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«American Girl» sur Netflix, un drame qui crie la nécessité de MeToo

Mila Kunis dans le film American Girl

Ani FaNelli (Mila Kunis) participe au tournage d'un documentaire qui la pousse à faire face aux drames de ses années lycée.

© NETFLIX/SABRINA LANTOS

American Girl, ou Luckiest Girl Alive dans sa version originale, arrive à point nommé. En octobre 2022, MeToo célèbre ses 5 ans. S'il se déroule en 2015, deux ans avant la révélation de l'affaire Weinstein et de l'apparition du hashtag viral sur Twitter, ce film raconte avec éloquence la nécessité de ce mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles. Il nous montre également comment, en quelques années seulement, cette impulsion féministe a permis l'empouvoirement des femmes dans la société.

Le synopsis

2015, donc. Ani FaNelli (Mila Kunis), une jeune new-yorkaise, est rédactrice pour la rubrique sexe d'un magazine féminin. Peu épanouie par les sujets qu'elle traite, principalement orientés sur le plaisir masculin, elle se rêve au New York Times. Mais Ani est surtout absorbée par sa liste de mariage: elle va épouser son fiancé de bonne famille, sorte de caricature de Ken au sourire Colgate. La vie d'apparence parfaite de cette protagoniste un poil snob au dressing hors de prix - en proie parfois à des crises de colère et même à des hallucinations morbides - bascule lorsqu'elle accepte de participer à un documentaire sur la tuerie de masse qui s'est déroulée une quinzaine d'années plus tôt dans son lycée huppé, pour lequel elle a obtenu une bourse. Confrontée à un passé douloureux, Ani se remémore les détails de la fusillade, qui cachent un drame bien plus intime.

Au fil de la narration, la thématique principale du film se dévoile: peu avant le massacre, Ani subit un viol collectif par trois de ses camarades de classe masculins, dont son amoureux de l'époque, lors d'une soirée arrosée. Par la suite, seul un des agresseurs survit à la tuerie. En chaise roulante, il est désormais un militant anti-arme et accuse Ani d'être complice du drame. Grignotée par le souvenir de ses traumatismes, muée par une soif de vengeance nouvelle, en proie à une colère immense enfouie au plus profond de son être, l'héroïne se construit en grandissant un personnage de battante à la réussite sociale éclatante, une vie-pansement, jusqu'à oublier qui elle est vraiment.

Récit d'une survivante

L'histoire d'American Girl est en partie vraie, puisque le film est inspiré de l'expérience de Jessica Knoll, autrice du roman éponyme duquel le film est adapté et également scénariste du projet cinématographique. Victime d'un viol collectif en 1999 à l'âge de 15 ans, l'écrivaine révèle ses inspirations autobiographiques, une année après la publication de son bestseller paru en 2015. Dans la newsletter de Lena Dunham, The Lenny Letter, elle décrit son épreuve et raconte le harcèlement, le slut-shaming, qui a suivi son viol. «Je sais ce que c'est de se renfermer, et de ne pas avoir d'autre choix que de prétendre que tout va bien. Je suis une experte du mode survivant. [...] Comme pour Ani, ma seule possibilité de survivre a été de rire aux blagues de mon violeur [...] et de me concentrer sur le chemin de ma libération. Une fois délivrée, j'étais obnubilée par la nécessité de me réinventer, [...] certaine qu'une bonne garde-robe, un job glamour et une bague au doigt avant 28 ans pourraient transcender ma réputation.»

Donner vie au personnage d'Ani fut l'exutoire de Jessica Knoll, un cheminement thérapeutique pour apaiser sa colère. «J'avais désespérément besoin d'une voix, mais il y avait encore tant de gens que je devais protéger, moi compris, et la fiction m'a permis de jouer sur les deux tableaux», écrit-elle pour Vogue le 11 octobre 2022. Enfin libérée de son besoin de vengeance, elle conclut: «Le soi est la première chose que ces types vous prennent, mais je n'ai plus besoin de me venger, car il n'y a plus rien à venger. J'ai récupéré ce qui est à moi.»

Plus de 20 ans après le viol de l'autrice - et de son personnage - silenciée, peu soutenue, invalidée dans sa souffrance, la société a changé. Le mouvement MeToo est passé par là, a défriché une partie de la honte qui incombe, encore et toujours, aux victimes de violences sexuelles, comme une seconde punition. En 2022, les viols sont enfin entendus, et font même partie de la culture cinématographique, grâce aux films comme American Girl.

Notre avis sur le film

Déconseillé aux moins de 18 ans sur Netflix, American Girl n'est pas sans rappeler la série 13 Reasons Why, sa scène de viol dans la première saison et la thématique du harcèlement scolaire. Le film a des défauts, comme le fait d'introduire deux thématiques lourdes dans un seul propos de deux heures: les tueries de masse dans les écoles aux États-Unis et les violences sexuelles. Si la souffrance de la victime de viol incomprise est palpable et touchante, le massacre paraît n'être qu'un détail, terriblement banal, qui vient dramatiser davantage le récit déjà complexe. L'on regrette également que l'histoire laisse penser qu'une victime de violences peut s'en sortir uniquement grâce à une position de pouvoir dans la société.

Toutefois, Mila Kunis (Sexe entre amis, Jupiter) incarne Ani avec justesse, tout comme Chiara Aurelia, poignante dans son rôle de l'héroïne adolescente. Peu attachante au début du récit, la protagoniste incarne le rôle délicat de la «mauvaise victime», la femme slut-shamée parce qu'elle a des relations avec des hommes ou pour ses désirs. Celle qui ne serait pas digne de compassion. Celle qui aurait mérité ce qui lui est arrivé. D'ailleurs, lorsque sa mère apprend qu'Ani a eu des rapports avec des garçons, elle se met en colère et lui reproche son comportement, sans soutenir sa fille, se préoccupant uniquement de sa réputation.

American Girl survole également la question de comment sont traités les hommes accusés de violences sexuelles. Le violeur survivant d'Ani, le militant anti-arme en chaise roulante, auteur adoré par une partie de l'Amérique, est toujours défendu, même lorsque son acte est rendu public. Une situation qui résonne avec notre réalité: car bien peu nombreux sont les hommes puissants qui tombent pour avoir perpétré des actes similaires, malgré les témoignages de femmes.

Une seule raison pour visionner ce film? Son message: non, vous n'êtes pas seule. De nombreuses voix de survivantes ne demandent qu'à être écoutées et comprises. Et grâce notamment au mouvement collectif MeToo, ces paroles peuvent désormais être entendues.

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