Science
Hope Jahren raconte les vrais pouvoirs des arbres
A priori, un saule, un radis ou un buisson de myrtilles, c’est banal. Pas pour Hope Jahren. Car même si cela fait plus de vingt-cinq ans que la paléobiologiste et géochimiste mondialement réputée et multirécompensée pour ses travaux se consacre aux végétaux, elle n’en est toujours pas lassée. Au contraire. Auteure des best sellers - La fille qui aimait les arbres (Éd. Quanto) et The Story of More (pas encore traduit), qui parlent notamment d’environnement et de changement climatique, elle vit par, pour et à travers les plantes. Enfin presque, rigole-t-elle. Avant d’ajouter: «Le défi ultime du XXIe siècle, c’est de comprendre comment coexister harmonieusement avec ce monde vivant et indispensable à l’humanité puisqu’il nous fournit du bois, de la nourriture et des médicaments.»
Pour elle, qui poursuit actuellement ses recherches dans son laboratoire de l’Université d’Oslo, entre autres pour comprendre les impacts profonds du CO2 sur les plantes terrestres, les choses sont au fond assez simples: plus on comprendra le fonctionnement intime du végétal, plus on s’y sentira connecté. Et mieux on saura le protéger et cohabiter avec lui en harmonie.
Un vœu pieux? Pas forcément. Parce qu’au fil des découvertes scientifiques, les consciences se sont «un peu» éveillées, constate-t-elle - tout en affirmant qu’il lui semble impossible de rester insensible aux merveilles qui se passent «sous nos yeux». Elle donne quelques exemples…
Les arbres ont des stratégies «voulues»
Comme tout être vivant, les plantes doivent «faire des petits» pour la survie de l’espèce.
On comprend donc que pour mettre un maximum de chances de leur côté, les végétaux en produisent autant qu’ils peuvent. Pourtant, comme le savent les agriculteurs ou les jardiniers, épisodiquement, les fruitiers, par exemple, ne donnent rien. «Et cela sans que le climat ou la météo ne puissent le justifier, raconte la chercheuse.
On n’a pas (encore?) de preuves scientifiques pour expliquer ce phénomène mais mon hypothèse, c’est qu’il s’agit d’une stratégie "voulue" par les plantes, une sorte d’intentionnalité: si des rongeurs, oiseaux, etc. s’habituent à un coin X et se spécialisent dans le type de fruits ou de baies qu’ils y trouvent, leur voracité fait diminuer le nombre de graines potentiellement fécondes.
Donc réduit encore la possibilité de descendance. En bloquant la production de graines certaines années, ils empêchent cette spécialisation puisque les prédateurs doivent se rabattre sur d’autres sources de nourriture.»
Les arbres ont une mémoire
En Norvège, indique Hope Jahren, les forêts sont protégées et font l’objet d’une surveillance depuis 1856. C’est dire si les chercheurs ont du recul! «En l’occurrence, ils ont découvert que les embryons d’arbres qui ont commencé à se développer à des températures élevées se développent très différemment de ceux qui ont commencé à se développer à des températures basses.
Les arbres communiquent sous terre mais aussi par les airs
Depuis quelques années, on sait que les arbres «se parlent» grâce à leur réseau racinaire. Il est aujourd’hui démontré que la communication passe aussi par voie aérienne: «La première étude à ce sujet, menée sur des saules, date du début des années 80. Il a fallu vingt ans pour qu’elle soit prise au sérieux - mais maintenant on sait que les arbres synthétisent et libèrent dans l’atmosphère des molécules appelées composés volatils organiques (COV) qui leur servent notamment à se prévenir entre eux en cas de danger», explique la scientifique.
Elle résume l'expérience des «saules de Sitka»: attaqués par des chenilles, les saules ont réagi en déclenchant une kyrielle de mécanismes chimiques, qui ont abouti à la production à la fois d’une substance toxique pour le «feuillivore» et de COV. Lesquels se sont disséminé tous azimuts – avec une portée de près d’un kilomètre. Si bien que quand les arbres non encore attaqués ont reçu cette alerte, ils ont pu se préparer à «accueillir» les ravageurs en produisant et en stockant du «poison» contre eux.
Par la suite, des chercheurs ont montré que si l’on donne à des chenilles deux types de feuilles - les unes ayant reçu un signal d’alarme, les autres pas - les «préparées à l’attaque» subissaient 20 à 40% de dégâts en moins.
Les plantes ont une «conscience»
«On ne parle évidemment pas de conscience dans son acception humaine: la biologie des végétaux est différente, ils n’ont pas de structure neurologique ni de cerveau, note Hope Jahren. Il n’empêche que tout ce que l’on sait aujourd’hui de leurs capacités comportementales montre qu’il y a quelque chose qui nous échappe encore et que, personnellement, j’aime appeler conscience!»
Pour aller plus loin...
Sorti en 2016 et réédité cette année, La fille qui aimait les arbres (Éd. Quanto) est un best-seller plébiscité par Barack Obama lui-même. On le comprend. Entremêlant habilement son propre parcours de femme scientifique avec celui d’un arbre, de l’éclosion de sa graine à son déclin, ce récit se révèle en effet passionnant. Et éclairant.
De fait, portée à la fois par une curiosité insatiable et une envie de partager ses découvertes, Hope Jahren offre en langage simple et souvent fleuri, une vision d’un monde végétal bien plus vivant et «conscient» qu’il y paraît. Si bien qu’après lecture, on ne regarde plus pousser ses radis tout à fait de la même manière…
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