Femina Logo

Interview

Inna Geletyuk: L’Ukraine loin des yeux, près du cœur

Inna Geletyuk Ukraine ZOE JOBIN

«D’un côté, vous êtes en sécurité, mais de l’autre, votre cœur est resté en Ukraine. Vous ne pouvez pas ignorer les nouvelles.» - Inna Geletyuk

© ZOE JOBIN

FEMINA Vous dirigiez une entreprise de médias en Ukraine, puis vous avez tout abandonné le 24 février 2022 pour fuir avec vos enfants. Êtes-vous toujours en Suisse aujourd’hui?
Inna Geletyuk
Je réside toujours en Suisse. En ce moment, je travaille sur un projet de média nommé Destinations.ua, avec le soutien de collègues locaux et d’Ukraine. En vivant ici, j’ai réalisé qu’il y avait le besoin d’une intégration plus rapide et d’une meilleure compréhension entre Ukrainiens et Suisses.

Notre projet s’adresse aux ressortissantes et ressortissants d’Ukraine qui vivent en dehors de leur pays et aux personnes qui, ici en Suisse, sont impliquées dans le sujet ukrainien, nous aident et nous soutiennent. Nous montrons des histoires personnelles, des opinions, et nous parlons de notre culture et de notre histoire.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a débuté il y a un an. Comment avez-vous traversé cette période compliquée?
L’année écoulée a été difficile car elle a été extrêmement imprévisible. On ne peut le comprendre que si on le vit. D’un côté, vous êtes en sécurité, mais de l’autre, votre cœur est resté en Ukraine. Vous ne pouvez pas ignorer les nouvelles, comme les personnes qui vivent en Europe par exemple.

Parce que vous avez votre famille là-bas. Vos proches qui sont dans différentes parties de l’Ukraine. Ils ont leurs histoires et traversent parfois des situations extrêmement difficiles. Vous ne pouvez pas ignorer cela, mais vous ne pouvez pas aider beaucoup.

D’un autre côté, ça a été une année de nouvelles idées, de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences. Et vous pouvez voir comment la vie est étonnante. Parce que vous passez par ces différents états émotionnels. Vous apprenez à accepter, à être ouvert à la nouveauté et à lâcher prise. Et parfois les choses se passent en un jour.

Quels furent les moments les plus complexes à gérer?
Le plus difficile pour moi a été de gérer ma nouvelle vie. J’ai dû tout gérer: mon projet, mon fils et son école avec des normes différentes, apprendre la langue et m’occuper de la maison et des autres choses de la vie quotidienne. Et gérer mon état émotionnel. De même que soutenir mon équipe en Ukraine et lancer une nouvelle équipe ici.

C’était difficile, c’est vrai. J’ai aussi eu des moments compliqués parce que mon père est décédé cet été. Cependant la nature suisse m’a soignée, c’est sûr! Et cela a été un grand soutien pour mon état émotionnel. Nous avons réussi à amener notre chien, qui nous manquait. J’ai rencontré de nouvelles personnes intéressantes et étonnantes ici.

Y a-t-il des choses qui peuvent encore être faites pour les femmes et les enfants d’Ukraine ayant trouvé refuge ici?
Je vois que l’Europe fait beaucoup, comme la Suisse. Mais nous devons mieux comprendre que la différence entre nous et les réfugiés au sens traditionnel du terme est que nous n’avions pas prévu de partir, c’est arrivé de manière extrêmement inattendue. Nous n’avons pas fui notre vie là-bas. Nous avons aussi beaucoup de gens qui ont fait des études supérieures et qui sont prêts à faire quelque chose.

En tant que mère, je peux dire qu’il est difficile de concilier travail et enfant ici en Suisse. En Ukraine, il est beaucoup plus facile pour une femme d’organiser sa vie. Nous avions l’habitude de travailler en Ukraine, les femmes sont très actives dans notre pays. Et il y a d’autres choses bien sûr. Je dirais qu’une meilleure communication est probablement nécessaire entre ceux qui aident et ceux qui ont besoin d’aide. Cela permettrait aux deux parties de s’intégrer plus rapidement.

Dans quel état d’esprit se trouve le peuple ukrainien?
Je reste en contact avec de nombreuses personnes à Kiev. Elles sont étonnamment courageuses. Et optimistes. Elles vivent sans électricité et en plaisantent. Parfois juste deux heures par jour. Je vous donne un exemple. Mes employés du magazine Viva ont proposé d’organiser un événement caritatif avec des célébrités. Le jour avant l’événement, le black-out a commencé après des attaques de roquettes. J’étais sûre que nous devrions l’annuler.

Néanmoins, nous avons vendu tous les billets. Personne n’a demandé l’annulation. Nous avons organisé avec succès une vente aux enchères pour soutenir des projets humanitaires. Et ceux qui ont acheté des billets sont tous venus! Ils sont arrivés et repartis dans l’obscurité totale des rues.

L’hôtel où nous avons organisé l’événement nous a fourni l’électricité. Tout s’est passé comme dans le passé. Je ne peux qu’imaginer à quel point il faut être fort pour vivre comme avant, avec le risque des roquettes.

Comment voyez-vous le futur de votre pays?
Je le vois prospère. Nous vivons une transformation très forte. Chacune et chacun d’entre nous. Peu importe si nous sommes en Ukraine ou en dehors du pays. Nous sommes plus unis, plus ouverts, à la recherche de nouvelles opportunités. Les plus grandes croissances se produisent toujours lors de crises. Nous devons donner le meilleur de nous-mêmes dans cette guerre, en tant que personnes, en tant qu’équipes, en tant qu’entreprises, en tant que culture…

Mettre en œuvre de nouvelles normes, de nouvelles solutions. Inviter de nouveaux partenaires. Créer de nouvelles opportunités, pas seulement pour l’Ukraine. Cela nous rendra définitivement prospères.

Nicolas vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné