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Je suis sortie de la dépendance affective

Femina 08 Temoin Dependance Affective

Lorsque je suis sortie de clinique, le retour à la réalité m’a fait l’effet d’une gifle.

© Olivier Lovey

Je suis née dans une famille de commerçants, où les chiffres de vente étaient plus importants que tout le reste. Mon père m’effrayait et ma mère ne me donnait aucun signe d’affection. Petite, lorsque je lui disais que je l’aimais, elle m’envoyait faire la vaisselle en guise de démonstration. Cet univers aride, sans émotions ni chaleur, m’a conduite à douter de ma valeur. Dès mon plus jeune âge, j’ai tout fait pour recevoir des preuves d’amour, des marques de tendresse. Et ce à mes risques et périls… J’ai commencé à travailler très tôt dans l’entreprise familiale. Un employé de mon père, de cinq ans mon aîné, a abusé de moi lorsque j’avais 12 ans. Je n’ai rien dit à mes parents – cet apprenti était adulé par mon père. Je vivais dans la peur et l’angoisse, contrainte au silence et incapable de mettre des mots sur l’abject.

Prendre conscience de son comportement

Dès mes 16 ans, j’ai commencé à sortir et à avoir des relations intimes avec des hommes. Je n’éprouvais aucun état d’âme et me livrais au premier venu en pensant cela normal. Mon sentiment d’abandon était tel que je préférais céder plutôt que rester seule. Durant plusieurs années, j’ai été une fille facile, de celles qui couchent le premier soir. Mais autour de la vingtaine, j’ai pris conscience de mon comportement. J’ai alors décidé de m’isoler, de me concentrer sur mon travail et l’une de mes passions: la musique. Cette parenthèse s’est révélée salutaire pour moi.

Je me montrais très sociable à l’époque et donnais régulièrement des concerts dans ma région avec des amis. Au cours de l’une de ces soirées, j’ai fait la connaissance de Charles, mon futur mari. Il m’a courtisée un certain temps avant que je n’accepte d’avoir une relation avec lui. Quelques années plus tard, après la naissance de notre fille, nous nous sommes mariés. J’avais 29 ans et beaucoup d’attentes. J’espérais que ce mariage me permettrait de me poser, de regagner une certaine estime de moi. Malheureusement, notre union n’a pas été très épanouissante. Mon mari faisait de la politique et passait la majeure partie de son temps à l’extérieur. Du reste, nous partagions peu de chose lorsque nous étions ensemble. Je me souviens que son occupation favorite consistait à lire la «Feuille des avis officiels», assis dans son fauteuil devant la télé. Face à son indifférence, j’ai commencé à déprimer, à tourner en rond. Tous mes souvenirs douloureux sont remontés à la surface. Je me suis alors sentie submergée par un sentiment de vide et de tristesse.

Un enfer après l’autre

J’ai consulté le médecin du village en espérant recevoir de l’aide. Ce dernier était en plein divorce… Nous nous sommes mutuellement consolés, avant de nous mettre ensemble. Ma fille et moi nous nous sommes installées chez lui, où habitaient déjà ses quatre enfants. J’avais bien sûr divorcé de mon premier époux, mais cette seconde union s’est avérée encore plus catastrophique. J’ai découvert que mon nouveau mari souffrait d’une lourde infirmité: il était alcoolique. J’ai mis du temps à m’en rendre compte car il se cachait, allant même jusqu’à quitter le village pour consommer sa dose. Sa dépendance a créé un mur entre lui et moi, une barrière infranchissable qui a eu, sur le long terme, raison de notre couple. J’ai recommencé à me sentir délaissée, à déprimer, jusqu’à ce que je n’en puisse plus et sois hospitalisée. J’ai compris, des années plus tard, l’enfer dans lequel nous étions alors tous deux plongés.


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Pendant plusieurs mois, la Métairie – une clinique privée à Nyon – m’a accueillie au sein de l’unité réservée aux dépressifs. Ce séjour m’a permis de prendre mes distances avec un quotidien trop pesant. J’ai retrouvé le foyer conjugal après trois mois. Mon absence avait perturbé mon mari. J’ai repris mon travail d’assistante médicale à ses côtés, mais n’ai tenu que six mois puisque rien n’avait véritablement changé. Je suis retournée à la clinique où j’ai réussi, après pas mal de résistance, à me concentrer sur moi-même et mes dysfonctionnements. Entre autres étiquettes, mon psychiatre de l’époque m’a diagnostiquée «dépendante affective».

Le retour à la vie

Ce verdict n’a fait que confirmer ce que je présentais depuis longtemps. Mon hypersensibilité et mes tendances autodestructrices avaient causé des dégâts dans ma vie personnelle et affective. J’ai entrepris le programme des 12 étapes (similaire à celui préconisé par les alcooliques anonymes, ndlr), accompagnée d’une thérapeute extraordinaire. Lorsque celle-ci a quitté son poste pour rejoindre un centre de soins situé à Sierre, j’ai demandé à la suivre. Je ne tenais pas à tout recommencer avec un autre médecin. Je voulais aller de l’avant, cesser de perdre du temps. Mon second divorce a eu lieu durant mon hospitalisation.

Lorsque je suis sortie de clinique, le retour à la réalité m’a fait l’effet d’une gifle. Moi qui n’avais jamais manqué de rien au niveau matériel, je me retrouvais sans argent ni projet. J’ai pris un appartement avec ma fille, alors apprentie, et suis repartie de zéro. Mes revenus se constituaient d’une rente AI, toutes mes économies ayant fondu au cours des années précédentes. Malgré sa jeunesse, ma fille m’a beaucoup aidée. Nous avons vécu ainsi quelques années, avant qu’elle ne quitte le domicile pour voler de ses propres ailes.

Après son départ, je suis passée par des hauts et des bas, des périodes exaltantes et d’autres plus difficiles. Afin de rompre la solitude, je me suis engagée dans une association constituée par d’anciens patients, rencontrés lors de mon hospitalisation. J’ai repris des activités créatives, me suis liée d’amitié avec de nouvelles personnes tout en cultivant mon célibat. Après quelques années à ce rythme, j’ai osé m’inscrire sur des sites de rencontre.

Aujourd’hui, je vis modestement. Je peux compter sur un groupe d’amis qui m’aident dans les moments difficiles. J’ai participé à des émissions télévisées pour exorciser ma souffrance et projette d’écrire un livre. J’aimerais vraiment sensibiliser le public à la problématique de la dépendance affective. Cette manière de vivre uniquement à travers le regard de l’autre m’a empêchée de répondre à mes besoins, de me comporter en adulte. Et j’ai découvert tout au long de mon parcours de vie que mon comportement singulier concernait d’autres personnes…

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