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Grâce à mon sexe «réparé», je me sens enfin femme

Grâce à mon sexe «réparé», je me sens enfin femme

«Je n’ai rien vu, ni ceux qui me tenaient à terre ni le visage de l’exciseuse.»

© Stefan Meyer

Il m’aura fallu arriver à mes 50 ans, et me faire opérer, pour redécouvrir mon corps de femme. Pour me sentir enfin libre d’aimer et d’être aimée. Comme si, en réparant mon sexe mutilé, j’avais en fait pansé les plaies de mon âme.

J’aurais pu me résigner. Ne jamais en parler. En Côte d’Ivoire, l’excision est une coutume ancestrale qui touche près de 40% des femmes. Mais ça reste un sujet tabou. J’ai été excisée à 9 ans, en même temps que huit de mes sœurs. A la chaîne. Ce jour-là, nous croyions aller à Bouaké, au centre du pays, pour une journée shopping. Nous étions heureuses. Mais c’était un piège: le convoi s’est arrêté en pleine brousse, on nous a jeté des draps sur la tête pour qu’on ne voie pas ce qui se passe. Nous nous sommes mises à hurler de terreur, appelant nos parents au secours. Je n’ai rien vu, ni ceux qui me tenaient à terre ni le visage de l’exciseuse. J’ai seulement entendu le bruit de ma chair qu’on coupait et recoupait. Et puis cette douleur, insoutenable…

J’ai longtemps pleuré au souvenir de cet épisode

Plus tard, avec ma sœur aînée, nous avons tenté de protéger les cadettes de notre famille. Nous avons parlé à papa, en vain… Nous étions face à un mur: celui de la tradition.

Puis le temps a passé. En quête d’amour, mais privée de plaisir pendant l’acte sexuel, j’avais l’impression de faire «fuir» les hommes. J’avais honte de mon corps. L’impression de ne pas être une femme à part entière. C’était pour moi une réelle souffrance. D’autant que j’aspirais à fonder une famille. J’ai eu un premier enfant à 24 ans, en Côte d’Ivoire, puis un deuxième cinq ans plus tard, en Suisse où je me suis installée. J’étais comblée, mais le plaisir restait pour moi une notion inconnue.

Et puis, un jour, j’ai eu un orgasme. C’était incroyable! J’avais 38 ans. Divorcée depuis peu et en vacances dans mon pays d’origine, j’ai fait pour la première fois l’amour avec un homme qui me plaisait physiquement. Ça a été le déclencheur. Après la honte et la colère éprouvées pendant tant d’années, cette fois je voulais agir! A mon retour à La Chaux-de-Fonds, où j’habite, j’ai fondé Loucha (qui signifie lève-toi en langue yacouba), une association pour lutter contre l’excision. C’était le 23 mai 2009.

La loi n’est jamais appliquée

La chirurgie réparatrice? A cette époque, j’y pensais mais ce n’était pas une priorité. Mon objectif était d’agir sur le terrain pour éviter à d’autres femmes de subir le même sort. Mais comment parler d’un sujet tabou?

J’ai empoigné mon bâton de pèlerin et, durant trois mois, je suis allée de village en village pour informer, sensibiliser… C’était plus facile: grâce à la notoriété de mon père, un notable respecté de lignée royale, j’avais une légitimité. J’étais leur fille, leur sœur… et mon message a été entendu. J’ai été la première femme à oser dire à la radio et à la télévision ivoiriennes: on nous a coupé le clitoris! Mon action a été retentissante. Il faut savoir que, dans notre pays, l’excision est interdite depuis 1998. Mais la loi n’est jamais appliquée…


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Aujourd’hui, Loucha est reconnue aussi bien par la base que par les politiques. Et ça, c’est le plus important. Sans la participation des autorités, nous n’aurions rien pu faire. Avec d’autres associations et ONG, nous avons organisé de nombreuses manifestations. Nous projetons d’élargir notre action à l’ensemble du pays, dès 2017. Je suis fière de voir notre engagement porter ses fruits.

Mon ami m'a encouragée

En même temps que mon association se faisait connaître, j’ai rencontré l’amour. Fatiguée de souffrir en silence, de me cacher, j’ai mis cartes sur table dès le début. Dès notre première rencontre, j’ai demandé à mon ami: tu sais ce qu’est l’excision? Il m’a répondu non. Je me suis couchée sur le canapé, j’ai écarté les jambes et je lui ai montré. Il est devenu tout rouge… Mais il a été exceptionnel!

C’est plus tard que nous avons abordé le thème de la chirurgie réparatrice. Il m’a encouragée. J’en avais envie, mais je voulais le faire en groupe, en même temps que d’autres Ivoiriennes, pour boucler la boucle. J’ai contacté le chirurgien français Pierre Foldès, le premier à avoir fait de la réparation des femmes excisées son combat. Je voulais qu’il vienne avec son équipe en Côte d’Ivoire. Mais ça n’a pas joué. J’en ai finalement parlé à mon gynécologue. Il a rapidement contacté la doctoresse Renteria au CHUV, à Lausanne, avec qui j’ai eu un rendez-vous en décembre 2015. Elle m’a expliqué que, dans mon cas, ils n’allaient pas effectuer de miracles: tout ayant été coupé, on ne pouvait pas reconstruire le sexe. Par contre, ils allaient refaire la cicatrice et dégager ainsi toutes les parties sensibles, notamment autour du nerf du clitoris, ce qui me permettrait d’éprouver davantage de plaisir pendant l’acte sexuel. Ensuite, tout est allé très vite. Je me suis fait opérer le 21 janvier dernier. A cette seule idée, j’étais si heureuse que je n’ai même pas pensé qu’il s’agissait de me couper en bas, encore une fois! C’est la veille au soir, et la nuit, que j’ai commencé à avoir peur. Mon ami n’ayant pas pu m’accompagner pour l’opération, je me suis sentie seule, ce jour-là… Mais tout s’est bien passé. Le lendemain, j’étais à la maison. Au comble de la joie! Non seulement je n’ai ressenti aucune douleur au moment d’aller aux toilettes, mais je n’avais plus cette horrible cicatrice qui chaque fois me rappelait ce que j’avais vécu dans ma chair de femme.

Je suis heureuse!

Je me suis bien rétablie. Mon amoureux et moi avons attendu trois mois avant de refaire l’amour. Nous y sommes allés tout en douceur. Ça a été juste magnifique.

Depuis je me sens légère, femme, désirable. Oui, je renais. Moi qui ne portais jamais de rose, j’ai commencé à aimer cette couleur. Ça me touche, ça m’attendrit, comme une petite fille. Je suis HEUREUSE! Non seulement j’ai fait la paix avec mon corps, mais j’ai trouvé ma voie avec Loucha. Si ça a été difficile au début – beaucoup de personnes étaient gênées que j’aborde cette thématique – aujourd’hui, c’est différent. Les portes s’ouvrent. J’en suis à chaque fois étonnée et reconnaissante. Mon rêve serait un jour de faire construire en Côte d’Ivoire une clinique spécialisée dans la chirurgie réparatrice, afin que toutes celles qui ont été excisées puissent un jour, à leur tour, retrouver leur dignité.

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