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Anxiété sociale: D'où vient la peur du regard des autres?

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«L’impact [de l'anxiété sociale] est plus fort, aussi bien chez les jeunes que dans le milieu professionnel axé sur la performance de la communication, car nous n’avons pas tous-tes la même aisance dans nos rapports aux autres.» - Antoine Pelissolo, psychiatre.

© GETTY IMAGES/SKYNESHER

Marcher devant une terrasse bondée, parler devant un groupe, demander au serveur de retourner un plat en cuisine. L’anxiété sociale peut prendre des formes diverses et variées, avec des degrés de gravité qui fluctuent en fonction des individus. Si le trac ou la timidité en sont des formes courantes, la phobie sociale, elle, paralyse les plus fragiles. Parmi les victimes les plus exposées, les adolescent-e-s en font particulièrement les frais à l’ère post Covid, après la longue période d’isolement du confinement et un retour à la «normale» qui est pour certaines personnes un véritable calvaire tant la peur des autres leur est anxiogène.

Dans une réédition du livre choral La nouvelle peur des autres (Éd. Odile Jacob), publiée le 4 janvier 2023, les psychiatres Christophe André, Patrick Légeron et Antoine Pelissolo décryptent ces mécanismes de l’anxiété sociale qui toucheraient entre 15 à 20% de la population. Conçu à la base comme une ressource pour les personnes qui craignent d’affronter le regard et le jugement des autres, cet ouvrage devenu aujourd’hui une référence a été publié la première fois en 1995.

Le point sur ce qui a changé depuis, avec Antoine Pelissolo, psychiatre et professeur de médecine à l’université Paris-Est Créteil.

FEMINA L’anxiété sociale est-elle en augmentation?
Antoine Pelissolo: On n’a pas de chiffres pour dire qu’il y a plus d’anxiété sociale qu’avant, mais je suis convaincu en voyant les patient-e-s que, quand ces personnes en souffrent, ils et elles en souffrent beaucoup plus aujourd’hui. L’impact est plus fort, aussi bien chez les jeunes que dans le milieu professionnel axé sur la performance de la communication, car nous n’avons pas toutes et tous la même aisance dans nos rapports aux autres.

Justement,après l’expérience du confinement, du télétravail et des interactions sociales par écrans interposés, qu’est-ce qui a changé dans le rapport aux autres?
Il y a l’effet récent de la pandémie, mais aussi au fil des années celui des changements sociétaux marqués par l’influence des nouvelles technologies. Ce qui est très clair, c’est l’augmentation des communications et des échanges, mais de manière artificielle avec toujours l’écran comme intermédiaire.

On peut avoir l’illusion de plus communiquer, sauf que ce sont des relations qui ne sont pas de personne à personne en direct. Les gens qui éprouvent une gêne se sont cachés derrière cet outil-là, ce qui a été très net durant le confinement. Mais malheureusement, pour ceux qui sont fragiles face au regard de l’autre, ceux qui souffrent d’une anxiété sociale, ça a aggravé les choses au fur et à mesure.

C’est une espèce de piège, car on a l’impression que ça soulage sur le moment, mais comme ce n’est pas une relation réelle, il y a à chaque fois moins de sécurisation quand on doit passer à la réalité.

On l’a vu au moment de la levée du confinement, avec plus d’angoisse chez ces personnes qui doivent se retrouver face aux autres, dans de vrais échanges.

Pareil pour le masque derrière lequel se cacher pour les plus timides?
Oui, pour les gens qui ont par exemple peur de rougir - ce qui est aussi une manifestation de peur de l’autre - le fait d’avoir des relations masquées est une protection complètement artificielle qui les soulage encore aujourd’hui.

Certains troubles comme le rougissement ou les tremblements qui trahissent une forme d’anxiété ne se voient donc pas forcément derrière un masque ou un écran. Est-ce que c’est moins intimidant quand on craint le regard des autres?
Oui et non. L’anxiété sociale a différentes formes qu’on évoque dans le livre, et il faut toujours avoir en tête que c’est très individuel. Pour certaines personnes, ça convient, pour d’autres pas. Mais pour la majeure partie des individus, être un peu protégé-e derrière son écran - ou son masque - en ne montrant pas tout, c’est rassurant. On l’a notamment constaté chez les jeunes qui ont pris le réflexe de couper leur caméra purement et simplement.

Une limitation des interactions réelles qui a dû être plutôt bien vécue par certains personnes anxieuses, non?
Oui, c’était plus confortable et moins stressant sur le plan des échanges dans un premier temps. Mais ça a provoqué un effet rebond ensuite, car cela fait perdre petit à petit la confiance en soi. C’est d’ailleurs vrai pour l’ensemble des nouvelles technologies, même en dehors de la période très particulière de la pandémie et des confinements.

Couper sa caméra pour se protéger du regard des autres, alors que celui-ci est porté à son apogée sur les réseaux sociaux dans un culte de l’image de soi, est-ce que ce n’est pas paradoxal?
C’est un problème qui s'ajoute, en effet. Ça a commencé avec les selfies. Il faut se montrer, montrer son visage, avec très vite l’idée qu’il faut se comparer aux autres et être dans la norme, voire au-dessus des critères de beauté parfaits. C’est très anxiogène pour celles et ceux qui ont une fragilité avec l’image, l’aspect physique. C’est quelque chose de très exigeant quand il y a une pression.

Chez les ados, avoir une image de soi acceptée des autres, c’est fondamental pour se sentir affilié-e à un groupe. La moindre différence peut être très douloureuse. D’autant plus que rapidement les discours de moquerie, de harcèlement et de haine sont encore plus douloureux et source de souffrance supplémentaire.

Si les outils numériques sont censés faciliter le quotidien, pour les personnes anxieuses peuvent-ils aussi être apparentés à une stratégie d’évitement si une rencontre par exemple ne se concrétise pas dans la vraie vie?
Il y a de nombreux usages de ces outils numériques qui sont entrés dans les mœurs et il ne faut pas rendre pathogène des choses qui ne le sont pas. Toutefois, quand leur usage est motivé par cette appréhension de l’autre, on peut craindre que ce soit une stratégie d’évitement, en effet. Et cette fuite par l’évitement renforce la peur. C’est bien d’en prendre conscience et c’est tout l’intérêt d’en parler. On peut utiliser cette stratégie-là d’utilisation du numérique comme premier pas, mais en sachant qu’il ne faut pas s’en tenir à ça.

Il faut se lancer dans des choses un peu dérangeantes à sa routine, pour s’habituer au regard des autres et assumer son image vis-à-vis d’eux.

À la fin du livre, vous écrivez que comme on soigne la qualité de son sommeil ou l’équilibre de son appétit, on doit faire de même dans l’aisance de nos contacts avec les autres. Plus facile à dire qu’à faire… non?
C’est difficile de se le représenter quand on n’a pas ce problème là, car cela paraît aussi naturel que de manger ou dormir. Mais pour les 10 à 20% de personnes qui n’ont pas cette aisance, ça vaut la peine d’y porter une attention particulière, c’est-à-dire de se forcer, de prendre sur soi et faire comme quand on veut reprendre une activité physique: au début, ce n’est pas simple, c’est difficile et c’est une hygiène de vie qu’il faut installer. Une démarche à baser sur l’appétence et en trouvant les conditions favorables à chacun bien entendu.

On ne va pas se forcer par exemple à parler à n’importe qui tout le temps, mais par contre trouver des activités de loisirs qui passent par les échanges sociaux comme le théâtre ou du sport en groupe.

Mais cela demande un effort qui n’est pas naturel pour certains. Face à ces différences, si l’attitude de la société en général était plus bienveillante et moins combative, dans une forme d’apaisement du regard général ça serait aidant pour les personnes gênées.

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