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Guerre au Proche-Orient

Israël-Palestine: Le témoignage de la reporter Aline Jaccottet

Israël-Palestine: Le témoignage de la reporter Aline Jaccottet

La journaliste du Temps Aline Jaccottet a vécu quatre ans en Israël entre 2018 et 2022, lorsqu'elle était correspondante (ici en 2021).

© JONATHAN BLOOME

La guerre entre Israël et le Hamas fait rage depuis début octobre 2023 au Proche-Orient. Le bilan humain est désastreux en particulier dans la bande de Gaza où les bombardements se succèdent. Des attaques qui touchent également l’hôpital d’Al-Shifa, le plus grand de Gaza, assiégé par l’armée israélienne alors que des centaines de patient-e-s doivent y être soigné-e-s. Le bilan fait état de plus de 11’000 Palestinien-ne-s tué-e-s. Depuis l’offensive du Hamas le 7 octobre, plus de 1200 Israélien-n-es sont mort-e-s et 239 otages sont encore retenu-e-s.

Dans ce contexte difficile, Aline Jaccottet, cheffe de la rubrique monde au quotidien Le Temps, s’est rendue une semaine en Israël et en Palestine à la fin du mois d’octobre. Un retour sur place après avoir vécu et travaillé comme correspondante en Israël de 2018 à 2022: «Là-bas, je me sens chez moi. C’était bouleversant d’y retourner dans ce contexte, comme si je retrouvais ma seconde maison en feu», témoigne-t-elle avec émotion.

Recherche de la vérité

Très attachée à la région, Aline Jaccottet passe du temps en Israël presque chaque année depuis 20 ans. «Je n’ai pas d'origine juive, mais j’ai toujours été fascinée par cette religion. Je suis allée en Israël pour la première fois à l’âge de 18 ans». La Vaudoise vit alors dans un kibboutz après avoir passé quelques jours dans une école juive pour filles. Elle noue de solides amitiés avec des Israélien-ne-s, mais aussi des Palestinien-ne-s.

«On m’avait mise en garde de ne pas aller du côté palestinien parce que c’était dangereux, alors évidemment, je m’y suis rendue très rapidement», dit-elle.

Commence alors la recherche de diversité des points de vue qui est au cœur de son métier de journaliste aujourd’hui.

En octobre 2023, la reporter a passé six jours au Proche-Orient, se déplaçant du nord au sud du territoire, de Rahat à Tibériade et de Tel Aviv à Ramallah, dans une totale liberté: «J’ai beaucoup de contacts, je parle hébreu, arabe, je n’ai pas ressenti d’entraves à mon travail». Même en tant que femme? «C’est même plus facile selon moi, ça désamorce les tensions, les interlocuteurs ne se sentent pas menacés», explique Aline Jaccottet. Le danger est là, «mais si l’on veut recueillir certains témoignages, il n’y a pas le choix. Comme dans le village des Bédouin-e-s auxquel-le-s j’ai rendu visite vers la bande de Gaza, où il n’y a pas d’abris anti-missiles et les projectiles tombent en 15 secondes».

Reporter sans frontière a communiqué début novembre 2023 des chiffres sur les journalistes tué-e-s depuis le début de la guerre. À Gaza, 36 reporters ont été tué-e-s par des frappes israéliennes en 31 jours de guerre. Un photojournaliste de Reuters Issam Abdallah a été abattu à la frontière avec le Liban. Et le 7 octobre, lors de l’attaque du Hamas, quatre journalistes israélien-ne-s ont perdu la vie.

Un voyage empli de fortes émotions

Durant son voyage, Aline Jaccottet a rédigé plusieurs articles qui détaillent les traumatismes chez la population israélienne, comme palestinienne, après l’attaque du 7 octobre et l’embrasement du conflit. À Tel-Aviv, elle a rencontré des Israélien-ne-s juif-ve-s et les Palestinien-ne-s d’Israël, et transmis leur vécu.

«C’est marquant d’être face à des récits totalement antagoniques entre des personnes qui vivent à 15 minutes l’une de l’autre, reconnaît-elle, mais en tant que journaliste, il est impératif d’accueillir et de raconter la vérité des deux côtés».

Elle passe ainsi d’un père Israélien fou de rage d’avoir perdu sa fille tuée par le Hamas, à des Palestinien-ne-s craignant pour leur famille qui se trouve sous les bombes à Gaza.⁠ À Ramallah, elle recueille la souffrance des Palestinien-ne-s de Cisjordanie et obtient une très rare interview avec un chef politique du Hamas.

«À condition de contextualiser et de se distancer, il est possible de donner la parole à tout le monde, même à ceux et celles dont les propos nous font horreur. C’est le cœur de notre métier, quoi qu’il en coûte sur le plan personnel, et bien que cette exigence soit parfois très mal comprise. Écouter, ce n’est pas approuver», souligne la journaliste.

Aline Jaccottet se souvient aussi de très beaux moments d’humanité. «J’ai rencontré un Arabe israélien qui avait sauvé de nombreux compatriotes juif-ve-s le jour de l’attaque, et il y avait sa fille de 6 ans avec lui. Elle ne le quittait pas des yeux, se serrait contre lui... C’était un personnage lumineux et innocent: un ange», se remémore-t-elle, touchée. Son métier, elle tente de l’accomplir «dans l’amour des autres et de la complexité de la réalité. On vit à une époque très manichéenne, où on tombe très facilement dans la haine de l’autre et la simplification», dénonce-t-elle.

«Amener les gens à leur humanité»

Vient le retour en Suisse. «C’est toujours un choc car tout est si calme ici», détaille la reporter, qui se sent «toujours là-bas intérieurement». Elle tient à dire:

«La paix n’est jamais une valeur acquise, mais un privilège absolu. On a tendance à l’oublier en Suisse.»

Depuis ce voyage, la responsable de rubrique fait face à de nombreuses critiques et réactions concernant son travail. «Ça fait 20 ans que ce conflit me passionne, et je suis toujours étonnée de constater l’incapacité des deux parties, et de ceux et celles qui les soutiennent, à reconnaître la vérité de l’autre. Heureusement, il existe aussi des personnes des deux populations courageuses, qui continuent à vouloir tendre la main à l’autre».

En octobre 2023 hélas, le conflit a pris un nouveau tournant: «les blessures sont si profondes de deux côtés, c’est comme si l’on s'enfonçait dans un gouffre, c’est dramatique». Aline Jaccottet pointe aussi la situation à Gaza:

«Aimer un pays ne signifie pas qu’on doive être aveugle face à ses erreurs, et Dieu sait si ce gouvernement israélien très à droite en a commises».

Dans une situation où les deux populations se rejoignent avant tout dans leur détestation, la cheffe de rubrique cultive un espoir: «amener de la subtilité dans la perception de ce conflit et faire émerger l’humanité des un-e-s et des autres».


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