culture
Une expo photo célèbre les cheveux blancs des femmes
«À 80 ans, ma grand-mère qui s’est teint les cheveux toute sa vie a convoqué la famille pour nous annoncer qu’elle passait désormais au blanc», se remémore Ghislaine Heger. La photographe ne l’a pas ressenti comme une libération, plutôt comme un effacement du monde. Un instant solennel duquel elle garde un souvenir à la fois très fort et triste.
Mais le véritable déclic pour l’exposition itinérante Silver Power – des Romandes fières de leurs cheveux gris a lieu pendant le Covid. Souvenons-nous: face à la pandémie, les hommes sous la coupole du Conseil fédéral décident que les teintures pour cheveux ne font pas partie des biens vitaux. Résultat, des rayons entiers barrés dans les supermarchés et un moment de vérité que certaines femmes ne sont pas près d’oublier, les mêmes qui, quelque temps plus tard, se réjouiront de la réouverture des salons de coiffure.
De tout temps, les cheveux demeurent un sujet fascinant, aussi anthropologique que profondément superficiel. Le sujet ne laisse (presque) personne indifférent. On sculpte les nôtres en se scrutant dans le miroir. On commente ceux des autres, parfois sans même s’en rendre compte.
Des femmes fortes qui ne s’excusent pas
En quête de femmes qui ont décidé de laisser leurs cheveux blancs – pour des raisons aussi multiples que les 101 visages qui font aujourd’hui partie de l’exposition – Ghislaine Heger fait passer le mot dans les cantons. Pour elle, peu importe l’âge, le métier, le statut social ou éventuellement l’orientation politique de ses modèles. D’emblée, elle s’oppose obstinément à émettre tout jugement. La cartographie de son travail documentaire l’emmène aux quatre coins de la Suisse romande.
«Mes réflexions partent de l’humain, je ne cherche pas à être la meilleure photographe techniquement. Ce qui m’intéresse, c’est notre droit à être qui on est, sans avoir besoin de porter un masque et se justifier en permanence. Je suis partie dans un état d’esprit militant, qui s’est teinté de nuances au fur et à mesure de mes rencontres.»
«J’ai envie de montrer qu’une femme est bien plus que son apparence», revendique la cinéaste de formation, dont le projet précédent, Itinéraires entrecoupés, était consacré aux personnes qui ont été ou sont à l’aide sociale.
Les cheveux blancs comme outil de rébellion
Dans une ère obnubilée par la prise de position politique, les cheveux blancs chez les femmes sont souvent érigés comme un cheval de bataille contre les injonctions genrées dans notre société. À Hollywood, les stars désirant se délester de l’insoutenable poids du jeunisme instrumentalisent le naturel comme un outil de rébellion. Ainsi, on a vu Andie MacDowell et Sarah Jessica Parker suivre les pas de Helen Mirren et Jane Fonda.
En France, Lio et Sophie Fontanel ont orchestré leur transition comme on tombe le masque. Plus près de chez nous, la journaliste Claire Burgy a opéré sa transition à l’écran, lorsqu’elle présentait Le 12 h 45 sur la RTS. La journaliste est également la marraine de Silver Power. Pour de nombreux téléspectateurs, sa mue capillaire est considérée comme une prise de position forte.
«Elle a reçu et reçoit encore aujourd’hui un nombre inimaginable de messages de la part de personnes qui lui disent quoi faire ou ne pas faire, concernant ses cheveux, mais aussi son habillement», déplore Ghislaine Heger. Un peu comme si le lot d’une personnalité publique était que son image appartient aux gens. «Elle a un vrai propos sur le sujet, qu’elle affirme de façon assez engagée.»
«C’est tellement cool de vieillir»
Le jour où Ghislaine Heger prend Claire Burgy et sa maman en photo, le compagnon de Claire est présent et partage son enthousiasme pour le projet. Dans la discussion, la photographe lui demande s’il est imaginable pour lui que des inconnus lui fassent régulièrement des remarques ou lui demandent si ses cheveux sont naturels dans la rue. Sa réponse est sans équivoque: «Non, pas du tout.» C’est exactement cette prise de conscience collective que Silver Power questionne. Pourquoi se sent-on en droit de faire des commentaires, même positifs, sur le physique d’une femme?
Au terme de trois ans et demi de travail, l’expo s’apprête à prendre la route. Chaque canton romand aura droit à une visite. La photographe est impatiente que ses modèles découvrent les portraits des autres. Elle se réjouit de l’énergie globale très positive qui se dégage du projet. «Je n’utilise pas forcément le mot sororité, car tout le monde ne s’y reconnaît pas forcément. Mais il y a un lien entre chacune de ces femmes.»
Cerise sur le gâteau, Ghislaine Heger reçoit de la part de l’essayiste Mona Chollet ce qu’elle considère comme une leçon de vie. «Au tout début, j’ai évidemment pensé à elle et je voulais qu’elle fasse partie des Genevoises du projet. Quand je l’ai contactée pour la photo en 2020, j’ai immédiatement senti qu’elle n’était pas super partante. Elle m’a écrit un mail qui a changé ma vie. Elle me dit qu’elle thématise effectivement la question, mais qu’elle pourrait éventuellement se teindre les cheveux un jour. Grâce à elle, j’ai appris que passer le cap – ou peu importe comment on le formule – ne doit pas devenir une nouvelle injonction. Finalement, elle a écrit un texte pour le projet que je trouve très touchant, car elle est très honnête dans sa façon d’exprimer les choses.»
Sa bio express
1980 Naissance à Lausanne
2006 Diplôme à la HEAD – Genève
2017 Parution du livre Itinéraires entrecoupés – Les visages de l’aide sociale et exposition photo itinérante dans toute la Suisse, dont deux ans sur la mythique Prairie du Grütli (2020-2021)
2023 et 2024 Exposition dans toute la Suisse romandeSilver Power – Des Romandes fières de leurs cheveux gris, vernissage mercredi 7 juin 2023 en présence de Nuria Gorrite, Espace 81 à Morges. Plus d'informations en ligne avec les lieux et dates par région