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Handicaps: Le blog «Tu es canon» milite pour une mode inclusive
Tout le monde s’habille, mais tout le monde n’a pas forcément les mêmes besoins. Et si la mode tend à devenir plus inclusive et qu’une voie s’ouvre progressivement, il y a encore du chemin à faire. Sensibiliser le débat public, des designers aux distributeurs en passant par les écoles, tout en apportant un soutien aux personnes en situation de handicap, c’est le rôle du programme Tu es canon, lancé il y a trois ans par l’Association ASA-Handicap mental, à travers des colloques et un blog. Teresa Maranzano, sa responsable, vient de coécrire avec Elisa Fulco un livre, Tu es canon, manifeste de la mode inclusive, faisant un bilan de la situation. Elle répond à nos questions.
FEMINA Déjà, qu’est-ce que la mode inclusive?
Teresa Maranzano C’est une mode qui s’adapte aux différentes morphologies, aux diverses formes de mobilité et qui permet aux personnes qui ne se sentent pas représentées par la mode de l’être. C’est une communauté importante, puisqu’en Suisse, environ un quart de la population est touché, tous handicaps confondus, y compris ceux qui surviennent avec l’âge.
Quel type d’actions menez-vous?
Nous avons développé une action qui vise à rendre l’expérience d’achat plus agréable pour les personnes en situation de handicap. Le programme s’adresse aux directeurs de magasins, afin qu’ils mettent en place des systèmes adaptés, comme l’accessibilité des lieux ou l’éclairage. Il s’agit également de sensibiliser le personnel de vente à la question. Nous avons aussi démarré un atelier en collaboration avec l’ECAL et le Senior-Lab sur lequel les étudiants de Bachelor en design industriel ont travaillé sur la conception de systèmes de fermeture faciles à utiliser. Et d’une manière générale, à notre échelle, notre rôle est d’informer les personnes concernées de leurs droits, des demandes qu’elles peuvent adresser au milieu de la mode et de les accompagner dans ce processus en les impliquant.
On parle beaucoup de body positivisme, comment influence-t-il l’inclusivité?
Les personnes handicapées peuvent se reconnaître dans les mêmes types de discriminations que les personnes plus size, par exemple. Le discours proposé par le body positivisme est d’être soi-même en prônant l’auto acceptation. Il demande au monde de la mode d’accepter tous les corps tels qu’ils sont, au-delà de canons de beauté standards. Au fond, ils représentent une élite.
Comment faire évoluer ces canons de beauté?
On assiste à une vague de mouvements sociétaux qui contribuent à faire bouger les lignes. Des groupes de minorités montent au créneau pour défendre leurs droits et être respectés et représentés avec dignité. Par exemple, les mouvements féministes militent pour que les corps des femmes soient aussi représentés autrement et dans leur diversité, tout comme les mouvements LGBTQIA+. Les personnes handicapées ne sont pas en reste, elles s’affichent plus, notamment sur les réseaux sociaux.
Comment évolue l’industrie de la mode?
L’industrie semble consciente de la nécessité de revoir les canons. Par exemple, la Chambre de la mode milanaise a édité un manifeste sur l’inclusion et la diversité en 2019. Il y a une volonté de rendre l’inclusivité systémique, c’est-à-dire de ne pas se limiter à faire des campagnes publicitaires ou des défilés avec des gens en situation de handicap, mais une inclusion à 360 degrés, dans tous les corps de métiers, du design au retail. L’an dernier, Zalando a présenté une campagne afin de promouvoir toutes les marques qui s’engagent dans l’inclusivité. Le distributeur a confié le projet à une agence qui est entièrement inclusive à toutes les étapes de création, y compris les modèles. C’est cette forme d’empowerment qui nous intéresse.
N’est-ce pas une forme de «social washing»?
Il faut être attentif au décalage entre paroles et actes. Il est facile d’écrire un manifeste d’intention, mais plus difficile de se donner les moyens de le mettre en place.
Il faut dénoncer le social washing quand c’est le cas, mais il faut bien commencer quelque part.
Quelles marques ont fait des avancées significatives dans le domaine?
Tommy Hilfiger est une marque très engagée, mais ce n’est pas un hasard, la famille du créateur compte trois enfants handicapés. Il soutient également la formation et la recherche dans les universités. Dans le domaine du sport, Nike est une marque très active. D’ailleurs, elle se doit d’être à l’avant-garde du design, notamment par des innovations performantes. Les sportifs paralympiques sont nombreux et ils représentent un marché qui n’est pas négligeable. Du reste, Nike a été une des premières marques à mettre en avant des mannequins portant des prothèses.
Quel est le rôle de la formation dans les écoles de mode?
La créativité est bien sûr très importante, afin de développer originalité ou d’autres codes. Mais dans le cadre d’une formation, les connaissances de base autour de la conception universelle devraient automatiquement y être intégrées, pas seulement dans le cadre d’un workshop. Cette prise de conscience devrait s’apprendre. Au fond, le handicap concerne tout le monde, qu’il soit de naissance, qu’il survienne suite à un accident, une maladie ou avec l’âge.
«Tu es canon, manifeste de la mode inclusive», par Elisa Fulco et Teresa Maranzano, disponible sur le blog Tu Es Canon.
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