Femina Logo

Décryptage

Mode: Pourquoi y a-t-il si peu de femmes aux postes clés?

COURTESY OF CHANEL LAUNCHMETRICS COM SPOTLIGHT Pret a porter ou sont les femmes

Défilé Métiers d’Art 2023-24 Chanel par la directrice artistique Virginie Viard, à Manchester.

© COURTESY OF CHANEL LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT

Jamais les femmes n’auront été autant célébrées pour leur carrière dans la mode. Que ce soit à Londres, à New York ou à Paris, plusieurs expositions consacrées à des noms féminins retracent le parcours de ces femmes qui ont marqué leur époque chacune à sa façon. L’exposition Gabrielle Chanel. Fashion Manifesto au V&A à Londres, sold out depuis des mois, vient de se clôturer. À New York Women Dressing Women, au Metropolitan Museum of Art, revient sur ces créatrices qui ont laissé leur empreinte dans l’histoire de la mode au XXe ​siècle. Tandis qu’à Paris, au Musée des arts décoratifs, Sculpting the Senses, rend hommage à Iris Van Herpen, visionnaire qui s’affranchit des normes du vêtement.

En théorie, la parité des femmes designers semble être au rendez-vous, mais dans les faits sont-elles vraiment bien représentées dans les grandes maisons de couture? Le débat est en tout cas relancé après la nomination de Seán McGirr à la direction artistique d’Alexander McQueen qui succède à Sarah Burton. Ou plus récemment, Adrian Appiolaza nommé chez Moschino.

La créatrice néerlandaise Iris van Herpen est à l’affiche de l’exposition «Sculpting the Senses» au Musée des arts décoratifs à Paris. Ici, deux robes issues de la collection Sensory Seas, 2020. © DAVID UZOCHUKWU COLLECTION OF IRIS VAN HERPEN MAD

Simone Rocha, Stella McCartney ou Phoebe Philo

Des postes à responsabilité et de prestige qui semblent être systématiquement attribués à des hommes. Pourtant des femmes talentueuses il y en a, comme Simone Rocha, Stella McCartney ou Phoebe Philo. «C’est primordial de faire la distinction entre les femmes qui dirigent leur propre marque et les grandes maisons où finalement il y a peu de femmes nommées à leur tête», explique Elizabeth Fischer, professeure et historienne de la mode à la HEAD, à Genève. Si elles veulent véhiculer leur vision, elles ont meilleur temps de se lancer à leur propre compte. Cela a souvent été le cas dans l’histoire de la mode, des success stories en témoignent.

«Beaucoup de femmes ont amené des innovations techniques: par exemple Madeleine Vionnet a été la première à couper un vêtement entièrement en biais. Mais elle a aussi été une pionnière d’un point de vue social, notamment en donnant des congés payés ou en mettant à disposition une crèche pour ses employées. Gabrielle Chanel a commencé à utiliser le jersey alors qu’il était jusqu’alors réservé aux sous-vêtements. Elles réfléchissaient à ce dont elles avaient besoin et comment elles pouvaient le traduire dans une garde-robe qui leur conviendrait à elles. Comme plus tard Sonia Rykiel ou Jil Sander, elles savaient ce qu’une femme voulait.»

Pratique versus séduction

Un regard qui semble peu valorisé aujourd’hui. Comme l’analyse Vincent Grégoire, directeur de la prospective consommateur chez Nelly Rodi, à Paris, «le point de vue des femmes est souvent plus fonctionnel, pratique, pragmatique, utile, conscient et perçu comme moins décoratif. Parfois déconsidéré ou mal considéré. On dit de manière misogyne et péjorative, elles font des vêtements qui se portent.»

Virginie Viard, bras droit de Karl Lagerfeld et qui lui a succédé chez Chanel, est souvent critiquée pour manquer d’excentricité. Sa vision est plus sensible, moins ostentatoire. Tout comme celle de Maria Grazia Chiuri, l’Italienne première femme aux rênes de la maison Dior. Elle met en avant un certain féminisme qui ne passe pas non plus par l’extravagance. Dans son livre Her Dior, elle explique vouloir s’entourer de plus de femmes: «Mon rêve, mon aspiration, c’est que nous, les femmes, nous nous regardions avec nos propres yeux.»

Une approche de la création de vêtements qui peut varier derrière un regard masculin. «Le point de vue des hommes, souvent gays, tourne autour de la séduction. Les femmes sont sublimées, exagérées, travesties ou mutantes, transformées. C’est une certaine idée de la femme, du corps féminin qui est souvent contraint, déifié et codifié», détaille Vincent Grégoire.

défilé Dior automne-hiver 2023-2024 par Maria Grazia Chiuri, installation réalisée par l’artiste portugaise Joana Vasconcelos. © COURTESY OF CHANEL LAUNCHMETRICS.COM/SPOTLIGHT

Changements sociétaux

Ces deux visions aux antipodes expriment un questionnement sur la place des femmes dans notre société ainsi que leurs valeurs. «On assiste à une remise en question au moment où il y a une remontée des fondamentalismes, des postures conservatrices et réactionnaires qui interrogent aussi la mode. Va-t-on vers un low profile féminin ou vers un besoin de théâtralité et de glamour?» enchaîne Vincent Grégoire. Ce sont les consommatrices qui décident et «souvent ce qu’elles attendent de la mode, ce n’est pas du normal, du quotidien. Peut-être est-ce une apparence puissante ou de super­héroïne qu’elles recherchent pour combattre le machisme ambiant, toujours important.»

Ces griffes prestigieuses, pilotées par des géants du luxe, comme LVMH, Kering ou Richemont, affichent un chiffre d’affaires florissant. Pourtant, elles ne font pas le pari d’engager des femmes. Kering fait office de mauvais élève, parmi ses marques phares que sont Gucci, Saint Laurent, Bottega Veneta, Balenciaga ou Alexander McQueen, aucune femme n’est à leur tête. Et chez LVMH, qui compte dans son portefeuille d’une quinzaine de marques dont Louis Vuitton, Celine ou Dior, seules quatre femmes sont à la barre. D’ailleurs Stella McCartney, qui fait aussi partie de LVMH, en marge d’une conférence en fin d’année dernière, déclarait: «Dans le luxe, le marché prédominant est celui de la mode féminine.

Alors pourquoi les femmes ont-elles de plus en plus de mal à s’asseoir à la table des conseils d’administration des marques ou à décrocher des postes de directrice artistique? C’est quelque chose de très déroutant pour moi.» Ces groupes, dirigés par des hommes, véhiculent une certaine culture. Pour Elizabeth Fischer, «il y a encore un problème de système patriarcal dans notre société de manière globale et qui se reproduit dans la mode. Le jour où l’on aura plus de femmes présidentes, à la tête de grandes entreprises, de l’armée, ou de grandes banques, ça pourra peut-être changer.» 

Bruna vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

À la recherche d'un nouveau souffle pour votre allure ou votre maison? Toutes les tendances mode, beauté, déco pour inspirer votre quotidien!

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné