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témoignage

Ada Marra: «Bonjour, je suis la stagiaire de l’aumônière!»

Ada marra bonjour je suis la stagiaire de laumoniere

L'ancienne conseillère nationale Ada Marra a trouvé une nouvelle vocation en accord avec son envie de prendre soin des autres.

© CYNTHIA MAI AMMANN

«Entrer en politique comme on entre en religion, une vocation…», c’est par ces mots que commençait ma lettre de motivation pour un entretien auprès de l’Église catholique vaudoise pour un poste d’accompagnante spirituelle. J’avais l’impression à l’aube de mes 50 ans d’avoir effectué la première partie de la phrase par mon activité politique. Il me restait à vérifier si la deuxième partie allait se réaliser…

Et me voilà donc ce 1er novembre à l’hôpital de Morges à enfiler cette blouse blanche si symbolique. Une sensation pour moi d’étonnement et d’amusement. «Vous êtes la doctoresse…. ?» me demande-t-on dans la file de la cantine le premier jour. «Non non, moi je suis la stagiaire de l’aumônière!» Envoyer une photo de moi dans cet habit qui ne fait pas le moine à ma famille et à mes anciens et anciennes collègues avec ce message lapidaire: «Ma nouvelle vie!»

Nouvelle par ses modalités si différentes. Son milieu, ses expressions. Mais est-elle réellement si différente par son sens? Pour moi faire de la politique, c’est vouloir le bien des gens. C’est essayer de prendre soin d’eux pour qu’ils puissent vivre le mieux possible. C’est prendre soin des institutions qui organisent et accompagnent les différentes étapes de nos vies. Je crois qu’être auprès des gens dans des moments de fragilité de leur vie, que ce soit la maladie ou la mort, c’est aussi essayer qu’ils puissent passer ces épreuves, ces temps de vie (la mort en est un) le mieux possible. Non plus dans une action politique de défense des services publics qui me sont chevillés au corps, mais dans un lien direct, du toi à toi, de main à main. Le point commun entre ma première vie et ma deuxième, c’est le «prendre soin».

Échange intense

La première visite à laquelle j'assiste, je ne l’oublierai pas. Cet échange intense et naturel entre ma formatrice et cet homme souffrant d’un cancer, accompagné de son épouse. Après plusieurs chimios, dont la première semblait pourtant prometteuse, avant qu’elle ne s’avère malheureusement pas efficace, ils devaient prendre la décision d’en entamer encore une, en ayant la conscience que c’était peut-être inutile au vu de l’état physique de cet homme. Lui ne le désirait plus vraiment. Elle oui. C’était elle la combattante, celle qui ne voulait pas que cela finisse.

Comment parler de la mort, comment dire l’indicible, comment admettre que le temps nous est désormais vraiment compté. Comment dire à soi-même d’abord et à ceux qu’on aime ensuite: c’est fini. Je ne serai plus là. Tu ne me verras plus. Cet homme mourra quatre jours après cet entretien. Je n’oublierai pas ses magnifiques yeux bleus, sa lumière, son calme, sa présence malgré la fin qu’il présageait. C’est comme s’il avait fait sienne cette magnifique phrase entendue plus tard: ajouter de la vie aux jours, quand il n’est plus possible d’ajouter des jours à la vie…

Parler de la vie

Pour un article qui paraît durant les fêtes de Noël, il est bien triste, me direz-vous! Pourtant parler de la mort c’est parler de la vie.

Paradoxalement, c’est par son dernier acte que s’éclairent tous les précédents. Notre vie ne peut pas et ne doit pas se résumer à ce seul dernier acte. C’est pour cela qu’il est si important lors des cérémonies funéraires de parler de la vie du défunt.

Peut-être que pour nous aider à appréhender ce qui nous paraît inconcevable, il ne faudrait pas parler de la mort comme d’une tragédie.

C’est évidemment plus facile quand c’est dans l’ordre des choses. Et beaucoup moins quand cela survient pour des enfants, des jeunes, de façon abrupte et inattendue. Et si on essayait de ne pas parler de dernière fois. De son dernier instant. Mais aussi des premières fois. Qu’on l’a rencontré, qu’il est tombé amoureux, qu’il a mangé une glace.

C’était donc mon premier entretien et je ne l’oublierai pas. Il a été suivi de bien d’autres qui n’avaient pas toujours cette gravité. L'hôpital, ce sont aussi des moments drôles quand on les attend le moins. «Vous habitez à Morges, Madame?» «Comment? À la morgue?» Grand éclat de rire de chacune des protagonistes dans cette chambre. Voilà. L’alliance entre cette vieille femme et ma formatrice était faite. À travers l’humour.

Car le défi est grand: entrer dans une chambre pour établir un premier contact, et plus si entente, sans connaître les personnes que l’on rencontrera, et essayer de ne pas passer à côté de ce moment.

Temps de partage

L’écoute est un des principaux aspects des accompagnantes et accompagnants spirituels, dans un hôpital qui est le reflet de la diversité de notre société: personnes âgées, d’origines étrangères, intellectuelles ou non, croyantes ou non, plus ou moins atteintes dans leur santé. Je ne sais pas (encore) s’il y a un but précis, objectif et unique dans ces rencontres. Il faut observer si la personne alitée est en détresse par rapport au sens, à sa transcendance, à son identité, à ses valeurs. Mais comme aime à le dire ma formatrice, l’accompagnant spirituel a du temps. Pour discuter, partager un moment. Et c’est cela qui est disruptif dans notre monde frénétique. Prendre le temps. Se mettre au rythme du malade.

Car le séjour à l’hôpital est, d’une part, un temps qui n’est pas choisi, mais également une cassure du rythme du quotidien de la personne. Une halte obligatoire. C’est également un temps qui ne leur appartient plus vraiment. C’est celui du personnel soignant et des traitements. Pour certains, c’est le temps qui mènera à la fin mais, dans la grande majorité des cas, c’est celui qu’il faut prendre pour aller mieux. Il me semble que ce temps de partage proposé peut être un moyen de se réapproprier une maîtrise, un sens à ce temps obligé de patience. Comme une reprise de sa propre volonté et de ce qui se passe en chacun de nous dans ces moments qui peuvent être angoissants. Comme un support pour se reconnecter à ce qu’il y a de plus profond en nous-mêmes.

Embellir ces murs

Mais l’hôpital, c’est aussi son personnel soignant. Celui que chacun d’entre nous a applaudi depuis nos appartements lors de la pandémie de Covid. C’est celui qui, en ces jours de décembre, décore les couloirs de l’hôpital pour marquer la période des Fêtes qui approche.

Il faut oser, n’est-ce pas? Dire dans un lieu qui peut être de souffrance, «regardez, il y a de la joie!»

Il faut les voir, ces membres du personnel soignant surchargé de travail, trouvant l’énergie entre un soin et un autre, un stress et un autre, d'essayer d’embellir de tout leur cœur leur service. Et le résultat est spectaculaire. Bon. Il y avait un concours cette année pour déterminer la meilleure déco, avec un prix à la clé. Peut-être que finalement, et à mon grand désarroi, la concurrence a vraiment du bon? La vérité, c’est que le personnel soignant tient à ce que celles et ceux qui doivent passer Noël à l’hôpital trouvent un peu de réconfort, de consolation et pourquoi pas un peu d’émerveillement par ces décorations. Une infirmière m’a dit: il faut faire entrer la vie du dehors en ce jour particulier qui peut accentuer le sentiment de solitude. Le personnel soignant confronté au quotidien à la maladie et tous ses enjeux. Mais qui est là. Avec sa force, ses doutes, ses sourires, ses histoires. Que je me réjouis d’écouter à la cantine.

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