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Mad Pride: Elles racontent leur vie avec un trouble psychique

Elles racontent leur vie avec un trouble psychique

Les femmes qui témoignent ont vécu un parcours de vie difficile, mais sont toujours restées combatives.

© DR

Une Mad Pride a lieu le 7 octobre 2023 à Lausanne. Une appellation qui reste encore méconnue pour de nombreuses personnes. Mais de quoi s’agit-il? Cette marche nationale est organisée pour promouvoir la santé mentale et déstigmatiser la maladie psychique. De tels événements ont eu lieu pour la première fois en Suisse, à Genève, en 2019, et à Berne en 2022. Ils permettent de visibiliser des personnes qui se sentent encore parfois mises à l’écart au sein de la société.

Lors de la Mad Pride, tout le monde est invité à se rassembler dans une ambiance festive. De nombreuses associations qui viennent en aide aux personnes touchées par des troubles psychiques tiendront des stands et des conférences seront également organisées.

Dominique Hafner, Hélène Ros, Chloé Gervaix et Arielle Porret, participeront à la Mad Pride. Ces quatre femmes ont vécu un parcours de vie difficile, mais sont toujours restées combatives face à leurs troubles psychiques ainsi que d’autres épreuves de la vie. Découvrez leur portrait.

Dominique Hafner, 48 ans, présidente de l’association du Graap

Dominique Hafner a dû attendre des années pour être diagnostiquée par un trouble bipolaire et se faire soigner avec des médicaments adéquats. Arrivée à Berne depuis Bâle juste avant sa majorité, elle fait une dépression et se retrouve hospitalisée en psychiatrie, puis, elle intègre un foyer près de Montreux où elle vivra plusieurs années tout en faisant un apprentissage de confiserie-pâtisserie: «C’était très difficile, en tant que femme il fallait faire doublement ses preuves», se souvient-elle.

Puis, elle prend son appartement sur Morges où elle travaille à 100% ce qui lui demande toute son énergie: «Je ne faisais rien de mes week-ends, j'étais très isolée». Cinq ans après, elle fait face à une décompensation maniaque, peu avant ses 30 ans: «C’était la première fois, j’avais des symptômes psychotiques et délirants, des hallucinations, de la parano». Les médecins comprennent qu’elle doit être prise en charge mais ne décèlent pas tout de suite le trouble psychique exact dont elle est atteinte. Il faudra attendre une nouvelle décompensation quelques années plus tard pour que le bon diagnostic tombe.

Découverte du Graap

Deux années après, elle rejoint un foyer de Lausanne, demande une rente d’assurance invalidité (AI) et une curatelle. «Je me suis décidée à libérer mon appartement car je n’y arrivais plus et à cause d’une relation toxique, on m’avait soutiré beaucoup d'argent», se souvient-elle. Elle découvre à ce moment le Graap qui regroupe des personnes concernées par la maladie psychique. Elle travaille par la suite dans les ateliers protégés du Graap avec détermination, vit dans un appartement et apprécie de pouvoir relever de nouveaux challenges. Elle continue d'évoluer ainsi, entourée notamment par la fondatrice du Graap, Madeleine Pont, qui finit par lui proposer son poste de présidente de l'association en 2020.

Dominique prend son rôle très à cœur, tout comme certaines causes du Graap, à commencer par le soutien apporté aux personnes emprisonnées avec des troubles psychiques. Elle dénonce également les discriminations que vivent certain-e-s lors des soins somatiques à cause de leurs maladies psychiques. Elle en a été témoin elle-même:

«Je hurlais de douleur à cause de mon ventre et on m’a gentiment ramené des dafalgans. Lorsqu'une chirurgienne m’a enfin opéré, elle a vu qu'un abcès avait éclaté. C’était grave et l’opération a été très lourde.»

La nouvelle présidente craint aussi qu’on pense qu’elle n'ait plus besoin de sa rente invalidité, au vu de toutes ses activités actuelles. Mais la quarantenaire tient à préciser à quel point l’environnement au Graap est adapté à elle, loin des exigences du monde du travail. Et dénonce l'impossibilité justement d'avoir un poste adapté en milieu professionnel, sans être infantilisé ou restreinte à des tâches rudimentaires.

Dominique Hafner dit lutter quotidiennement contre ses angoisses: «j’ai des hauts et bas excessifs, je me sous-estime et je me retrouve enfermée dans ma peur». Elle se reconnaît également des forces: «je suis quelqu’un de gentille, de patiente et je ne vais pas mépriser les personnes différentes ou vulnérables, elles se sentent acceptées avec moi».

Chloé Gervaix, 28 ans, membre du comité de l’AETOC Genève

Chloé Gervaix et son mari Alexis Gervaix, lors de leur mariage civil en septembre 2023. © DR

S’il y a un message que Chloé Gervaix souhaite faire passer, c’est celui d’oser parler de ses troubles psychiques dès que possible et de se défaire de la honte, afin de devenir acteur-ice de sa guérison. À travers son histoire, elle souhaite donner de la visibilité aux troubles obsessionnels compulsifs (TOC) dont elle est atteinte: «C’est une maladie mal connue, encore très stigmatisée, et ses impacts sont minimisés.»

Chloé a grandi en France, et vers l’âge de 4 ans, on lui diagnostique un haut potentiel intellectuel (HPI). À l’école, l’intégration est compliquée, elle fait face à l’ennui, aux moqueries et passe dans plusieurs établissements. À 12 ans, ses parents trouvent une école avec une classe pour les HPI. Chloé s’intègre enfin et se fait des amies, mais c’est aussi à ce moment-là que les TOCs apparaissent. «Avec la puberté, j’ai développé une phobie de la transpiration et des fluides corporels, j’allais me laver les mains bien trop souvent.» Les multiples rejets par ses camarades et un attouchement subi dans l'enfance pourraient expliquer en partie l’apparition des troubles. Mais elle tient à ajouter que les origines des TOCs comportent également des facteurs génétiques et biologiques.

Puis, la maladie prend de l’ampleur. Chloé doit se rendre aux toilettes durant ses pauses afin de nettoyer toutes les affaires qu’elle a touchées (trousse, stylos, etc.). Des compulsions qu’elle garde pour elle et qui resteront secrètes durant de longues années, alors qu’elle conserve un bon niveau scolaire. «Mais en arrivant en Classe Préparatoire aux Grandes Écoles d’ingénieurs, où la pression est importante, je me suis effondrée. Je ne trouvais plus le temps nécessaire pour à la fois étudier et accomplir mes rituels de nettoyage», relate-t-elle.

Arrivée en Suisse

Chloé cherche une nouvelle université et poursuit ses études en Suisse, à l’EPFL. Mais les TOCs empirent:

«Il y a d'abord le côté obsessionnel, des pensées, des doutes envahissants et ensuite l’aspect compulsif, où on accomplit un rituel pour les calmer. Mais les compulsions finissent par nourrir les angoisses, qui prennent de plus en plus d’ampleur, et le cercle vicieux s’installe.»

Vient alors une période où les nettoyages lui prennent plus de huit heures par jour et où elle peut difficilement sortir de chez elle. «Je lavais mon ordinateur, même mes cours écrits sur papier passaient sous l'eau. J’étais totalement consciente que ce que je faisais était absurde, cela entraînait du mépris envers moi-même», confie Chloé.

Après des années sans diagnostic ni soins adéquats, elle rencontre un psychiatre le Dr Julien Elowe, le premier à lui parler de thérapie comportementale et cognitive (TCC). Chloé prend alors la décision d’être hospitalisée trois mois à Lyon - aucune clinique adaptée n’existait encore en Suisse - pour se soigner. Le but de la TCC est d’être graduellement exposée à ses craintes, en prévenant la réponse du corps et donc en s’empêchant de compulser.

TOC résistant

Les rituels finissent par diminuer, mais Chloé présente un TOC résistant et les obsessions subsistent. Elle fait de plus en plus souvent des crises de panique accompagnées de forts symptômes physiques. Elle tente de poursuivre ses études, mais n'obtient pas les aménagements adéquats: «Si j’avais une crise d'angoisse le jour de l'examen, c'était impossible pour moi de me déplacer et je devais le rattraper un an plus tard.»

Elle finit par être en échec définitif, mais n’abandonne pas et tente d’obtenir son diplôme dans une Haute-école. Elle décroche en parallèle un contrat en tant que stagiaire ingénieure et poursuit ses études en emploi. À nouveau, sans les aménagements appropriés à sa maladie, elle doit stopper son cursus scolaire et son travail fin 2022. «Il y a certaines périodes où je fais moins mes rituels, mais j’ai beaucoup plus de crises d’angoisse. À l’inverse, si je compulse cela me calme sur le moment, mais cela finit par me prendre beaucoup de temps et d'énergie», témoigne Chloé pour expliquer sa réalité.

Heureusement, début 2023, elle obtient un nouveau contrat de travail en qualité d'Ingénieure à 80%. Une connaissance l’engage dans son entreprise en lui offrant la possibilité de certains aménagements en cas de besoin, ce qui la rassure. Chloé est également active au sein du comité de l'association AETOC à Genève pour aider les personnes avec un TOC. Elle s’est mariée il y a un mois avec celui qui a été son meilleur ami lorsqu’elle l’a rencontré à l’EPFL: «C’est quelqu’un de merveilleux, il est très patient avec moi. J'ai beaucoup de gratitude envers lui et mes proches qui ont appris à comprendre mon trouble et me soutiennent au quotidien.»

Arielle Porret, 58 ans, co-fondatrice de l’association Pair Addicto

Arielle Porret a cofondé une association pour aider les personnes qui souffrent d'addiction. © DR

«Je suis une alcoolique sobre depuis plus de 18 ans et une boulimique en rémission depuis sept ans», c’est ainsi qu’Arielle Porret se présente. Elle parle sans complexe de ces deux maladies et de son chemin de vie tumultueux.

En discutant avec elle, c'est aussi sa joie de vivre qu’on ressent immédiatement. Arielle a d’abord combattu son alcoolisme, avant de réaliser des années plus tard que ses crises de boulimie cachaient les mêmes mécanismes. «Il y a des stratégies qui s'installent pour cacher notre comportement d'addiction», relève-t-elle. Elle explique pourtant qu’il était beaucoup plus difficile pour elle de parler de sa boulimie, «c'est quelque chose qui me concernait uniquement, je ne pouvais pas faire du mal à mon entourage, comme avec l'alcool.» Cela amène aussi des difficultés:

«Pour mon alcoolisme il me suffit de ne pas boire, alors que je ne peux pas arrêter de manger.»

Mais certaines discussions la marquent: «Ma fille me disait qu’elle n’avait malheureusement pas hérité de mes gênes par rapport à son physique et ça me faisait réaliser que j’étais vraiment une arnaque.» C’est en partie ce qui l’amène à se confier sur sa boulimie, lorsque dans son cheminement de rétablissement d'alcoolique, elle fait un bilan approfondi de sa vie.

Premières crises

Ce comportement lui est venu très jeune, à peu près en même temps qu’elle commence à boire, vers 13-14 ans. Elle se rend tout de suite compte que sa consommation d’alcool n’était pas normale: «si je bois un verre, je ne m’arrête plus et j’enchaîne les bouteilles.» Les premières crises de boulimie arrivent également avec la peur de grossir, de ne pas plaire à sa mère qui avait la remarque facile. «Je voulais réguler mon poids et au fil du temps, c’est devenu une habitude, un exutoire, cela remplissait un vide.» Aujourd’hui, elle ne fait quasi plus aucune crise: «je suis passée de plusieurs par jours à quelques crises par année, à peine.»

Arielle Porret se rend bien compte que ses troubles ont un lien avec sa santé mentale, elle se souvient de certains épisodes où elle avait décidé de partir dans l’alcool, lors de la perte, très jeune, d’une de ses nièces par exemple. Un moment lors duquel son ex-mari lui a demandé «d’arrêter de pleurer et de faire chier»! Elle vivra d’ailleurs de nombreuses années sous son emprise avant de se libérer de cette relation abusive.

Elle reconnaît avoir ainsi «bu pour oublier, et en mangeant, dit-elle, c’est pareil, on ne pense plus à ses problèmes». Lorsqu’elle perd son fils en étant déjà sobre, elle réussit à ne pas boire une seule goutte d’alcool, mais elle remarque que la nourriture l’aide à soulager ses souffrances. C'est que la vie lui a imposé des épreuves très dures, mais sa foi l’aide aussi à tenir le coup.

Avec son conjoint actuel, Arielle a récemment cofondé l’association PairAddicto, pour aider les personnes qui vivent la même chose. Elle travaille également à temps partiel en tant qu’assistante de direction en Valais. «Aujourd’hui j’ai une vie tout à fait normale, je fais du golf, j’ai des amis, je suis très heureuse et bien dans ma peau et je veux donner ce message d’espoir, dire que l’on peut s’en sortir.»

Hélène Ros, 45 ans, co-fondatrice de l’association CoCreateHumanity

Hélène Ros a cofondé CoCreate Humanity. © DR

Les traumatismes de vie nous marquent profondément. Ils restent parfois enfouis en nous, silencieux, mais impactent pourtant notre esprit, notre corps, notre santé. Hélène Ros connaît tout ça. Elle a souffert d’un stress post-traumatique et son parcours de guérison a été long et solitaire.

Née à Lyon, en France, elle est d’origine cambodgienne et a grandi dans une famille nombreuse avec des parents ayant survécu au régime génocidaire de Pol Pot. Ils immigrent en France grâce à l’aide d’une organisation humanitaire. Son enfance est marquée par une grande violence paternelle, «jusqu’à l’âge de 17 ans, où l’on m’a demandé de quitter la maison, un jour de décembre.»

Elle reconnaît avoir «vécu à la dure». Hélène raconte avoir souffert de ce qu’elle appelle «la violence du silence», car ses parents n’ont jamais parlé de leurs parcours et n’ont jamais libéré la parole. «J’étais un dommage collatéral de leur propre stress post-traumatique et je ne souhaite à aucun enfant de vivre ça», assure celle qui est aujourd’hui maman d’une petite fille de 5 ans.

Par la suite, Hélène a connu la rue et la vie en foyer tout en poursuivant ses études au lycée. Après son Baccalauréat Littéraire, elle enchaîne sur des études de droit mais ne finira pas son cursus universitaire.

«À l’époque, j’étais une jeune femme très instable et traumatisée. Il faut savoir que j’ai attendu la trentaine pour enfin m’ouvrir à la thérapie.»

Dans sa vingtaine, Hélène est victime d’une agression sexuelle dont elle mettra des années à se remettre. Elle s’exprimera à ce sujet à travers un texte poignant, écrit 24 ans après les faits. «J’écris autour de ce que j’ai vécu, sur la petite fille que j’étais qui se cachait dans l’armoire, de mon exil de la maison et de cette agression dont j’avais tu tous les détails.»

Soigner les traumatismes

Peu de temps après l’agression, on lui diagnostique une épilepsie pour laquelle elle prendra une médication lourde durant vingt ans, sans vraiment réussir à stabiliser ses crises convulsives. C’est sa rencontre avec le Dr. Daniel Dufour, il y a trois ans, qui marque un tournant décisif dans son rétablissement. On commence alors à lui parler de trouble de stress post-traumatique, de dissociation et de trauma transgénérationnel.

Elle entame avec lui une thérapie où elle se reconnecte et exprime ses émotions. Elle n’a depuis plus jamais eu de crises d’épilepsie et ne prend plus aucune médication. Hélène a également vécu une dépression postpartum sévère, dont elle s’est rétablie, et de longues années d'obésité. Elle souligne la nécessité de se faire accompagner lorsqu'on vit des étapes douloureuses.

«Aujourd’hui, j’ai la chance de vivre dans la magnifique région de Lavaux. Je suis très reconnaissante de la vie que je mène et j’ai conscience de la chance que j’ai d’être très bien entourée.»

Soigner les traumatismes est très important pour Hélène, qui aide aussi d’autres personnes à le faire à travers l’association qu’elle a cofondé, CoCreate Humanity. Son expérience de vie et les traumatismes vécus se sont révélés être une véritable force. Elle offre un soutien psychosocial par la pair-aidance aux humanitaires en souffrance et permet d’avoir «un sas de décompression» en dehors des organisations pour libérer la parole.

Au fil de son parcours professionnel, elle a travaillé dans la logistique internationale, le transit de marchandises et le secteur pétrolier avant d’intégrer le CICR durant quatre années. «Je ne suis jamais allée sur le terrain à l’étranger, comme les autres co-fondateurs de l’association. Mon terrain à moi, c’était ma ville natale. Je n’ai pas eu besoin d’aller à l'autre bout du monde pour savoir ce que c’est que d’être en état de stress intense, connaître la faim ou la violence», confie Hélène, qui continue d’avancer dans la vie avec résilience et combativité.

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