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Banni par Netflix, le corset est idolâtré par la mode
Début mars 2023, les chaînes Netflix, ITV et BBC se sont mises d’accord pour exclure le port du corset des films d’époque. Les actrices en ont marre de souffrir dans ce vêtement qui entrave leurs mouvements et qui les empêche de respirer normalement. À l’autre bout du spectre, dans l’univers du prêt-à-porter, le corset fait son grand retour.
Ainsi chez Christian Dior, la pièce se porte par-dessus un débardeur ou sur une chemise, tout comme chez Erdem. Jacquemus, Sportmax et Giambattista Valli jouent la carte romantique avec des modèles aux teintes pastel. Plus fonctionnel, mais pas moins esthétique, le modèle imaginé par Balmain s’équipe d’une fermeture éclair. Avec l’avènement du féminisme et de la mouvance Body Positive, le retour d’un vêtement perçu comme contraignant pour la femme semble paradoxal. Une contradiction qui trouve ses raisons en se replongeant dans l’histoire du corset.
Bonne posture et sculpture de silhouette
L’ancêtre du corset fait son apparition au XVIIIe siècle. «Il est constitué de tiges faites à partir de fanons de baleines, qui ont l’avantage d’être très souples et à la fois solides. De ce fait, ce corps à baleine est très agréable à porter», explique Lulu Wite, corsetière et artiste burlesque. Son laçage dans le dos permet de l’ajuster au corps sans le contraindre. De forme conique, il aplatit la poitrine et compose une silhouette en V. Symbole de bonne morale, la pièce trouve place aussi bien dans le vestiaire de Marie-Antoinette que dans celui d’une paysanne.
À la moitié du XIXe siècle, le corset à proprement parler apparaît et dessine une nouvelle silhouette en forme de sablier: avec des hanches larges et une poitrine qui n’est plus écrasée. «Historiquement, le corset est un outil qui sert à modeler le corps et qui répond à des canons de beauté. Depuis ses débuts, il est un objet de mode», explique Aude Fellay, historienne de la mode et enseignante à HEAD-Genève. La Révolution Industrielle voit apparaître le développement de nouvelles techniques de confection et l’acier souple remplace l’usage des fanons de baleine. La mode devient l’espace d’expression des femmes, cantonnées aux tâches domestiques. «On trouve d’ailleurs des brevets déposés par des femmes qui ont inventé des techniques pour créer des corsets confortables (…). C’est un univers où les femmes développent leurs compétences», poursuit Lulu Wite. Mais cette forme d’indépendance se voit dévalorisée par les hommes, qui commencent à critiquer le corset. Certains médecins affirment qu’il est dangereux pour la santé. La propagande anticorset bat son plein, on l’accuse d’être responsable de fausses couches, de comprimer les organes et de déformer les côtes.
Avec la Révolution française, l’accessoire de la noblesse nantie et paresseuse datant de l’Ancien Régime tombe en désuétude. La mode féminine est aux textures légères, inspirées de l’Antiquité, à l’image des robes de style Empire.
Le corset 2.0, un vêtement comme un autre
À la Belle Époque, le corset revient sculpter la silhouette, mais en forme de S cette fois-ci: projetant la poitrine en avant et les hanches en arrière. À nouveau, médecins, réformateurs du costume et féministes s’insurgent contre le port du corset, tandis que les couturiers comme Herminie Cadolle, Paul Poiret ou Madeleine Vionnet le font évoluer, quitte à libérer la femme en réalisant des vêtements plus adaptés à leur quotidien. Si la Première Guerre mondiale marque une rupture dans l’usage du corset, les années 1930 célèbrent son érotisation. Le corset du XIXe devient ainsi un objet de fantasme, porté par les milieux fetish et BDSM, mais aussi par des pin-up, à l’image de Betty Page.
Avec l’arrivée du lycra dans les années 1960, la gaine succède au corset, garantissant elle aussi de galber la silhouette. Et parce que la mode est un éternel recommencement, les tendances punk et gothique le font ressurgir. Des stylistes comme Vivienne Westwood ou Jean Paul Gaultier réinterprètent la pièce et lui ajoutent une touche powerful. En 1990, Madonna adopte le modèle iconique aux seins coniques, réalisé par le couturier français peroxydé, pour son Blond Ambition Tour.
Grâce à la pop culture, le corset devient presque un vêtement comme un autre. «Après quatre cents ans d’histoire, le corset se détache des projections des «condamnantes» du passé.
Trois questions à Lulu Wite, corsetière et artiste burlesque
Est-ce que, jadis, on s’évanouissait vraiment à cause des corsets?
Les évanouissements étaient populaires dans le théâtre au XIXe siècle, où régnait le concept de la femme fragile: une mise en scène où, à la moindre émotion, la femme tombait en pâmoison. Au cinéma, l’évanouissement causé par le corset est apparu dans la seconde moitié du XXe siècle, mais on n’a pourtant aucune preuve historique.
Mais dans les faits, le corset ne fait-il pas souffrir les actrices?
Un corset ne fait pas souffrir lorsqu’il est adapté correctement à la personne. Dans le milieu du cinéma, Il arrive souvent qu’on doive habiller les actrices avec des corsets non ajustés à leurs mesures. On demande aux corsetières de serrer le corset afin d’affiner les silhouettes, dans le but de faire correspondre le corps des actrices à notre idéal de taille fine d’aujourd’hui, et non pas à la réalité des femmes de l’époque.
Pourquoi le corset persiste-t-il dans le burlesque?
C’est un des éléments du costume mythique et traditionnel du burlesque. Depuis les années 1990, ce mouvement permet aux femmes de se réapproprier un espace d’expression de leur sensualité, de leurs corps sous toutes les formes. Le corset dans le burlesque est clairement un élément libérateur et «empouvoirant».