Découverte de la forêt du Risoud, la plus grande d'Europe

On l’appelle Risoud du côté vaudois, Risoux de l’autre côté de la frontière, mais ne vous y trompez pas: il s’agit bien de la même étendue de canopée à perte de vue. Situé entre 1200 et 1300 mètres d’altitude, cet océan d’épicéas, de sapins et de hêtres est tout simplement la plus grande forêt d’Europe d’un seul tenant.

Un bloc forestier de 30 kilomètres de long pour 8 de large, à cheval sur la France et la Suisse, dont la densité et la richesse de la flore lui donnent des allures de barrière infranchissable. Et ce n’est pas un hasard.

Car la fascinante forêt du Risoud doit en grande partie son intégrité actuelle à sa position stratégique. Dès le Moyen Âge, les moines défricheurs des abbayes de Joux et de Saint-Claude, l’une en Suisse, l’autre en France, avaient exploité le bois de la grande forêt jurassienne, grignotant chacun de leur côté le couvert végétal jusqu’à se rapprocher des cimes du massif.

Labyrinthe sous canopée

Le salut pour les arbres vint de la guerre de Trente Ans et de la crainte des Bourguignons: on ordonna alors aux locaux de ne pas réduire davantage ce qu’il restait de forêt pour conserver ce rôle de frontière naturelle quasi infranchissable. Pour une armée, s’aventurer dans ce labyrinthe infini d’arbres constituait un pari bien trop fou.

Encore aujourd’hui, surtout en hiver lorsque la lumière diffuse complique l’orientation au soleil, il est facile de se perdre dans cette forêt démesurée, faiblement irriguée par le réseau téléphonique. Selon la légende, on ne compterait d’ailleurs plus le nombre de personnes qui ne sont jamais revenues d’une escapade en son cœur.

Pourtant, ce havre de paix hors du monde, uniquement peuplé par les lynx, les grands tétras, les renards ou les martres, n’est pas si hostile aux êtres humains qu’on pourrait l’imaginer. Il a même été un allié majeur pour eux, au point qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que c’est en partie grâce au Risoud que nous vivons dans un monde libre.

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Un territoire de la Résistance

Durant la Seconde Guerre mondiale, la forêt a en effet été utilisée pour lutter contre le joug nazi. Trop haut perché et trop impénétrable par les profanes, le Risoud servit d’angle mort naturel pour faire transiter personnes, marchandises et informations dans une démarche de résistance. C’est notamment en 1941 qu’il devint un allié actif contre le IIIe Reich, lorsqu’un quatuor de personnages héroïques s’organisa pour faire de la forêt une discrète sortie de secours pour fuir la France occupée.

Les Suisses Anne-Marie Im Hof-Piguet, native de la vallée de Joux, et Fred Reymond, des services de renseignement fédéraux, montèrent une filière avec les sœurs Cordier, Victoria et Madeleine, Françaises basées au pied du Risoud et actives dans la lutte contre l’occupant. La première était agent de liaison pour la Résistance française à seulement 20 ans, tandis que sa sœur fabriquait des faux papiers. Leur connaissance approfondie de la forêt, qu’elles fréquentaient depuis l’enfance, permettait d’éviter au mieux les rencontres fortuites avec les soldats allemands et la Gestapo.

Les portes de la liberté

Ces derniers, détenus au château de La Hille, en Ariège, dans le sud de la France, ont échappé à la déportation grâce à ce réseau méticuleusement organisé, les prenant en charge des Pyrénées jusqu’à l’hôtel d’Italie, au Chenit, où leurs anges gardiens les aidaient à rejoindre des destinations éloignées de la frontière, dont Zurich.

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Le spectre des canicules

Désormais, après avoir aidé les humains, c’est la forêt qui aurait bien besoin d’aide de leur part. Secoué par les canicules à répétition et les sécheresses anormales, le Risoud souffre depuis ces dernières années. Son arbre fétiche, l’épicéa, dont certains spécimens vénérables ont 400 ans, ne supporte pas les folles montées de mercure. Il serait même en danger en Suisse, selon une étude menée conjointement par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) depuis 2009.

Dans la forêt du Risoud, le sol de calcaire omniprésent et le manque d’eau amplifient le problème. Les arbres y mettent quasi deux fois plus longtemps pour grandir. Une forêt immémoriale, mais, rappelons-nous-en, pas forcément éternelle.

Son icône: Le bois de résonance

Les épicéas du Risoud sont mondialement réputés pour leur «bois de résonance», utilisé pour fabriquer les tables d’harmonie d’instruments de musique haut de gamme comme le piano, le violon ou la guitare (comme ici, le luthier Jean-Daniel Cuttelod), mais aussi des enceintes hi-fi. C’est la croissance très lente des conifères de cette forêt qui permet de produire un bois serré, exceptionnel pour les objets acoustiques. La quête est de longue haleine: un épicéa sur 10’000 répond aux exigences.

Les rares personnes qualifiées pour identifier ces arbres recherchent des spécimens bien précis: âgés entre 200 et 400 ans, hauts d’au moins 40 mètres, d’un diamètre supérieur à 50 centimètres, avec un tronc droit, lisse et sans nœuds, situés sur un terrain peu pentu et à l’abri du vent. Les spécialistes vont alors évaluer leurs propriétés en les caressant et en les tapant avec un marteau. L’abattage est fixé à une période où les fluides sont minimes dans les fibres. Cinquante mètres cubes d’arbres sont ainsi prélevés chaque année.

Carte d’identité

Localisation: Suisse (Vaud) et France.

Type: Forêt d’épicéas d’altitude.

Surface: 2200 hectares.

Statut: Parc naturel régional Jura Vaudois, site Natura 2000 «Massif du Risoux».