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«Je suis Noires»: Le docu qui dresse le portrait d'afro-descendantes suisses

La deuxieme vie du film je suis noires SEBASTIEN AGNETTI

«Le corps des femmes noires a été tellement exotisé, qu’il semble appartenir à tout le monde, et que quiconque peut se permettre des gestes ou des attitudes réellement irrespectueuses», Rachel M’Bon (à gauche), accompagnée de Juliana Fanjul.

© SEBASTIEN AGNETTI

Il n’y a pas que les humains à pouvoir vivre une deuxième vie, il y a les films aussi. Si nous parlons à nouveau de Je suis Noires, une année après sa sortie, c’est que le documentaire de Juliana Fanjul et Rachel M’Bon passe le 12 mars 2023 à 22h10 sur RTS2, et qu’il est nominé au Prix du cinéma suisse. Il entame sa carrière en Suisse alémanique et est programmé le 21 mars au Théâtre de Vidy, ainsi qu’au Grand Conseil vaudois.

Cette vague de succès réjouit les deux autrices. Parce que ce n’était pas gagné, de parier sur un documentaire parlant des Afro-descendantes suisses, alors qu’il n’y a que 3% de personnes noires (et 1,5% de femmes). En juin 2020, des citoyennes et citoyens investissent les rues pour dénoncer les discriminations raciales. Deux ans plus tôt, Rachel M’Bon avait créé un compte Instagram (@n_o_i_r_e_s), avec l’envie de faire quelque chose de ces voix de Suissesses d’origine africaine. Elle en parle au réalisateur Nicolas Wadimoff. «Akka Films a aimé le projet et m’a mise en contact avec une réalisatrice, Juliana Fanjul. On est allé voir Temps Présent, mais notre projet manquait de débats ou d’enquêtes pour l’émission.»

Les deux femmes avancent cols après cols, ensemble. Juliana: «Ces refus ont été un mal pour un bien. Les difficultés nous ont donné de la force. Et des idées aussi. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit, quitte à ne pas être dans le reportage, autant s’en éloigner! Autant raconter les tripes, et aller jusqu’au bout de notre projet artistique!»

Des tripes et des larmes

Et les tripes, ce sont les souvenirs de Rachel. Le premier qu’elle évoque avec Juliana, qui raconte la honte qu’elle ressentait quand son père venait la chercher à l’école. Rachel devient protagoniste de son propre film, sa voix le fil rouge de ce récit choral, celle qui invite les autres femmes à se livrer, celle qui les embarque dans une aventure collective, celle qui au final contribue à ce que le public soit ému jusqu’aux larmes. Pour la jeune femme, qui n’aime pas se mettre en avant, l’exercice est difficile.

«Je n’avais aucune envie de tout montrer. Ce miroir révélait toutes mes failles. À la fin, au moment du montage, j’ai eu l’impression de ne plus m’appartenir, j’étais enfermée dans un personnage. C’était une période très complexe.»

Juliana confirme. «En plus, il fallait parler aux femmes noires, bien sûr, mais aussi au public blanc. Il y a eu des tensions par moments.»

Cette tension nourrit sans aucun doute le film. Dès sa sortie, il trouve tout de suite un public, dans les festivals mais aussi dans les salles, les écoles, les entreprises, les hôpitaux, confirmant, comme le souhaitait Juliana, «qu’on peut conjuguer qualité et popularité». Rachel M’Bon en devient la porte-parole assumée mais presque à son corps défendant, et Juliana s’efface un peu du générique.

«Ce film m’ignore, comme un enfant qui grandit ignore sa mère», sourit Juliana.

L’autre maman prend plaisir à faire tourner le film et les discussions mais ne veut pas être l’emblème de la cause noire. «On ne livre pas la panoplie des femmes afro-descendantes. Je n’ai pas envie d’être cette figure demandée partout. Un jour je vais aussi lâcher le film.»

Un film à quatre mains

En attendant, quel chemin Je suis Noires a-t-il pris depuis une année? Et ses protagonistes? «Pour elles, le film a eu un impact important, raconte Rachel. Il les a libérées. Brigitte Lembwadio a créé le festival Black Helvetia, Carmel Frohlicher participe à des débats, Khalissa Akadi veut devenir cinéaste, Paula Charles a des projets de théâtre.» Le film a contribué à ce que la place des Afro-descendantes et descendants de Suisse soit discutée. «Le film existe pour dire qu’il y a des personnes qui sont noires de peau, qui ont des origines lointaines et qui sont suisses», rappelle Juliana.

Depuis quelque temps aussi, notre passé en lien avec la période coloniale est débattu, des expositions lui sont consacrées. «On oublie ou on minimise l’Histoire, ajoute Rachel, mais aussi quels imaginaires traversent la société. Ces stéréotypes contribuent aux micro-agressions dont sont victimes les personnes afro-descendantes. Les femmes en particulier. Le corps des femmes noires a été tellement exotisé, qu’il semble appartenir à tout le monde, et que quiconque peut se permettre des gestes ou des attitudes réellement irrespectueuses.»

Pour Juliana, le film lui a permis d’avancer, dans sa vie de femme et de réalisatrice. «Il est important à mes yeux de se soutenir, de ne pas reproduire toujours les mêmes modèles. Ce film a été réalisé à quatre mains et montre que le dialogue est possible: entre les générations, entre les hommes et les femmes, entre les blancs et les noirs. En résumé, on transmet un message d’amour.» 

Bio express

  • Rachel M’Bon est née en 1974 à Billens, dans le canton de Fribourg. Elle suit des études de marketing et communication et effectue son stage de journaliste chez Tamedia. Elle travaille dix ans pour Femina Fashion, Encore, Le Matin Dimanche, 20 minutes, et pour le théâtre de l’Octogone comme responsable communication.
  • En 2018, elle crée le compte Instagram (@n_o_i_r_e_s).
  • En 2023, elle crée l’Association NWAR (Now We Are Rising) et le centre culturel Afropea.
  • Juliana Fanjul est née au Mexique et vit à Genève. Diplômée du Master Cinéma ECAL-HEAD, elle est responsable du département documentaire de l’École de cinéma de Cuba et enseignante à l’EPFL et à la HEAD (Genève).

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