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décryptage

Mode: Où sont passées les grandes tailles?

Mais que s’est-il passé en 2023? Il y a cinq ans, les maisons de prêt-à-porter revoyaient leurs castings et ouvraient la voie à plus de diversité. Les magazines féminins montraient des campagnes de lingerie portées par des femmes aux cheveux gris ou aux hanches généreuses, laissant entrevoir rides et vergetures. Et puis soudain, plus rien. Pour présenter leurs collections automne-hiver 2023, puis printemps-été 2024, les marques se sont tournées vers des corps minces, voire maigres. Clavicules saillantes chez Gucci, joues creusées chez Ann Demeulemeester, jambes ultrafines chez Celine, le ton est donné: les corps filiformes sont de retour sur les podiums.

«Aucune marque chez LVMH n’a inclus de mannequin plus size dans son casting et seulement deux marques l’ont fait chez Kering: Alexander McQueen et Balenciaga», observe Albane Desazars de Montgailhard, fashion insights analyst chez Tagwalk.

Silhouette femme en top ajouré et jupe noire devant podium noir, défilé printemps-été 2024 d'Ann Demeulemeester.
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Ann Demeulemeester, défilé printemps-été 2024.

© LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT
silhouette femme en robe blanche avec sac et bottines noires dans une bibliothèque en bois avec lampes turquoises, défilé printemps-été 2024 de Celine.
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Celine, défilé printemps-été 2024.

© LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT - COURTESY OF CELINE

Quelques courbes et puis s’en vont

Entre 2007 et 2015, plusieurs lois françaises interdisent aux organismes de mode d’engager des mannequins à l’indice de masse corporelle inférieur à 18,5. Pour la première fois, en 2017, les groupes concurrents LVMH et Kering se mettent d’accord pour concevoir une charte dédiée au bien-être et à la santé des mannequins hommes et femmes. En 2018, le hashtag #Bodypositive devient l’un des plus populaires des réseaux sociaux, comptant 6 millions d’occurrences sur Instagram, selon Franceinfo.

Dès lors, les défilés voient apparaître des mannequins aux courbes plus généreuses comme Paloma Elsesser, Precious Lee, Jill Kortleve (malgré son petit 40), ou Ashley Graham, qui promenaient leurs silhouettes sur les podiums de Jacquemus, Michael Kors, Alexander McQueen, Mugler, Balmain, Fendi.

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La mannequin plus size Jil Kortleve, au défilé printemps-été 2021 de Chanel.

© LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT
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La mannequin plus size Ashley Graham, au défilé printemps-été 2024 de Dolce & Gabbana.

© LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT

Pour son numéro de mai 2018, le magazine Vogue UK publie sa «une» illustrant des gabarits hétéroclites, aux origines ethniques diverses. Plus select que son cousin anglais, le Vogue US attendra deux ans avant de mettre, pour la première fois, la chanteuse Lizzo en couverture, en septembre 2020.

«C’est dramatique. On a traversé deux ans et demi où il y a eu une prise de conscience au niveau de l’inclusivité dans la mode. Prise de conscience qui a été vraiment, vraiment minime. En tout cas, sur les podiums, ça n’a pas été une révolution, mais on a vu des mannequins plus size comme Paloma Elsesser, Precious Lee, qui ont beaucoup plus défilé que d’autres femmes. Et sur cette saison printemps-été 2024, ces femmes ont disparu des podiums», explique Dinah Sultan, styliste et prévisionniste des tendances chez Peclers, Paris.

Après des défilés et des campagnes de mode pleins d’espoirs, le secteur se déconfine en laissant place à l’esthétique heroin chic. Une tendance popularisée entre les années 1990 et 2000, dont la mannequin Kate Moss était la figure de proue en raison de sa silhouette frêle (qui lui a valu d’ailleurs le nom de brindille) mais aussi de ses problèmes d’addictions.

Silhouette femme en top bustier noir et jupe rose pale devant fond orange, défilé printemps-été 2024 de Louis Vuitton
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Louis Vuitton, défilé printemps-été 2024.

© LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT

La minceur, la recette gagnante du luxe

Aujourd’hui, le prêt-à-porter de luxe revient à ses codes conservateurs. En témoignent les tendances Quiet Luxury et Y2K, la première invitant à un luxe discret, la seconde ressuscitant la mode des années 2000. Une époque durant laquelle les créateurs préféraient les corps filiformes pour présenter leurs jeans taille basse et tops raccourcis. «Je pense que la mode et le luxe ont ce travers de ne pas se remettre en question. Le référentiel de la mode et du mannequin dans la mode, en tout cas, c’est la minceur et ça restera toujours la minceur. Tant qu’il n’y a pas un changement de paradigme global, la mode reviendra toujours à ce qui la rassure, c’est-à-dire des corps minces qui portent des vêtements», ajoute Dinah Sultan.

En somme, l’industrie du luxe à tout à gagner en préférant l’exclusivité à l’inclusivité dans ses défilés. En faisant porter des vêtements par des corps éloignés de la réalité, la mode ajoute une plus-value à ses créations: celle de l’inaccessibilité. «Ça a toujours été cette tension qui fait que le luxe fonctionne. Pour cette raison aussi, les catégories accessoires (souliers et maroquinerie) sont des pans très importants du luxe, parce que là, pour le coup, il y a une notion d’inclusivité, parce que tout le monde peut s’acheter un sac, quel que soit son morphotype. C’est pareil pour les produits de beauté. Donc, les clients qui sont exclus par le vêtement vont revenir dans le luxe par d’autres points d’entrée», poursuit Dinah Sultan.

S’ajoute à cela la notion de vendre du rêve.

«La mode défile pour le show, pour la presse, pour l’image de marque […]. Ça ne représente vraiment pas la réalité des choses», explique Louis-Michel Deck, General Manager chez Siegel & Stockman, un fabricant de bustes pour ateliers de couture depuis 1867.

Impression d'élégance et de fluidité

Pour les créateurs aussi, la dominance de silhouettes longilignes facilite la lecture de leurs créations, comme l’expliquent Asia, responsable du booking, et Sandy, responsable relations publiques chez Square Models Agency à Lausanne: «Il est vrai que l’industrie de la mode est depuis longtemps associée à des mannequins aux silhouettes longilignes, il s’avère que la hauteur et les mensurations des mannequins, jouent un rôle essentiel dans la présentation des créations de mode. Les mannequins sont souvent considérées comme un canevas universel. Elles mettent en valeur les lignes et les textures des vêtements de manière optimale. Leurs corps élancés permettent aux créateurs de présenter leurs designs sans distorsion, cela donne une impression d’élégance et de fluidité. Cela ne représente peut-être pas les physiques universels mais nous sommes dans le spectacle!»

Pour trouver des corps auxquels on peut s’identifier, il faut se rendre du côté du marché de masse, qui désormais préfère inclure les grandes tailles à leurs lignes au lieu de proposer une gamme spécifique. «Par exemple, H&M a supprimé sa marque Plus Size, tout comme l’a fait Mango avec sa marque nommée Violetta, rappelle Dinah Sultan. En fait, ils ont fait un travail qui, pour moi, est beaucoup plus intelligent: intégrer un sizing augmenté dans leurs collections actuelles. Ça ne touche pas forcément tous les vêtements, mais aujourd’hui, et même chez Zara, il y a du double XL, du triple XL […]. Je trouve que la promesse est plutôt tenue dans ce qu’on attend du mass market aujourd’hui.»

Côté luxe, le chemin de l’inclusivité est encore long, même si l’on voit des designers comme Ester Manas qui font de la grande taille une signature.

«On observe une évolution positive chez certaines marques mais surtout du côté des créateurs émergents comme Karoline Vitto dont le casting était composé à 100% de mannequins plus size […].

En résumé, on observe des progrès significatifs concernant l’inclusion de mannequins plus size dans l’industrie. Cependant, il reste encore du travail à faire pour que cela devienne une norme généralisée», conclut Albane Desazars de Montgailhard.

C'était mieux avant?

À l’image des top models des 90s, Naomi Campbell et Cindy Crawford, incarnaient malgré leurs courbes subtiles une certaine image de la fille en bonne santé - du moins sur les podiums. Leur aura spectaculaire qui faisait de l’ombre aux vêtements créés par les stylistes, a rapidement été remplacée par des gabarits plus fluets et surtout anonymes.

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Naomi Campbell au défilé printemps-été 1993-94 de Chanel.

© GETTY IMAGES/VICTOR VIRGILE
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Cindy Crawford au défilé printemps-été 1993-94 de Chanel.

© DANIEL SIMON/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES

D’où vient le culte de la minceur?

Dans la mode, les corps minces apparaissent au début du XXe siècle. Une période qui coïncide avec la vente de vêtements finis produits par les grands magasins (apparus au cours du XIXe). En 1920, l’arrivée de Gabrielle «Coco» Chanel, va bouleverser les codes esthétiques du corps féminin. Si bien que ses clientes chercheront à être aussi «maigres» que la créatrice, ce que confirme Dinah Sultan: «Le corps sans formes a été vraiment déployé dans ces années-là et ça a été encore plus exploré quand le prêt-à-porter est arrivé dans les années 50.» Pour la première fois, le couturier Christian Dior présente sa collection de prêt-à-porter aux États-Unis avec la promesse d’habiller sa clientèle sans passer par la case retouches.

«Pour créer ce prêt-à-porter, il y a eu besoin de standardiser les tailles et les gradations de vêtements, donc dans le patronage. C’est plutôt arrivé, je dirais, par un besoin d’industrialisation plutôt que par un designer spécifique», poursuit Dinah Sultan.

Dans la même lignée que ces prédécesseurs, Yves Saint Laurent impose lui aussi une silhouette longiligne pour présenter ses collections. «Et on ne peut pas négliger les key opinion leaders de l’époque, souvent les actrices ou les chanteuses de variété, qui ont participé vraiment à installer cette norme physique aux yeux de toutes les femmes», ajoute Dinah Sultan. L’influence de la presse féminine, elle, s’est développée à partir des années 1970.

«Évidemment, il y avait Vogue, mais on a pu voir apparaître Biba, par exemple, qui, je pense, a amplifié cette idée que tous les corps de femmes doivent répondre à des injonctions, qui sont toutes les mêmes», conclut Dinah Sultan.

Le scandale des recrutements de mannequins dans un camp de réfugiés au Kenya

Au mois d'octobre 2023, le Sunday Times mettait en lumière les agissements choquants d’une agence de mannequins internationale nommée Select. Cette dernière est allée jusqu’au camp de réfugiés de Kakuma, ville située dans le comté de Turkana au Kenya, pour sélectionner des nouveaux visages, destinés à défiler durant les semaines de la mode. Le problème? Après quelques mois sans avoir décroché de contrat prometteur, un bon nombre de ces espoirs se sont vus rapatriés de force et sans explication dans leurs pays d’origine. Avec à la clé des dettes quasi-impossibles à rembourser auprès de l’agence qui, de surcroît, les empêchent de signer de nouveaux contrats leur permettant d’obtenir un revenu.

Un comportement abusif que dénonce Achol Malual Jau, une mannequin sud-soudanaise de 23 ans, à qui l’agence réclame près de 3000 euros pour couvrir les frais de son voyage en Europe. Cette expérience fait écho au parcours de Mari Malek, une autre mannequin sud-soudanaise et ancienne réfugiée. Désormais basée à New York, la jeune femme a créé l’organisation Runways To Freedom (chemins vers la liberté). Par le slogan «We are not a trend» (nous ne sommes pas une tendance), l’association défend et soutient les mannequins vulnérables en proie aux injustices du métier.


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