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Interview exclusive

De «Mascarade» à MeToo: le monde selon Isabelle Adjani

Le monde selon isabelle adjani H K MARCEL HARTMANN 1

«Je cherche toujours à sauver mon personnage en le jouant, quel qu’il soit.» - Isabelle Adjani - Maquillage Margot Jalouzot, coiffure Raynald Bernard, Stylisme Farouk Chekoufi.

© H&K/MARCEL HARTMANN

Elle est partout. À la télévision, Isabelle Adjani campe Diane de Poitiers dans le téléfilm Diane de Poitiers, la presque reine, un de ces personnages romanesques comme elle seule sait les habiter. En chanson, elle revient avec le haletant et non moins romanesque The Last Goodbye avec The Penelopes, dans un registre qui n’est pas sans rappeler Lana Del Rey ou Charlotte Gainsbourg. Surtout, elle irradie l’écran dans Mascarade, le dernier long-métrage de Nicolas Bedos actuellement en salles.

Derrière elle, l’équipe de tournage monte du matériel par les fenêtres de l’appartement où elle tourne le prochain film de Mélanie Laurent adapté de la BD La Grande Odalisque. L’actrice songe à l’industrie du cinéma, à sa propre filmographie et au chaos du monde aujourd’hui. D’emblée, Isabelle Adjani se révèle particulièrement aimable et d’une humanité rare. De sa voix extrêmement douce, elle ponctue ses réponses de ses rires. Irrésistible, forcément.

FEMINA Dans Mascarade, vous incarnez Martha, une actrice qui tue son ennui à Nice en s’offrant les services d’un jeune mec. Elle est odieuse, mais aussi touchante. On devine une vulnérabilité au fond de son regard. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce personnage?
Isabelle Adjani
Bien que je me sente plutôt proche et solidaire des actrices, Martha n’est pas du tout un personnage qui m’attire. Elle est égocentrique, narcissique, frustrée, manipulatrice… J’avais non seulement sa personnalité, mais également son avenir à inventer, puisque Nicolas Bedos dépeint dans Mascarade le portrait d’une femme en panne et en panique dans sa carrière, mise de côté par l’industrie. Tout ça pour vous dire que ce qui m’a séduite, c’est qu’avec ce rôle, je ne pouvais pas m’ennuyer! (Rires)

Tourner avec Nicolas Bedos, c’était un souhait de votre part?
J’avais été emballée par ses précédents films, Monsieur et Madame Adelman (2017) et La Belle Époque (2019), dont on ne peut que reconnaître la virtuosité de l’écriture et de la mise en scène, tout comme la précision de la direction d’acteurs et d’actrices. Fanny Ardant et Doria Tillier sont chacune impériales de contradictions et de vitalité au féminin dans le deuxième. Tout comme mes partenaires dans Mascarade sont absolument remarquables, Pierre Niney, François Cluzet, Emmanuelle Devos, Laura Morante, Charles Berling. Vous savez, il est important de parler des gens avec lesquels on partage des scènes qui mobilisent toute notre énergie le temps d’un tournage. Dans cette intensité se succèdent des dialogues acerbes, la drôlerie, l’émotion et vice versa. Je n’oublie jamais qu’il faut être deux pour danser le tango.

Marine Vacth trouve ici un rôle marquant grâce au film de Nicolas Bedos, qui restera son ami pour la vie. Un peu comme Audrey Tautou avec Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet. Les actrices encore en devenir me touchent, leur chemin est ardu. Il leur faut à la fois de la chance, de l’endurance et bien du courage. Je pense à ma nièce Zoé, une toute jeune actrice dont le destin artistique m’importe, et pour laquelle je serai toujours là.

Dans le film – et ce n’est pas le premier – on sent chez vous un potentiel comique inexploré. Est-ce un genre qui vous inspire?
Par définition, je n’ai jamais été une actrice dite comique. Le comique, c’est tout un art et un état d’esprit. Si j’aime aussi faire des comédies, c’est en étant sincère. Pour moi, la sincérité dans le jeu est la première qualité à apporter dans une scène écrite pour être amusante. Et ça se produit naturellement si le scénario est juste et qu’on interprète la situation sans artifice. Mon élan vers le rire part de là.

Dans la première scène où Martha apparaît, elle tombe au fond de la piscine, clin d’œil au clip de votre chanson Pull Marine, un classique. Quel regard portez-vous sur cette période de votre carrière, dans les années 80?
Ce qu’il y a de bien avec le temps parfois, pour une actrice, c’est qu’on peut s’en amuser un peu comme un puzzle et jouer avec les codes. Visiblement, la chanson de Gainsbourg est devenue une référence inépuisable! (rires) Vous savez, ce n’est pas tellement à moi de porter un regard analytique sur les époques et les étapes de ma carrière, de 1970 à 2022… (rires) plutôt à ceux qui ont un recul, et ça va du spectateur au critique de cinéma, sans oublier l’humoriste!

Je me prends encore des fous rires avec le sketch sur Marie Stuart où Florence Foresti me taille un costume d’époque, en s’inspirant de la pièce que j’avais jouée au théâtre Marigny à Paris au début des années 2000.
© H&K/MARCEL HARTMANN - Maquillage Margot Jalouzot, coiffure Raynald Bernard, Stylisme Farouk Chekoufi

Ce sketch de Florence Foresti a marqué les esprits en effet, on l’adore! Qu’est-ce qui vous fait rire dedans?
Absolument tout! ça m’a fait beaucoup rire qu’elle se serve de ce personnage tragique pour partir dans ce délire cocasse, j’adore ça. Elle connaît les travers des projections qu’on peut avoir sur une actrice, j’aime cette manière qu’elle a de caricaturer le regard des gens.

Ce sketch a même donné lieu à une réplique qu’on se dit en soirée!
Je ne suis pas folle vous savez, oui c’est très drôle!

Vous la dites vous-même?
Bien sûr (rires)! Cette réplique est devenue une référence!

Vous aviez remis le couvert dans un sketch filmé pour les Césars en 2020 avec Florence Foresti.
Absolument, c’était dans la même veine, dans un univers encore plus délirant que l’imaginaire des gens.

L’impressionnante galerie des personnages que vous avez incarnés jusqu’à présent a ce dénominateur commun: la force de caractère que vous leur apportez. On ne les oublie pas.
Merci pour la force de caractère, par contre je ne sais pas s’il s’agit vraiment de force, je dirais plutôt d’intensité… car une incarnation entièrement traversée est pleine de faiblesses et d’abandon.

Je crois que je cherche toujours à sauver mon personnage en le jouant, quel qu’il soit.

En fait je suis convaincue qu’il n’y a rien de mieux à faire que de toujours chercher à sauver quelque chose de l’humain dans l’humain. C’est un peu ma mystique, ma vocation dans ma mission d’actrice, qui n’est d’ailleurs pas toujours compatible avec ce que veut ou voit un réalisateur ou une réalisatrice. Est-ce pour cette raison qu’une actrice est souvent tentée de passer à la mise en scène un jour? C’est ce qui va finir par m’arriver (rires).

Vous avez des projets concrets?
Pour l’instant, le sujet est encore à l’étude (rires), autant le thème que la manière dont on va le monter, pour une plateforme ou pour le cinéma. C’est ouvert, mais la réflexion est mise en route intérieurement!

La musique, comme une vague, va-et-vient dans votre carrière. Vous venez d’ailleurs de publier The Last Goodbye, une chanson d’amour mélancolique, avec The Penelopes. Avez-vous d’autres projets dans ce domaine-là?
Oui, un album que j’ai commencé il y a un certain nombre d’années, produit et réalisé par Pascal Obispo qui contient des duos avec des chanteurs merveilleux, tels que Benjamin Biolay, Akhenaton, Étienne Daho, Gaëtan Roussel, Seal et Christophe aussi, nous avions enregistré ensemble avant son décès. Pascal attendait une muse qui sublime tous les sons et arrangements, c’était sa condition artistique pour le sortir, il l’a trouvée chez la musicienne Cécile de Laurentis. Nous avons enregistré de nouvelles chansons, le climat musical est très émotionnel, c’est un objet à part, hypnotique, un spectacle sonore dans lequel défilent tous les états amoureux. Le disque sortira au printemps 2023.

Y a-t-il des émotions que vous ressentez mieux en musique qu’au cinéma?
Oh, toutes les émotions peuvent s’exprimer au cinéma, en littérature et en musique. Mais la musique à ce je-ne-sais-quoi de plus, elle sait se passer des images et en cela, elle est peut-être supérieure, et puis il y a ce mystère de la mélodie de la ritournelle…

Vous êtes une des figures les plus emblématiques du cinéma français. Comment voyez-vous son évolution?
L’avenir du cinéma, c’est aussi la question des écrans, qui sont désormais partout, à portée de toutes les mains et de tous les regards. Forcément, ça change la donne! On peut le voir de façon négative et constater tout ce que le cinéma perd avec l’explosion des plateformes. Mais peut-être va-t-il y gagner, paradoxalement. Il est temps de sortir une bonne fois pour toutes de l’opposition stérile plateformes vs cinéma traditionnel. Trouvons plutôt comment aider activement les exploitants pour qu’ils ne désespèrent plus de voir leurs salles désertées depuis les confinements, et aussi une façon créative de donner envie aux jeunes d’aller au cinéma.

Quel est le rôle des femmes à jouer dans le cinéma aujourd’hui?
Au cinéma comme dans la vie, il serait bien que les femmes puissent aider les hommes à jouer leur rôle à eux, pour que ces derniers aident les femmes à jouer tous les rôles (rires)! Pour moi, les femmes sont là pour apporter le regard, l’objectif, d’un désir féminin au cinéma… et ce n’est pas rien. Je pense au film de Truffaut que j’aime le moins, L’homme qui aimait les femmes, moi j’attends avec impatience un film qu’on préférera, j’espère, et qui pourrait s’intituler La femme qui aimait les hommes.

Il y a maintenant cinq ans, l’industrie du cinéma éclatait au grand jour avec le mouvement #MeToo. Quel regard portez-vous sur ce mouvement aujourd’hui?
Cinq ans plus tard, il est intéressant de rappeler que le mouvement fut d’abord un mouvement d’actrices en réaction à l’affaire Weinstein! La première à avoir répondu «Me Too» sur Twitter étant Alyssa Milano, les autres ont toutes suivi. Ainsi le mouvement est devenu énorme en quelques jours. Qui se souvient que c’est grâce aux artistes que les femmes sont allées vers les femmes pour les encourager à libérer leur parole? Grâce à elles, le monde entier a enfin ouvert les yeux sur la nécessité définitive d’abolir le droit de cuissage, y compris mental, qui a fait loi pendant des siècles dans nos sociétés!

Le droit de cuissage au cinéma, l’avez-vous vécu vous-même?

#MeToo est un mouvement encore en devenir, on n’a pas terminé de peler l’oignon. Nous progressons, autant au niveau de la libération de la parole que celle de l’intime, c’est-à-dire se sentir mieux dans sa peau par rapport au droit de dire non, sans plus hésiter. Avant, nous étions tenues par une certaine réserve, une forme de pudeur, d’embarras finalement qu’on retournait contre nous-mêmes. ​

Le monde est en pleine crise, on vous a vue récemment couper une mèche de vos cheveux en soutien des femmes en Iran. Que répondez-vous à celles et ceux qui jugent ce geste superficiel venant d’actrices en Occident?
Je vis mal toutes les agressions culturelles et politiques qui stigmatisent et victimisent les femmes, quel que soit le pays où cela se produit. Même symbolique, un geste solidaire comme celui de se couper une mèche de cheveux, ainsi que nous avons été nombreuses à le faire, célèbres ou inconnues, ne tolère aucune critique à mes yeux, car les Iraniennes nous ont factuellement appelées au secours à travers leurs vidéos essaimées sur les réseaux. Il n’était pas question de ne pas leur répondre.

Alors ce que nous avons fait n’est pas rien et de toute façon, «Rien» ne sert pas à rien. Voilà ce que je répondrais aux détracteurs passifs. En tant que femme et citoyenne du monde, je préférerai toujours agir que ne rien faire!

En ces temps chaotiques, suivez-vous la politique internationale? Y a-t-il un ou une politicienne en particulier qui vous inspire confiance?
La politicienne idéale serait un mélange de Greta Thunberg, Simone Veil et Elizabeth II. Sauf que je ne la vois pas pointer le bout de son pouvoir à l’horizon… Une anti Giorgia Meloni serait la bienvenue en Italie, tout comme un multityrannicide organisé entre le Brésil, la Russie, la Chine, et la liste ne s’arrête même pas là. La maladie mentale qui touche au pouvoir est une nouvelle calamité planétaire. Quels sont les dirigeants sains d’esprit qui occupent aujourd’hui la place? On peut chercher longtemps…

Au lieu de ça, je voudrais profiter de cette interview pour saluer et féliciter Annie Ernaux, première femme française à recevoir le Nobel de Littérature. Annie Ernaux qui écrivait:

«Les choses me sont arrivées pour que j’en rende compte. Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci: que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres.»

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