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Société

Tout ce qui détraque l’appétit des femmes

Lauren Malka cequemangentlesfemmes

Dans son livre Mangeuses, Lauren Malka mène une enquête entre sociologie, histoire, philosophie et témoignages pour comprendre ce qui détraque l’appétit des femmes.

© NB

Cantonnées aux cuisines, excluent des banquets, gloutonnes ou pécheresses: ce que mangent les femmes et comment elles le mangent s’inscrit dans une longue tradition de contrôle sur leurs corps. Dans son livre Mangeuses (Éd. Les Pérégrines), Lauren Malka mène une enquête entre sociologie, histoire, philosophie et témoignages pour comprendre ce qui détraque l’appétit des femmes.

FEMINA Que disent les femmes à travers leur façon de manger?
Lauren Malka
Pour commencer cette enquête, j’ai lancé un appel à témoignages auprès de femmes de différents âges et milieux sociaux que j’ai formulé de la façon suivante: je souhaite vous entendre sur votre rapport à la nourriture dans ses aspects joyeux, conviviaux ou tourmentés. Après un long moment d’échange, elles en venaient souvent à évoquer leur culpabilité parfois très douloureuse de manger, ainsi que les excès et privations que cette culpabilité pouvait engendrer. Or, en me basant sur mon expérience personnelle et sur la transformation du regard que j’y porte depuis que je m’intéresse de près à la philosophie féministe, j’ai entendu que ces femmes cherchaient en effet à «dire» quelque chose à travers leur façon de manger. Les névroses que les femmes développent, notamment autour de la nourriture, sont, à mon sens, une façon pour elles de répondre aux «névroses» de la société dans laquelle elles vivent.

Une manière d’exprimer des revendications face aux injonctions sur leur corps subies depuis des siècles?
On comprend de mieux en mieux la façon dont les femmes sont ramenées à leur corps. La définition même de leur statut social et politique dépend de leur apparence physique, de l’étape à laquelle elles sont dans le processus de leur transformation corporelle (prépubères, enceintes, ménopausées…) tout au long de leur vie. Leur façon de manger à l’excès ou de se priver, par exemple lorsqu’elles sont sujettes aux troubles des conduites alimentaires (TCA) ne se réduit pas à de simples comportements pathologiques. À mon sens, elles cherchent à s’exprimer comme elles peuvent, en malmenant l’outil de parole qui est le leur depuis des siècles, à savoir leur corps.

Dans la littérature et le cinéma, vous montrez que l’alimentation valorise les hommes dans leur virilité, en excluant les femmes?
Dans les films comme La grande bouffe ou L’aile ou la cuisse, les hommes bouffent entre eux. En littérature, chez Balzac, Maupassant ou Dumas, ils mangent et excluent les femmes car elles pourraient les déconcentrer en excitant leur appétit sexuel: manger est une affaire d’hommes. Roland Barthes le dit d’ailleurs dans un commentaire qu’il écrit sur le livre Physiologie du goût de Brillat-Savarin: dans l’immense mythologie que les hommes ont élaborée autour de l’idéal féminin, la femme est «cuisinière ou servante, elle est celle qui prépare ou sert, mais ne mange pas».

La sororité se construit plutôt dans les conseils pour maigrir et ne pas manger

Vous parlez également des désordres alimentaires comme étant des résistances. C’est-à-dire?
Doucement, on commence à considérer que les anorexiques et les boulimiques expriment en effet, de façon non verbale, une insoumission, une révolte vis-à-vis de normes qui sont intenables et dans lesquelles elles doivent tenter de se maintenir. J’ai choisi le mot «résistance» car c’est celui que le philosophe Michel Foucault utilise pour parler de ces microrévoltes discrètes, qui n’ont rien de spectaculaire et qui peuvent même mener à des formes d’autodestruction. Je retrouve dans cette définition de la «résistance» ce geste que les femmes peuvent opérer en elles-mêmes, même lorsqu’elles traversent des formes légères – et néanmoins très éprouvantes – de troubles alimentaires.

J’aime considérer que ce sont des actes de résistance individuels et pas forcément conscient face à ce qui est insupportable et indicible dans les oppressions qu’elles subissent dans leurs corps.

Est-ce dès l’enfance que se met en place le mécanisme qui détraque les femmes dans leur rapport à l’appétit?
Dans les études sociologiques et les témoignages, on voit clairement que la gourmandise est inhibée chez les filles avant 3 ans. On les encourage à la fois à être gourmandes, car ça fait partie de leur féminité, et on les frustre en leur tapant sur les doigts quand elles le mettent dans le pot de confiture. À l’inverse on éduque les garçons à la curiosité culinaire, à l’ouverture du palais, de la complexité des saveurs. On régule l’appétit des petites filles.

Contrôler son appétit pour ne pas grossir, c’est récent?
Contrairement au préjugé récurrent rencontré durant toute mon enquête, qui consiste à faire du diktat de la minceur quelque chose de récent, localisé géographiquement, comme si c’était superficiel, la minceur est une norme sociale ancienne qui s’impose aux femmes comme aux hommes. Dès l’Antiquité, des traités de physiognomonie établissent des liens entre d’éventuelles dégradations morales profondes et l’apparence physique, associant par exemple le fait d’être gros avec la paresse, le manque de volonté, de courage.

Là où cette norme devient intenable pour les femmes, c’est qu’elle s’accompagne d’une injonction supplémentaire, très ancienne elle aussi: être grosse dans certaines parties érotiques de leur corps.

Cette double injonction contradictoire n’est pas la seule à engendrer une anxiété intense des femmes vis-à-vis de leur corps et à les amener à se détraquer intérieurement… mais elle fait partie de celles qui montrent à quel point les attentes sur leurs silhouettes sont irréalisables et aberrantes.

© DR

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