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Histoire de forêt: Les cèdres de Dieu au Liban

Foret cedres dieu liban ALAMY EDWARD PARKER

Cedrus libani, le cèdre des montagnes du Liban, fut convoité pendant des millénaires par presque toutes les civilisations de la Méditerranée antique.

© ALAMY/EDWARD PARKER

On la surnommait «la montagne des parfums», tant la houle de cèdres qui la couvrait encensait l’atmosphère par ses douces odeurs d’aiguilles et de résine. Aujourd’hui, la chaîne du Mont Liban n’est plus entièrement tapissée de bosquets verdoyants, mais plusieurs vestiges de ce paysage subsistent en altitude. La plus remarquable de ces reliques? Une petite centaine d’hectares courant sur le versant occidental du massif, au nord de Beyrouth: la forêt des cèdres de Dieu.

La plus impressionnante, déjà, parce que c’est ici qu’on rencontre les conifères les plus majestueux. Parmi les quelque 375 arbres ayant survécu aux aléas du temps, deux sont âgés d’environ 3000 ans, une dizaine affiche au moins un millénaire d’existence et beaucoup plus encore poussent ici depuis plusieurs siècles. Situé entre 1900 et 2000 mètres d’altitude, ce territoire hors du temps est également l’une des forêts les plus mystiques de la planète.

Sa dimension spirituelle découle de la présence, juste en contrebas, de la vallée de la Qadisha, ou Vallée sainte, un canyon karstique presque inaccessible ayant accueilli les premières communautés chrétiennes au crépuscule de l’Empire romain. Les falaises de calcaire, truffées d’habitats troglodytes creusés depuis l’antiquité, abritent en outre certains des plus vieux monastères du monde.

103 citations dans la Bible

Moines, ermites et populations persécutées réfugiées entre les contreforts de la vallée ont ainsi vu la forêt de cèdres, à quelques pas de là, comme un Eden miraculeux, idéal, de surcroît, pour le bois de construction. Ils n’étaient cependant pas les seuls. Cedrus libani, le cèdre des montagnes du Liban, fut convoité pendant des millénaires par presque toutes les civilisations de la Méditerranée antique.

En témoigne son nom présent dans plusieurs langues anciennes: âsh en égyptien hiéroglyphique, kedros en grec, èrèz en hébreu, cité 103 fois dans la Bible… Dès la fin du néolithique, le cèdre fait tourner les têtes des souverains.

Un dieu antique y règne

La Mésopotamie s’en entiche, comme le prouvent certains passages de l’Épopée de Gilgamesh, l’un des plus anciens textes connus, rédigé au IIIe millénaire avant notre ère, où les protagonistes parcourent des centaines de kilomètres pour se rendre dans la forêt du Mont Liban, réputée être habitée par la divinité Humbaba:

«Du flanc de la montagne, les cèdres élèvent leur luxuriance. Leur ombre est bonne, pleine de délices.»

Jusqu'aux momies égyptiennes

Bien plus tard, c’est-à-dire il y a trois mille ans, le roi Salomon fait venir des tonnes de bois de cèdres du nord du Liban en Israël pour construire le premier temple de Jérusalem. Celui-ci, détruit, sera reconstruit quelques siècles après avec, là encore, des pierres de taille, de l’or et du cèdre. Il faut dire que le conifère, en plus de sentir bon, offre un bois dense et solide, réputé incorruptible et imputrescible grâce à sa résine légèrement amère qui éloigne les parasites.

Les Phéniciens, peuple de commerçants de l’est de la Méditerranée, purent concevoir de grands navires grâce à des éléments taillés dans le cèdre du Liban. Les Égyptiens prisaient quant à eux cet arbre pour leurs sculptures, leurs sarcophages mais aussi leurs momies, dont le processus d’embaumement utilisait un conservateur dérivé de son bois.

Les poètes à ses pieds

Cette quête forestière frénétique menée depuis les quatre coins de la région méditerranéenne n’a évidemment pas arrangé les choses écologiquement parlant. La plupart de la forêt originelle avait ainsi fondu à la fin de l’Antiquité, malgré les efforts de l’empereur romain Hadrien pour sacraliser le site avec 200 bornes disposées à ses limites.

Au XVIIIe siècle, les premiers voyageurs européens crapahutant jusque-là constatent déjà que seuls subsistent des fragments de quelques centaines d’hectares chacun. Fragments qui n’en demeurent pas moins magnétiques pour les visiteurs. La forêt des cèdres de Dieu, notamment, devient l’objet d’un pèlerinage cahoteux de la part des artistes romantiques.

Alphonse de Lamartine est l’un des VIP qui y monte en 1832, visiblement intimidé par la beauté et la pesanteur symbolique des lieux. «Les Cèdres du Liban sont les reliques des siècles et de la nature, les monuments naturels les plus célèbres de l’univers, les vieux témoins des âges écoulés. Ils savent l’histoire de la terre mieux que l’histoire elle-même», déclame le poète dans son Voyage en Orient. Une forêt-livre, une forêt-temple. Un Olympe où les divinités sont des arbres.

Son icône: Khalil Gibran

L’un des plus grands écrivains libanais est né au pied de la forêt des Cèdres de Dieu: en 1883, Gibran Khalil Gibran a en effet vu le jour à Bcharré, la ville la plus proche des versants boisés, située à six kilomètres en contrebas des premiers conifères du site. Parti vivre aux États-Unis dès l’âge de douze ans avec sa famille, il resta néanmoins profondément marqué par la présence immédiate de la fameuse forêt et de la vallée sainte durant son enfance, manifestant un mysticisme alliant christianisme et islam dans ses œuvres:

«As-tu comme moi fait de la forêt ta demeure et déserté les palais / Suivi les rivières et escaladé les rochers / T’es-tu purifié de parfum et imprégné de lumière / As-tu bu le nectar de l’aube dans des coupes sans corps».

D’abord remarqué par ses dessins, il publie plusieurs ouvrages de prose et de poésie en langue arabe, une production majeure qui culminera en 1923 avec la parution de son chef-d’œuvre, Le Prophète, véritable phénomène littéraire qui connaîtra un succès planétaire et sera traduit en quarante langues. Gibran Khalil Gibran a en outre entretenu une correspondance amoureuse avec May Ziadé, pionnière du féminisme et première femme de lettres de langue arabe publiée de son vivant.

Carte d’identité

Localisation: Nord du Liban.

Type: Forêt d’étage montagnard.

Surface: Moins de 100 hectares.

Statut: Réserve forestière, patrimoine mondial de l’humanité (1998).

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