Préservation de la planète
Histoire de forêt: La Vallée de Mai aux Seychelles
Au Moyen Âge et à la Renaissance, les explorateurs mentionnaient parfois de drôles de trouvailles sur les plages de l’océan Indien: d’énormes noix de coco en forme de paire de fesses, échouées sur le sable ou flottant près du rivage sur les côtes de l’Afrique, de l’Inde, des Maldives ou du Sri Lanka. Différentes de tout ce qui poussait sur les terres connues, on leur attribua des origines marines, sûrement des cocotiers s’épanouissant au fond de l’océan, et dont les fruits finissaient par se décrocher et dériver au gré des courants.
Mais le mystère de ces cocos de mer un tantinet racoleurs se dissipa enfin lorsque le corsaire Marion-Dufresne, originaire de Saint-Malo, accosta sur l’Isle des Palmes, aux Seychelles, en 1768, bout de terre découvert vingt-deux ans plus tôt et qui venait tout juste d’être rebaptisé Praslin. Surprise, des milliers d’arbres portant des noix aux allures de postérieurs se dressaient devant lui. La source des cocos-fesses!
Il venait de fouler le sol de la vallée de Mai, une forêt primaire de palmiers unique au monde. Et pour cause: elle est un vestige de la flore du Gondwana, ce supercontinent préhistorique qui rassemblait la moitié des terres émergées de la planète.
Le bruit de la pluie en plein soleil
Cette île des Seychelles, inusable bloc de granite posé sur la croûte terrestre, a survécu assez longtemps aux affres du temps et est restée miraculeusement isolée, au point de garder intact ce Jurassic Park de poche, où les plus grosses bêtes sont des geckos, des lézards et des caméléons.
Si la colonisation progressive de l’archipel par les Français puis les Anglais a été synonyme de déforestation, cet éden végétal insulaire a réussi à garder une certaine intégrité grâce à son décor merveilleux, peuplé de palmiers parfois vieux de 400 ans et dont le crissement des feuilles entre elles imite le bruit de la pluie.
La vallée de Mai fut même consacrée Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco dès 1983, faisant d’elle la plus petite forêt du globe à se voir décerner ce prestigieux label: vingt hectares à peine, l’équivalent de vingt terrains de foot.
Des savants émoustillés
Sa valeur aux yeux des biologistes réside dans la présence de plusieurs espèces de palmiers endémiques à cette île d’une quinzaine de kilomètres de long, dont le fameux coco-fesse et son fruit façon popotin, qui ne pousse qu’ici et sur un îlot voisin. Une bizarrerie de la nature qui n’a jamais cessé de titiller l’imagination, voire la libido, même celle des scientifiques des Lumières les plus sérieux.
Ils la nommèrent ainsi Lodoicea callypige, en référence à Laodicée, la plus belle fille du roi Priam dans l’Iliade, et à l’adjectif callipyge, épithète accompagnant le nom de la déesse Aphrodite dans la mythologie grecque et signifiant «aux fesses harmonieuses». Mais l’épisode historique le plus savoureux autour du coco-fesse est sans conteste celle du voyage du général Charles Gordon.
En mission à Praslin en 1881, cet officier de l’ère coloniale britannique, accessoirement théologien excentrique à ses heures, se persuada que la vallée de Mai était le paradis originel décrit dans la Genèse, et l’île une relique terrestre de Lemuria, continent mythique submergé par le déluge.
Ève s’y casserait les dents
Le coco-fesse serait quant à lui l’arbre du Bien et du Mal, dont le fruit défendu fut mordu par Ève. Enthousiasmé par sa théorie qu’il tenta de démontrer par des analyses inspirées de la kabbale, il rédigea un traité dont les idées essaimèrent dans la société de l’époque… mais y trouvèrent peu d’adeptes crédibles. Pragmatique, le naturaliste Henry Whatley Estridge objecta qu’Ève aurait eu toutes les difficultés du monde à croquer dans cette graine de 50 centimètres d’épaisseur pouvant atteindre 40 kilos, et dont le bois est l’un des plus durs qui existent…
C’est malheureusement cette triviale comparaison anatomique qui, aujourd’hui, menace Lodoicea. Le marché asiatique est friand de ce fruit auquel des croyances anciennes attribuent des propriétés aphrodisiaques. Son prix peut alors atteindre plusieurs milliers de francs. Les quelque 7000 palmiers de la vallée de Mai ont d’ailleurs souffert du braconnage, même si la protection du site, fragile, s’est renforcée ces dernières années.
Demeure la menace de la fourmi folle jaune (oui, c’est le vrai nom de l’espèce), importée par inadvertance par un cargo en 1962, dont les milliers d’individus très agressifs colonisent Praslin et s’attaquent aux animaux utiles à la pollinisation des palmiers. C’est certain, la vallée de Mai est un éden, mais jusqu’à quand?
Son icône: Marianne North, l’une des plus grandes illustratrices du XIXe siècle
Une vie sans mari ni enfant passée à voyager et à exercer son art, une carrière prolifique… Le parcours de Marianne North s’est effectué loin des chemins tout tracés qu’on réservait aux femmes de son époque.
Née en 1830 dans une famille victorienne aisée, où les ambitions politiques se mêlaient à un amour immodéré de l’art, Marianne North a rapidement revendiqué son indépendance pour devenir l’une des plus grandes illustratrices du XIXe siècle, révolutionnant le genre du dessin de végétaux en choisissant la technique de la peinture à l’huile et en représentant les espèces dans leur environnement.
Ne voyant dans le mariage qu’un piège pour reléguer les femmes au statut de «domestique de classe supérieure», selon ses propres mots, elle préféra vivre aux côtés de ses parents jusqu’à leur mort, puis se mit à parcourir le monde en solo pendant une quinzaine d’années, uniquement accompagnée de ses pinceaux, de ses cartons et de ses tubes de couleurs. Son séjour aux Seychelles, et notamment à Praslin, fut l’un des plus marquants: c’est celui qui lui inspira le plus d’œuvres, 45 (dont une consacrée au coco-fesse, image ci-dessus) sur les 832 aujourd’hui exposées aux jardins botaniques royaux de Kew, à Londres.
Carte d’identité
Localisation: Île de Praslin, Seychelles.
Type: Forêt tropicale de basse et moyenne altitude.
Surface: 20 hectares.
Statut: Réserve naturelle de la vallée de Mai, Patrimoine mondial de l’Unesco.
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