Société
Témoignage: «Je dessinais la mode pour Femina»
Dans son salon baigné de lumière, Jacqueline Nicod-Urban rayonne. À 86 ans, l’artiste lausannoise se souvient avec une joie teintée d’émotion des années durant lesquelles elle jouait de son talentueux coup de crayon pour illustrer les pages mode du magazine Femina, alors sous la direction de Marie-Pierre Dupont.
Chaque semaine, dès 1986, Jacqueline croquait des silhouettes stylées, en s’inspirant de tenues qu’elle dénichait dans les boutiques à Lausanne et alentour.
Ça, c’était lorsque Jacqueline optait pour une page mode composée du modèle photographié et de la silhouette dessinée, qui se répondaient pour allécher les lectrices férues de mode. Des pages d’inspiration et d’allure que l’on se plaît à feuilleter avec elle. «J’ai tout gardé. Les pages des magazines sont archivées dans des classeurs fédéraux, les dessins originaux sont conservés au galetas.»
Pour la beauté du mouvement
Justement, dans une pièce voisine, des dizaines de dessins de mode tous plus colorés les uns que les autres sont déposés par terre. Ce qui frappe, outre le style, c’est la dynamique de ces silhouettes.
Blousons fluo, épaulettes, pantalons fuseaux: faire vibrer la mode de son geste simple et précis, c’était son créneau. «J’avais une totale liberté, c’était un exercice auquel j’aimais me plier chaque semaine. Quand mon fils Matthias était petit, je faisais ça le soir quand il dormait. Il jouait parfois les modèles lui-même!» s’amuse Jacqueline.
Quand on lui demande quel était son style dans les années 80, ses «années Femina», elle répond que son côté artiste la poussait à plus de simplicité, niveau mode:
Tout ce noir, ces lignes épurées, cette souplesse du mouvement: tout me plaisait dans ce qu’elle créait. Même si ses créations étaient un peu trop chères pour moi.»
De l’art de frapper aux bonnes portes
Avant de pousser la porte de la rédaction de Femina, «un peu au culot», elle avait tenté l’expérience parisienne. «J’étais allée voir les rédacteurs en chef de Elle et de Marie-Claire avec mes illustrations de mode, mais je n’ai réussi à vendre que deux dessins.» De retour à Lausanne, et avant l’aventure Femina, elle fait ses premières armes dans la presse locale pour le quotidien 24 heures. «J’y avais une petite chronique qui s’appelait Croqué pour vous, où je partageais les nouvelles adresses, illustrée par un dessin.»
De fil en aiguille, elle parvient à faire sa place dans le dessin de mode et à gagner partiellement sa vie avec. «J’avais sonné à la bonne porte. C’était en plus de mes cours aux Beaux-Arts, je ne voulais pas mélanger les deux, d’ailleurs je n’en parlais pas trop à mes élèves à qui j’enseignais le dessin de nu. Ça n’était pas la même démarche artistique, celle à laquelle j’avais été formée, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à collaborer avec Femina toutes ces années.»
Une belle revanche pour celle dont le directeur des Beaux-Arts avait dit à sa mère «qu’elle ne pourrait jamais vivre de son art». Cerise sur le gâteau, une exposition est consacrée à ses dessins de mode au CAT Les Palmiers, à Lausanne, jusqu’au 26 mai 2024. À ne pas rater pour les nostalgiques des pages mode des années 80 comme pour les amateurs et amatrices de magnifiques dessins.
À voir: exposition dessin de mode, Jacqueline Nicod-Urban, jusqu’au 26 mai 2024 au CAT Les Palmiers, à Lausanne.