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Octobre rose

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité

Marylise Pesenti, Danaé Correvon, Fanny Leeb et Patricia Hossenlopp confient les changements induits par leur cancer du sein sur leur intimité.

© GETTY IMAGES/DUSAN STANKOVIC - GEORGES CABRERA - ANNE-LAURE LECHAT

«J’ai eu très peur pour la double mastectomie, ma hantise. Ma poitrine représentait ma féminité et la maternité puisqu’elle a nourri mes deux filles. J’avais peur de cette nouvelle personne que j’allais devenir. Le cancer modifie énormément notre image: je n’ai plus la même tête, ce corps n’est plus le mien.» Marylise Pesenti a été diagnostiquée de deux cancers hormonodépendants, en 2006 et en 2014. Aujourd’hui, elle est en rémission.

Lorsqu’une femme traverse l’épreuve du cancer du sein – 1 sur 8 est touchée au cours de sa vie – de nombreuses questions tournoient autour d’elle. Un orage, un tsunami, une bombe atomique. Rapidement après ce diagnostic qui chamboule tout, les malades sont plongées au cœur d’une routine médicale bien huilée: ménopause induite, radiothérapie, chimiothérapie, tumorectomie, mastectomie… Les traitements sont lourds, fatigants, démotivants. Le moral sombre. Le désir aussi. Et au bout du long tunnel, semé parfois de complications, surgit enfin la lumière, ombragée par le spectre d’une récidive.

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité
«La maladie a provoqué un déclic: aujourd’hui je profite un maximum de la vie.» Marylise Pesenti, 55 ans, de Genève, conseillère en appareils auditifs © GEORGES CABRERA

Avec les traitements, il y a les effets secondaires. Ceux qui impactent le corps, la santé mentale et la confiance en soi, mais aussi l’entourage, le couple, la vie sexuelle et la fertilité. Plusieurs vies sont impactées par un cancer du sein. Les thématiques autour de l’intimité sont parfois difficiles à aborder dans le cadre médical. C’est pourquoi des associations, des conférences et des consultations spécialisées, comme celle en onco-sexologie animée par l’infirmière Sarah Caillet-Bois à l’Hôpital Riviera-Chablais, sont organisées pour détabouiser les questions d’intimité pendant et après le cancer du sein.

«Il y a un décalage entre les besoins, les questions des patientes et la prise en charge proposée, explique l’infirmière en oncologie à Rennaz. C’est pourquoi nous avons lancé une consultation mensuelle en onco-sexologie il y a plus de deux ans.»

«Lors de l’annonce du diagnostic et de la proposition thérapeutique, le médecin évoque systématiquement les effets secondaires courants, comme les nausées et la perte de cheveux. Par contre, il n’aborde pas forcément les impacts des traitements sur la vie intime et sexuelle des malades.»

«Par exemple, les effets adverses qui peuvent se manifester lors d’une hormonothérapie, comme les bouffées de chaleur ou la sécheresse vaginale, mais aussi les questions autour de la libido. Mon rôle est aussi d’y sensibiliser les professionnels.»

Le corps à l’épreuve de ses propres yeux

Patricia Hossenlopp a été diagnostiquée d’un cancer du sein triple négatif en 2019, cinq mois après une mammographie tout à fait normale. Elle a subi cinq interventions chirurgicales, dont la dernière fin juin 2023.

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité
«Je n’ai pas voulu vivre les épreuves liées à mon cancer toute seule.» Patricia Hossenlopp, 47 ans, de Genève, entrepreneuse © GEORGES CABRERA

«J’ai opté pour la double mastectomie avec reconstruction: j’ai fait le choix de retirer mon deuxième sein pour réduire les risques d’une récidive locale. Aujourd’hui je suis en rémission. Mais de mon groupe de six copines, avec le cancer triple négatif, il ne reste plus que moi. Elles avaient moins de 45 ans. Les voir partir les unes après les autres m’a bouleversée», raconte cette entrepreneuse genevoise.

«Ça a été très dur d’accepter l’ablation d’une partie de mon corps, qui plus est, une partie féminine et sexualisée. Avoir un cancer change toute la perception que l’on a de soi.»

«J’aimais ma poitrine, et mon corps comme il était avant. Une mastectomie n’est pas une opération anodine, car on fait le deuil de toutes les sensations. C’est désormais une zone morte. Le plus difficile a été l’aspect psychologique. J’ai perdu confiance en moi, car j’ai plein de cicatrices, comme un panier percé, une balafre et plus de mamelon.»

La chanteuse d’origine française Fanny Leeb a subi une tumorectomie pour soigner son cancer du sein triple négatif, diagnostiqué en 2018. Elle nous raconte les changements corporels qu’elle a traversés: «J’ai perdu 10 kg à cause des traitements. Mes cheveux, mes cils et mes sourcils aussi. Il m’arrivait de pleurer en me regardant dans la glace, mais je faisais tout pour dédramatiser et faire rire ma famille.

J’ai toujours eu un look plutôt garçon manqué et mon cancer m’a appris à être plus féminine, à prendre soin de moi et à me maquiller. Quand j’ai perdu mes cheveux, mon conjoint et mon frère m’ont rasé la tête, se souvient l’artiste. On s’est amusé à tester plein de coupes. Après je portais des foulards ou rien du tout. Je ne me sentais pas moi-même avec une perruque et je n’avais pas envie de cacher mon parcours.»

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité
«Je n’avais pas confiance en moi, mais la maladie a révélé ma force.» Fanny Leeb, 37 ans, de Montreux, musicienne et chanteuse © GEORGES CABRERA

L’un des grands challenges pour les femmes atteintes d’un cancer du sein est de se réapproprier leur corps. «La fatigue, les douleurs, les chirurgies mutilantes, l’alopécie, sont des défis auxquels elles font face, reprend Sarah Caillet-Bois. Elles sont aussi confrontées au regard des autres et à l’image qu’elles renvoient.»

La fertilité remise en question

Les effets secondaires des traitements contre le cancer du sein bouleversent la vie intime. La ménopause induite implique une réflexion autour de la maternité qui peut bousculer. Diagnostiquée à l’âge de 32 ans, Fanny Leeb a pu faire congeler ses ovocytes. Danaé Correvon n’a pas eu cette chance.

«J’avais 23 ans, en 2017, quand j’ai senti une petite masse, qui s’est révélée être un cancer, raconte cette enseignante. Trois semaines plus tard, je commençais la chimio. J’ai toujours rêvé d’avoir des enfants. Malheureusement, je n’ai pas pu faire une préservation d’ovocytes car la maladie était très agressive et il a fallu commencer immédiatement le traitement. En l’apprenant sur le moment, je me suis dit que la vie ne valait pas la peine d’être vécue… Je suis en ménopause artificielle depuis 5 ans.»

Quand le cancer du sein bouleverse l’intimité
«À cause du cancer, je devrai peut-être renoncer à mon rêve de devenir maman.» Danaé Correvon, 29 ans, de Lausanne, enseignante en primaire © ANNE-LAURE-LECHAT
«Lorsque j’ai rencontré mon compagnon en 2020, je l’ai prévenu que je ne pourrais peut-être jamais fonder une famille. Mon cancer est hormonodépendant et chronique et une grossesse pourrait mettre ma santé en danger.»

«Ma maladie pourrait également fermer la porte à une éventuelle adoption, confie Danaé. Avec mon compagnon, on s’est demandé s'il valait mieux se séparer, parce que lui aussi désire des enfants. Mais on a préféré rester ensemble et se battre. Ce sont des épreuves dures à traverser, mais on garde espoir. Peut-être que la situation évoluera.»

Le couple emporté dans la vague de la maladie

Danaé Correvon peut compter sur son compagnon, qui représente un pilier pour elle au quotidien. «Il s’est impliqué depuis le début, m’accompagne aux rendez-vous, à des groupes de parole. Il s’occupe des tâches domestiques. Il a poussé ma chaise roulante lorsque je ne pouvais plus marcher. Concernant la sexualité, il n’a jamais connu mon corps autrement, car il n’était pas encore dans ma vie lorsque ma poitrine a changé de forme suite à mon premier cancer.»

«Mais depuis l’annonce de la récidive qui a touché mes poumons en 2021 et la reprise de la chimio, l’intimité est plus compliquée. À une période, je ne pouvais plus faire d’effort physique. Et je n’ai presque plus de désir.»

«Je vois que nos câlins lui manquent et pour moi aussi, c’est une situation frustrante. Les médecins nous ont dit que c’est normal, et ça nous aide à faire face.»

Dans le cadre de sa consultation en onco-sexologie, Sarah Caillet-Bois remarque une différence entre les femmes et les hommes qu’elle reçoit: «Les hommes consultent la plupart du temps pour des troubles érectiles, alors que les femmes veulent réapprendre à se toucher, pas sexuellement, parfois simplement pour mettre de la crème. Elles ont également parfois de la peine à se laisser toucher par leur partenaire. En tout cas, je remarque que les rapports sexuels sont moins importants pour elles, et qu’elles souhaitent plutôt retrouver le toucher et la tendresse, analyse-t-elle. Ce sont des généralités, bien sûr.»

Mariée depuis 33 ans, Marylise Pesenti n’a pas hésité à proposer à son époux d’aller voir ailleurs lorsque sa libido était en berne à cause des traitements. «Je ne me sentais plus femme, je n’avais plus de désir. Et avec la reconstruction après la double mastectomie, plus de sensation dans la poitrine. Malgré ma proposition, mon mari est resté auprès de moi, avec une patience infinie, alors que sa vie a aussi été éclaboussée par mes cancers.»

«Lorsque mes traitements étaient terminés, j’ai pris ma revanche sur ce corps qui m’a fait tant souffrir. Je me suis lancé des défis: saut en parachute, parapente, plongée ou championnat du monde de nage en eau froide. Mes proches ne me reconnaissaient plus, car auparavant j’étais très introvertie.»

«Je me suis totalement transformée, mais mon mari avait du mal à me suivre. Je le surnommais "tortue", je lui demandais de bouger un peu plus à mes côtés, car je n’avais plus de temps à perdre. On a réussi à trouver un équilibre.»

Patricia Hossenlopp était également en couple lorsque le diagnostic est tombé: «Au début, c’est plutôt moi qui ai essayé de dédramatiser, mais c’est un rôle difficile à tenir. La maladie nous renvoie à nos propres peurs, donc des personnes de l’entourage peuvent prendre la fuite. Pour mon conjoint, ce n’était pas évident, car mon cancer lui était sans cesse rappelé lorsqu’il rencontrait des gens qui demandaient de mes nouvelles. Toute la vie tourne autour de cela, il n’y a pas tellement de place pour autre chose. Pendant mon cancer, le désir était la dernière de mes préoccupations. Auparavant, je portais beaucoup d’attention sur la sexualité, la sensualité, la séduction. Mais aujourd’hui, je me rends compte que ce n’est plus comme avant. Mes objectifs de vie ont changé.»

De son côté, Fanny Leeb a eu besoin de se retrouver après les traitements. «Mon conjoint s’est senti terriblement impuissant face au diagnostic. J’avais une chance énorme d’être avec quelqu’un qui me disait tous les jours que j’étais belle et qui m’a soutenue.»

«Après les traitements, j’avais changé, j’ai compris que je ne serai plus la même. Je n’étais plus entourée en permanence par le corps médical et mes proches, j’ai dû revenir dans la vie réelle. Ça a été difficile pour moi.»

«Ce qui fait qu’avec mon conjoint, il y a eu besoin de se réajuster. J’ai eu besoin de partir, de souffler, de me retrouver et d’apprendre à connaître la nouvelle femme que j’étais.»

L’importance du soutien sur les questions d’intimité

«Lorsque j’étais malade, on ne parlait pas de ces questions d’intimité, se rappelle Marylise Pesenti. Je n’ai pas du tout été entourée, suivie, sur les questions de sexualité. Heureusement, la situation a évolué, car de plus en plus de femmes jeunes sont atteintes d’un cancer du sein et la question de la maternité peut se poser. C’est vraiment important selon moi de développer l’accès à des psycho-oncologues, pour accompagner les patientes et leur conjointe ou conjoint dans ce parcours, et d’avoir un espace pour échanger sur l’image de soi.»

D’après Sarah Caillet-Bois, les questions d’intimité et de sexualité pendant le cancer sont mieux appréhendées aujourd’hui, notamment grâce à l’organisation d’événements spécifiques comme le symposium «Sexualité et cancer» du 17 novembre 2023 au CHUV. «Il y a 25 ans, nous n’en parlions pas du tout», se souvient l’infirmière.

«De manière générale, je trouve que le dialogue autour de la sexualité est plus ouvert et que les jeunes femmes sont mieux sensibilisées, notamment grâce aux réseaux sociaux.»

«Or, il reste des efforts à fournir dans le milieu hospitalier en Suisse: les consultations en onco-sexologie n’existent pas encore dans tous les services d’oncologie et de radiothérapie.»

Peut-être parce qu’elle était toute jeune, Danaé Correvon a, elle, eu quelques difficultés à trouver un appui auprès d’associations. «D’abord réticente à demander de l’aide, j’ai ressenti un besoin de soutien dès la fin de mes traitements. Car pendant la maladie, on nous prend par la main, et dès que c’est terminé, on nous dit de poursuivre notre vie, explique-t-elle. Mais je ne savais pas comment faire et je me sentais seule. Puis j’ai découvert OSE Thérapies et j’ai beaucoup apprécié leurs offres d’ateliers et de groupes de parole. L’opportunité de venir accompagnée m’a aidée à franchir le pas.» Son conseil? Ne pas rester seule dans cette épreuve.

Les actus de nos témoins

Marylise Pesenti est coprésidente du Réseau Cancer du Sein de l’association Savoir Patient et coordinatrice des marraines. Après son cancer, elle a voulu soutenir à son tour les personnes malades. L’association anime de nombreux événements à l’occasion d’Octobre rose, comme une Pink Night avec le Genève-Servette HC le 7 octobre 2023, une soirée de soutien le 26 octobre au Grand Théâtre de Genève ou encore la conférence sur le thème «sexualité, fertilité et cancer» au CHUV le 17 novembre.

Le 10 octobre 2023, Fanny publie la BD Face au vent (Éd. Leduc), illustrée par Cyrielle Pisapia, qui retrace son combat contre le cancer du sein. Au fil de l’histoire, des codes QR renvoient aux morceaux composés pendant sa maladie, issus de l’album The Awakening. «Sur la couverture, Fearless fait référence à une chanson écrite pendant ma chimiothérapie. J’étais très faible, mais je me suis surpassée et j’ai mis toute mon âme et ma force dans cette chanson.» Fanny Leeb dédicacera sa BD chez Payot, à Morges le 13 octobre de 18 h 30 à 20 h, et à Lausanne le 14 octobre de 11 h à 12 h 30.

Comme de plus en plus de femmes jeunes sont atteintes du cancer du sein, il est important pour Danaé Correvon de transmettre son expérience. «Des associations ne m’ont pas ouvert leurs portes, parce que j’avais 23 ans. Or, j’aimerais dire aux jeunes femmes qu’elles ne sont pas seules.» Ainsi, la jeune femme a ouvert le compte Instagram @danette_a_la_rose, où elle partage son quotidien avec la maladie.

À l’occasion d’Octobre rose, la marque de bougies végétales de Patricia Hossenlopp, Miaou Candle, propose une bougie spéciale dont une partie des bénéfices est reversée à la Fondation OTIUM. Engagée dans la sensibilisation, Patricia a ouvert la chaîne YouTube Oenéis sur laquelle elle partage son expérience et ses conseils. En outre, accompagnée par son ami Laurent, également atteint d’un cancer du sein, elle anime le podcast Ensemble (sur toutes les plateformes d’écoute), qui propose un regard décalé sur leur parcours jusqu’à la rémission.

Merci à Orcun Bakirci, make-up artist Estée Lauder, pour avoir maquillé et coiffé Patricia Hossenlopp, Fanny Leeb et Marylise Pesenti.

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