Conflit israélo-palestinien
L'enlèvement massif de femmes qui émeut Israël
«Ne me tuez pas!» La vidéo, glaçante, a fait le tour des réseaux sociaux. Une jeune Israélienne est emmenée de force sur une moto par des hommes armés, devant les yeux de son petit ami qui marche hagard, ligoté. Dans une autre de ces vidéos filmées par le Hamas lui-même, une femme maculée de sang est tirée par les cheveux pour être ensuite jetée dans une voiture. Dans une troisième scène, le corps inanimé et quasi nu d’une femme est transporté, désarticulé, à l’arrière d’une jeep.
Samedi 7 octobre 2023, environ 150 personnes ont ainsi été kidnappées sur le sol israélien par les commandos terroristes venus de la bande de Gaza. Des hommes, des personnes âgées, parfois des enfants, mais aussi de nombreuses femmes. Les vidéos diffusées par le Hamas témoignent de cette envie de rendre particulièrement visible l’enlèvement des otages féminins.
«Des gens ont déjà été kidnappés en Israël dans le passé, mais il s’agissait surtout de soldats, observe Étienne Dignat, docteur en science politique et auteur de La rançon de la terreur (Éd. PUF, 2023).
Des méthodes qui choquent
Tous les experts s’accordent sur ce point: les méthodes de l’organisation islamiste palestinienne, classée comme terroriste par plusieurs pays, ont subitement changé. «Le Hamas n’avait pas l’habitude de fonctionner de cette manière-là, et ces violences, les exécutions, rappellent davantage les images que Daech diffusait, relevait le spécialiste du monde arabe Gilles Kepel lors d’une interview accordée à BFMTV le 10 octobre 2023. Le Bataclan et la rave party donnent le sentiment que cela appartient un peu au même mode opérationnel. Mais c’est quelque chose que Daech n’avait pas les capacités de faire avec cette ampleur, Daech ne pouvait pas envoyer 1500 personnes.»
Celui-ci, groupe islamiste basé en Irak et en Syrie, commanditaire de plusieurs attentats sanglants en Europe, était d’ailleurs coutumier des enlèvements massifs de femmes dans les années 2010, des rapts notamment perpétrés sur des Yézidies faisant partie de sa stratégie de terreur.
Femmes en première ligne
Reste que s’en prendre à la population féminine du camp adverse dans un contexte de conflit armé ou de terrorisme n’est pas un phénomène récent, et les échelles et les motivations sont souvent diverses.
«Durant la Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise avait mis en place un système de rafle des femmes afin de nourrir des réseaux d’esclaves sexuelles pour ses propres soldats, pointe l’historien Fabrice Virgili, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’articleLes violences sexuelles en temps de guerre (Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe). Des dizaines de milliers de victimes ont été recensées. Lors du conflit en ex-Yougoslavie, des femmes bosniaques ont été capturées puis violées, ici dans un processus conscient de générer une descendance assimilée racialement.»
Un scénario redouté
L’Afrique a, elle aussi, payé un prix élevé en la matière ces dernières décennies: les enlèvements de femmes pendant les guerres au Rwanda et en RDC ont conduit à des violences sexuelles massives, tandis que les kidnappings de dizaines d’écolières au Nigeria par le groupe terroriste Boko Haram, pour la plupart jamais retrouvées, ont traumatisé le pays. «Ces enlèvements de masse demeurent mal documentés à cause de leur rareté, constate Fanny Benedetti, juriste et cofondatrice d’ONU Femmes France. Il faut en effet une logistique et une organisation pour enlever et conserver autant d’otages dans un lieu pendant longtemps.»
Mais pourquoi le Hamas, à son tour, se met à capturer des femmes en grand nombre? «Il est encore difficile de dire si ces otages féminins étaient une cible préméditée, en tout cas, il s’est agi d’une opportunité dont ils ne se sont pas privés, note Étienne Dignat. La capture en masse de femmes était d’ailleurs redoutée depuis longtemps par les Israéliens, à tel point que les autorités évitaient d’envoyer des femmes soldats dans les zones à haut risque d’enlèvement.»
Déviriliser les hommes
Aux yeux des spécialistes, la dimension symbolique de ces rapts, calculés ou non, est évidente, comme pour tous les enlèvements de femmes menés en temps de guerre ou de terrorisme.
On remet aussi en question les hommes du groupe, puisque ceux-ci passent pour être incapables de protéger leur famille et les membres les plus vulnérables de la société. Dans ces deux cultures patriarcales, ces enjeux symboliques fonctionnent à plein.»
Porteuses de la judéité
Sans oublier que la culture israélienne est particulièrement sensible à ces questions, soulève Étienne Dignat, étant donné que «ce sont les femmes qui sont porteuses de la judéité. Leur capture touche donc à un aspect symbolique fort. Par ailleurs, la personne victime d’enlèvement a une place importante dans la religion juive depuis l’Antiquité, et selon Maïmonide, plus grand rabbin du Moyen Âge, il n’y a pas de plus grand acte pour un croyant que de sauver un ou une otage. On voit ainsi que dans l’armée existe un contrat moral qui engage les autorités militaires israéliennes à aller récupérer coûte que coûte les soldats enlevés par l’ennemi.»
Le Hamas mise probablement sur cette tradition, qui fait de la centaine de personnes capturées un bouclier humain et une arme stratégique pour contraindre Tsahal à mesurer sa riposte. «La forte présence de femmes parmi les otages revêt une importance particulière pour le groupe islamiste, car l’émotion du public générée par les images pèse beaucoup et augmente la valeur d’échange et les moyens de pression», fait remarquer Fabrice Virgili.
Quel sera le destin de ces femmes et autres civils retenus à Gaza? «La grande valeur stratégique de ces otages fera peut-être que les ravisseurs ne se comporteront pas tout à fait comme Daech ou Boko Haram, mais le risque de subir des violences sexuelles est quasi inévitable ici, s’inquiète Fanny Benedetti. Et on sait que même lorsqu’elles survivent, ces femmes ont une réintégration compliquée, soupçonnées d’avoir consenti à un lien intime avec l’ennemi. Les choses sont d’autant plus préoccupantes qu’on assiste à un retour en arrière en matière de protection des femmes dans les conflits, où elles en sont les premières victimes.»
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