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Histoire de forêt: Tongass, l'Amazonie du nord en Alaska
C’est l’Amazonie de l’hémisphère Nord. Et, comme sa consœur tropicale, la forêt de Tongass est devenue, bien malgré elle, la ligne de front entre deux visions opposées du monde: d’un côté, ceux qui voient dans la nature une marchandise comme une autre à exploiter sans états d’âme, et, en face, ceux qui la conçoivent plutôt comme un patrimoine commun n’ayant pas de prix, à préserver et à ne toucher qu’avec les yeux.
Plus grande forêt pluviale tempérée de la planète, la Tongass Forest est en effet, depuis ses origines, balancée entre les dents carnassières des scies et les mains protectrices des écologistes. Il faut dire que cet immense poumon vert du sud de l’Alaska recèle des trésors difficiles à ignorer. Arbres millénaires dessinant des paysages de sagas médiévales, faune abondante de loups, ours, cerfs, chèvres des montagnes, hermines rares et autres pygargues, fjords vierges aux écosystèmes précieux…
Des trésors convoités
Une luxuriance nordique qui se poursuit même sous l’eau, avec des forêts d’algues couvrant les rivages lors du recul des marées et une profusion de faune marine incluant otaries, orques, baleines ou saumons. Selon les scientifiques, la biomasse par mètre carré est tout bonnement plus riche à Tongass que dans la forêt amazonienne.
Tout ce paradis verdoyant coulait des jours paisibles lorsque seuls les indigènes Tlingit peuplaient les lieux, puis l’empire russe s’est emparé de l’Alaska au milieu du XVIIIe siècle, commençant à collecter ce qui lui plaisait dans ce «far est» sauvage, en particulier la fourrure.
L’achat de cette «ultime frontière» par les États-Unis en 1867 vit l’exploitation de la faune et de la flore prendre une tournure plus officielle. Mais, déjà, certaines personnalités prenaient conscience des merveilles de la forêt de Tongass, qu’il fallait tenter de protéger, ou du moins, de mieux encadrer.
La fièvre du bois
Le président Theodore Roosevelt déclare ainsi la zone réserve forestière en 1902, puis instaure le statut de forêt nationale cinq ans plus tard. Une mise sous tutelle des États-Unis qui ne plaît pas aux peuples autochtones vivant depuis toujours des ressources du Tongass: ils y chassent, y pêchent et y prélèvent sporadiquement des arbres, notamment pour ériger leurs monuments rituels. Un procès pionnier pour l’époque oppose alors l’État et les indigènes.
Ceux-ci sont finalement dédommagés à coups de millions de dollars, mais la forêt, elle, va faire toujours plus l’objet de la convoitise des industriels. Entre les années 50 et 80, de gros acteurs du marché du papier concluent des contrats courant sur plusieurs décades, sésames pour une exploitation sans obstacles et des coûts ridicules. La période est marquée par plusieurs procès entre entreprises impliquées et défenseurs de la nature.
Mais un tournant majeur a lieu en 1990 avec la signature du Tongass Timber Reform Act, qui accroît la protection de la forêt et limite les coupes, faisant espérer une nouvelle ère de tranquillité pour la forêt. Cette orientation semble se confirmer lorsque Bill Clinton, quelques jours avant de quitter son poste, fait adopter une réglementation rendant presque impossible toute exploitation forestière et minière dans ces contrées vertes. Du moins jusqu’à ce que Donald Trump arrive à la Maison-Blanche.
Trump contre Biden
Le nouveau président, climatosceptique notoire et peu soucieux de nature dès lors qu’il ne s’agit pas d’un green de golf, annonce en 2019 qu’il va faire annuler les lois protégeant le Tongass de l’exploitation à grande échelle. Il compte déclasser la région du Roadless Rule, un statut spécial empêchant la construction de routes dans le but de garder une zone dans sa forme originelle.
Le nouveau mâle alpha de l’Amérique veut livrer plus de la moitié de la forêt en pâture aux industriels, histoire de favoriser l’économie de cet État aux mains de Républicains conservateurs. Encore pire, cette réforme permettrait de mener des forages de pétrole et de gaz. ONG, intellectuels et scientifiques tentent de faire barrage à cette idée folle, qu’avait déjà essayé de mettre en œuvre George W. Bush lors de ses mandats, mais également, à moindre échelle, Barack Obama.
Coup de théâtre en 2021: le président Joe Biden renverse la vapeur et restaure toutes les protections ôtées par Trump. «La forêt nationale de Tongass est essentielle pour conserver la biodiversité et faire face à la crise climatique», assène alors le secrétaire à l’Agriculture. Rôle de réservoir naturel de captation du CO2, Mecque de l’écotourisme, écrin pour le rayonnement des cultures autochtones… Le Tongass vaut définitivement bien plus debout que découpé en planches.
Son icône: John Muir
Né en 1838, cet Écossais émigre aux États-Unis à l’âge de 11 ans et s’installe dans le Wisconsin. Après une formation scientifique mêlant cours et approche autodidacte, il devient ingénieur, puis s’en va parcourir le pays façon Kerouac en occupant les postes qu’on veut bien donner: berger, conducteur de ferry, géologue, botaniste…
Muir tombe amoureux de la Sierra Nevada et de la vallée de Yosemite, dont l’étude approfondie lui donne l’intuition que ce sont d’anciens glaciers qui ont façonné ce type de paysages, à rebours des théories de l’époque. Il publie plusieurs ouvrages sur ses voyages et devient une personnalité influente des cercles scientifiques, voire politiques: il part randonner et dormir à la belle étoile dans le Yosemite avec le président Roosevelt, qui sera convaincu après cette expérience de créer des parcs nationaux.
L’un des derniers périples de cet écrivain naturaliste, pionnier des luttes écologistes, l’emmène en Alaska en 1899, dont il explore la côte sud en bateau, notamment la forêt de Tongass et ses spectaculaires Misty Fjords, qu’il compare au Yosemite.
Carte d’identité
Localisation: Sud-est de l’Alaska, USA.
Type: Forêt pluviale tempérée.
Surface: 7 millions d’hectares.
Statut: Tongass National Forest.