Afro-féminisme
Festival Black Helvetia: Sylvie Makela se bat pour la visibilité des femmes noires
«D’où viens-tu?» La question chargée de sous-entendus désarçonne encore parfois Sylvie Makela. On la lui pose encore souvent. Arrivée en Suisse à l’âge de deux ans, la quadragénaire d’origine congolaise a mis du temps à comprendre pourquoi on ne la considérait pas comme une Lausannoise «légitime».
Si à 43 ans elle se réjouit d’avoir trouvé sa place en affirmant tant sa suissitude que ses racines congolaises, elle reconnaît que le chemin pour y arriver était compliqué. «C’est difficile de se revendiquer Suisse quand on a des origines étrangères qui se voient», explique-t-elle. Un constat partagé par de nombreuses femmes noires ou afro-descendantes en Suisse qui les a menées, sous l’impulsion de l’association Mélanine suisse dont Sylvie est la vice-présidente, à créer le festival Black Helvetia qui aura lieu du 30 septembre au 23 octobre 2022 au Théâtre Populaire Romand à La Chaux-de-Fonds.
Contre les stéréotypes et le sexisme
Une manière d’ouvrir la discussion sur ce que signifie être une femme noire en Suisse aujourd’hui, tant les stéréotypes malmènent encore leur féminité. «Il y a l’accumulation des préjugés sexistes et racistes: notamment autour des corps et de la sexualité des femmes noires. De plus, la référence que constituent les femmes blanches en termes de féminité, raffinement ou beauté, restreint les possibilités des femmes noires. Elles n’ont pas d’autre choix que de se conformer à des standards, parfois très éloignés de leur nature, pour accéder plus facilement à l’emploi, aux médias, aux arts classiques, etc. Lors du festival, nous parlerons de comment dépasser sa position quel que soit son taux de mélanine.»
Tomber le masque
Écolière, Sylvie faisait tout pour ne pas faire de vague. «Je suis d’une génération où on était vraiment peu de filles noires dans les écoles. Les stratégies que je mettais en place pour m’intégrer n’étaient pas conscientes.» Elle se souvient avoir troqué une forme d’exubérance qu’elle associait à la culture congolaise par une discrétion exemplaire en classe. En famille, elle évitait les rassemblements.
Des stratégies épuisantes qui l’étriquent jusqu’à ses 38 ans. Après la naissance de ses deux fils, elle s’interroge et commence à fréquenter des femmes noires qui l’inspirent. «Nous avions un vécu commun et elles m’ont aidée à mettre des mots sur mon expérience.» Toute une constellation d’artistes, intellectuelles, politiciennes, militantes qui ouvre la voie à une transformation profonde.
Jusque dans ses cheveux qu’elle avait longtemps défrisés pour masquer leur texture. Elle fonde alors avec une associée les salons de coiffure Tribus Urbaines, à Lausanne puis à Genève. Un succès et presque une déclaration politique pour affirmer ses différences, questionner les normes, les dépasser, aussi. Son parcours en tant que femme entrepreneuse a de quoi inspirer et elle s’en réjouit. «Ce qui me tient vraiment à cœur, c’est d’emmener les autres avec moi. Si je peux susciter des vocations ou un déclic chez une femme, d’autant plus si elle est afro-descendante, je serais comblée.»
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