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Avant que mon destin bascule il y a 9 ans, je vivais ma vie rêvée: avec mon partenaire et compagnon Didier, nous présentions des numéros de voltige dans le monde entier. Des étoiles dans les yeux, le public nous regardait nous élancer dans les airs et exécuter des figures à couper le souffle.

Derrière ces chorégraphies parfaitement maîtrisées, il y a beaucoup de travail et de sacrifices. Sportive depuis mon plus jeune âge, j’ai commencé à faire des stages de formation dans des écoles de cirque à l’adolescence. Ayant quelques facilités pour l’acrobatie, j’ai poursuivi dans cette voie. A 18 ans, j’ai quitté ma famille pour intégrer l’Ecole du cirque de Berlin. Première élève d’Europe de l’Ouest à pénétrer dans cet internat à la discipline très «soviétique» – le Mur venait de tomber – j’ai appris mon métier à la dure.

Mon diplôme en poche, je n’ai pas tardé à enchaîner différents contrats et à voyager à travers toute l’Europe en caravane. Telle une athlète de haut niveau, je menais une vie d’ascète. Entre entraînements quotidiens pour garder ma souplesse et ma force et les représentations – souvent 7 jours sur 7 – je ne chômais guère. Mon nom a commencé à être connu dans le milieu. Avec Didier, un artiste suisse que j’avais déjà croisé au début de ma carrière, nous avons monté un numéro. Et l’amour, forcément, s’en est mêlé. «L’union fait la force» est devenue notre devise. Je ne savais pas encore à quel point elle allait se révéler vraie.

Une chute lourde de conséquences

Cette journée fatidique du 24 septembre 2007, Didier et moi étions en train de peaufiner une nouvelle chorégraphie aérienne dans un parc d’attractions à Rimini. Comme toujours, nous répétions chaque geste au millimètre près, avec une concentration extrême. Quatre mètres plus bas, un employé était chargé de veiller à notre sécurité avec un matelas. Avait-il relâché son attention? Toujours est-il que suite à une mauvaise prise de main, j’ai lourdement chuté au sol.

Quand j’ai repris conscience, deux semaines plus tard, je me trouvais dans un lit d’hôpital. Didier était à mon chevet. Il a été le premier à m’apprendre le verdict: avec des vertèbres fracturées et la moelle épinière sectionnée, j’étais condamnée à rester dans une chaise roulante jusqu’à la fin de mes jours. Pour ma part, cette nouvelle m’a assommée. Je n’ai pas hurlé ni crié, car je n’avais pas encore intégré le fait que jamais plus je ne marcherais ni ne pourrais pratiquer mon métier. J’ai pris réellement conscience de ce que cela signifiait quand je me suis retrouvée au Centre suisse des paraplégiques (CSP) où je suis restée six mois. Peu à peu, j’ai dû apprendre à me réapproprier mon corps, cet outil que je maîtrisais à la perfection et qui ne m’obéissait désormais plus. Durant cette période sombre, Didier est resté à mes côtés. Il avait élu domicile sur le parking de l’établissement, dans un camping-car. Mécanicien sur cycles de formation, il avait même réussi à trouver un petit job à l’atelier du centre.

Vice-championne du monde en paracyclisme

A ma sortie du CSP, la réalité m’a frappée de plein fouet. Non seulement j’étais tombée de mon piédestal d’artiste reconnue, mais j’étais aussi devenue dépendante, car à l’extérieur rien n’est conçu pour les personnes à mobilité réduite. En plus, notre situation financière était catastrophique car mon assurance-accidents refusait de prendre en charge les frais liés à mon accident. Je me suis retrouvée avec 60  000 francs de factures impayées, ce qui nous a obligés à vivre durant trois ans dans un conteneur de chantier dans le jardin de la mère de Didier. Après un long bras de fer de presque quatre ans, j’ai fini par obtenir gain de cause.


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Entre-temps, je me suis découvert une passion pour le handbike. Cet engin à trois roues m’a permis de me réconcilier avec mon nouveau corps. C’était une sensation fabuleuse de sentir les muscles de mes bras dans les montées! Alors je me suis lancée dans la compétition. Dès la première saison, j’ai décroché neuf médailles d’or, deux d’argent et une de bronze. Et j’ai gagné le Circuit européen. Ayant le passeport allemand, j’ai pu intégrer l’équipe nationale allemande pour participer à la Coupe du monde. Sacrée vice-championne du monde en 2015, j’aurais dû participer aux Jeux paralympiques de Rio en 2016. Mais pour d’obscures raisons, la Fédération allemande de sport pour handicapés en a décidé autrement.

La Suisse à bout de bras

Battante et toujours prête à relever de nouveaux défis, je me suis lancée dans un projet un peu fou cet été: la Suisse à bout de bras. A la seule force de mes bras, en handbike, j’ai gravi 13 cols alpins suisses – 14 000 mètres de dénivelé positif. Avec à chaque fois des rencontres exceptionnelles à l’arrivée au sommet. Comme cela a été le cas au col du Simplon, où j’ai été accueillie par les chanoines de la Congrégation du Grand-Saint-Bernard. Au col des Mosses, l’état-major de l’armée suisse m’a réservé une belle surprise: des militaires grimés en noir ont couru les derniers mètres avec moi. Après une cérémonie de toute beauté, j’ai été invitée à tirer un coup de canon dans la montagne. Autre entrevue inoubliable, celle avec l’aventurier et alpiniste Jean Troillet, au sommet du Pillon. Après avoir échangé avec cet homme d’exception, j’ai fait mon baptême de parapente depuis le glacier 3000, avec atterrissage dans l’aire du Festival du film alpin des Diablerets. Et au col du Grand-Saint-Bernard, après cinq heures d’ascension très intense, j’ai eu le privilège de pouvoir porter le trésor de l’hospice, un calice en or du XVe siècle.

Une équipe de caméramans m’a suivie tout au long de ce projet, car un film documentaire et un livre vont relater cette aventure hors du commun. Je vais également donner des conférences-témoignages sur le dépassement de soi dans l’effort. Et partager ma soif de vie.

Je collabore actuellement avec des chercheurs à l’EPFL qui travaillent sur la conception d’un exosquelette révolutionnaire. En tant que «pilote d’essai», je les aide à avancer dans leur technologie. Ce projet innovateur sera présenté à la compétition Cybathlon, à Zurich, le 8 octobre 2016. Lors d’une de nos séances, j’ai vécu un moment très fort: pour la première fois depuis neuf ans, j’ai vu mes jambes marcher. Qui sait ce que me réserve demain?

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