait un âge de 2000 à 4000 ans.
Fermer la forêt pour la sauver?
Mais ces géants du passé, comme tout le territoire de Waipoua, sont menacés par Phytophthora agathidicida, un champignon tueur de kauris. Il infecte les racines, avant de détruire progressivement toutes les fonctions vitales de son hôte. Les visiteurs sont d’ailleurs obligés de passer par un portique spécial visant à désinfecter leurs chaussures, même si ce procédé pourrait ne pas suffire.
Le champignon a été détecté à 60 mètres des géants, et certains Maoris appellent à proclamer un rahui, une interdiction de pénétrer dans toute la forêt. Auparavant, des fermetures sporadiques des sentiers ont déjà pu être promulguées.
Carte d’identité
Localisation: Northland, Nouvelle-Zélande.
Type: Forêt humide subtropicale primaire.
Surface: 9100 hectares.
Statut: Waipoua Forest Sanctuary.
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