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Gabrielle Huguenot, la créatrice suisse qui envoûte la mode

Gabrielle huguenot la creatrice suisse qui envoute la mode

La créatrice Gabrielle Huguenot est l'unique suissesse a participé au festival international de mode et d’accessoires d’Hyères (du 12 au 15 octobre 2023).

© STEVEN MICHELSEN

Mise à jour du 16 octobre 2023: Gabrielle Huguenot a remporté le grand prix du jury accessoires du festival international de mode et d’accessoires d’Hyères.

Mode? Art? Design? Fetish? Tout cela à la fois? Les créations de Gabrielle Huguenot n’entrent dans aucune case préformatée. Et c’est précisément ce qui les rend singulièrement spectaculaires. Surtout dans une ère empreinte d’un conformisme glorifiant les quotas. En 2022, telle une reine païenne hypnotique, elle envoûtait le défilé de la HEAD - Genève dans sa propre création. Un choix fondamental répondant à son exigence de ne pas fétichiser le corps d’une autre. L’aboutissement de son travail en master donnait alors lieu à une collection – pour autant que l’on puisse la nommer ainsi – intitulée Artificial Flowers Also Need Water. Dans la salle obscure, son visage était dans l’ombre. Seule la peau de son corps était éclairée durant sa déambulation. Ses jambes et ses bras étaient couverts de velours noir. Tel un présentoir humain, son buste était recouvert d’une cascade de chaînes et d’anneaux incrustés de pierres miroitantes, qui suivaient les mouvements de son corps dans un frémissement métallique.

Prix Master Firmenich

Au passage, elle raflait le Prix Master Firmenich, décerné par l’entreprise suisse de création de fragrances basée à Genève. Émergeant du vide, elle créait la mythologie de sa femme serpent en apparaissant parée de noir et d’argent. «Quand je vois mon reflet dans cette image, j’appelle ça le syndrome Dalida ou Marie Laforêt, s’amuse-t-elle. Dans une interview dans laquelle on lui demandait si elle parvenait à rester elle-même en société, elle avait répondu: «Vous parlez de Marie Laforêt? Je ne la connais pas du tout. C’est une femme, au demeurant, charmante, mais ce n’est pas moi. C’est moi qui sors, c’est elle qu’on regarde.»

Dans la vie de tous les jours, Gabrielle Huguenot n’est pas moins fellinienne que son alter ego. Rendez-vous est pris au Matcha Club à Zurich, au beau milieu d’un quartier grouillant de businessmen, à deux pas de la Bahnhofstrasse. Les cheveux rassemblés vers l’arrière, elle arrive dans une jupe étroite, une veste tailleur cintrée par une ceinture à maillons, juchée sur des bottines à talons épais. Le contraste entre la blancheur de l’endroit minimaliste et la silhouette graphique de la designer rappelle le Korova Milk-Bar dans lequel Alex et ses droogs boivent du lait dans le film Orange mécanique de Stanley Kubrick. «Ce qui me plaît dans cet endroit, ce sont les parallèles que j’y vois avec un film comme The Stepford Wives (1975), dans lequel les femmes sont remplacées par des robots. J’adore ce côté un peu culte, c’est une sorte de stéréotype féminin poussé à l’extrême, qui pourrait même devenir angoissant». Elle commande un lavender matcha froid.

D'Hyères à Zurich

Gabrielle Huguenot enchaîne les projets. En pleine préparation pour le festival international de mode et d’accessoires d’Hyères (du 12 au 15 octobre 2023) et où elle est l’unique Suissesse sélectionnée cette année, elle performait, début septembre, dans ses nouvelles créations au Kunsthaus de Zurich dans le cadre de Mode Suisse. Originaire de Fribourg, elle vit à Zurich depuis plusieurs années. Elle ambitionne d’y établir sa marque. Sauf que son univers inclassable intimide les mœurs inhibées. «Quand je postule pour obtenir des soutiens auprès de certaines fondations spécialisées dans les métiers de la création, la grande majorité a des réactions du genre: «Tu gagnes des prix et c’est bien mérité. Ce que tu fais est très fort, mais pas chez nous.» Une marque ne se limite pourtant pas à l’image, ce sont aussi les processus et la manière de travailler qui la définissent.»

Intègre jusqu’au bout, Gabrielle Huguenot n’est pas prête à faire des concessions, encore moins à corrompre sa démarche artistique à des fins purement commerciales. Elle contourne les travers de la mode qui, tantôt opportuniste, tantôt amnésique, n’hésite pas à faire du greenwashing ou de la réappropriation dans l’objectif de vendre toujours plus, tout en lavant la mauvaise conscience collective.

Gabrielle Huguenot dans une mise en scène très cinématographique de ses dernières créations présentées cette année durant la 38e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires d’Hyères, en France. © STEVEN MICHELSEN

Le sujet de Gabrielle Huguenot est le fétichisme. «Le fetish est esthétiquement très intéressant, car il amène cette dimension de fonctionnalité. Tout en demeurant un attrait esthétique, on peut imaginer l’objet devenir plus qu’une bague ou qu’un collier.» En ce sens, ses créations répondent littéralement à la définition du design et de sa fonctionnalité. «En ouvrant un peu la notion, on en revient au rapport au corps sur lequel on ajoute un objet. Désirer un sac Hermès, c’est aussi du fétichisme. On crée inconsciemment l’envie de cet objet.»

Ce qui passionne Gabrielle Huguenot, c’est la création d’une tension dans l’objet. Elle en est consciente, terrain de fantasmes infini, le fétichisme a une réputation sulfureuse. Souvent par méconnaissance. «Il y a ce cliché un peu obscur, la petite boutique du fond de la rue. Les codes du fétichisme se construisent autour d’une communauté minoritaire. Aujourd’hui, de multiples chemins sont possibles, certaines personnes s’en inspirent pour la provoc et la mode ne se prive pas de se l’approprier pour l’utiliser sur le podium, alors que tout le monde sait que personne n’assumera dans la rue. Je souhaite contribuer à faire évoluer cette image en proposant une alternative.»

Variations sur le même thème

Après un processus de plusieurs mois avec Firmenich, elle ajoute aujourd’hui une dimension à son art sensoriel qui se cristallise sous la forme d’un parfum baptisé Négligence. «Nous avons travaillé sur des odeurs corporelles. L’enjeu était de proposer quelque chose de déroutant, un peu interdit, rebelle et dans un registre intime.» L’enfance de son art prend racine dans de nombreuses références cinématographiques. On n’imagine pas la petite Gabrielle Huguenot s’identifier à une princesse biberonnée à l’eau de rose et qui rêve du prince charmant. Aussi loin qu’elle se souvienne, ce sont les femmes fatales qui nourrissent son imaginaire. À commencer par Maléfique dans La Belle au bois dormant. «Enfant, j’étais captivée par ce côté drama, ce beau parler, ces tournures de phrases bien amenées. Finalement, on comprend qu’elle est une business woman avant l’heure. Elle n’a pas besoin d’un mec pour y arriver et c’est elle qui affronte le prince.»

La liste (non exhaustive) des figures inspiratrices de la femme serpent de Gabrielle Huguenot

© GETTY IMAGES/WILLIAM KAREL - ALAMY/IMAGO MARY EVANS

De g. à d. Maléfique, l’autoproclamée «maîtresse absolue du mal» dans La Belle au bois dormant des studios Disney (1959). Fanny Ardant, qui porte si bien son nom. Isabella Rossellini dans Death Becomes Her (La mort vous va si bien) de Robert Zemeckis (1992). Chanteuse, actrice, autrice et compositrice, Marie Laforêt savait tout faire. Anita Ekberg dans les sketchs Les Tentations du docteur Antoine de Federico Fellini dans Boccace 70 (1962). Luisa Casati, la marquise italienne, riche héritière et mécène de nombreux artistes.

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