Société
Fin de vie: parler de la mort et l'accompagner
Réunir durant quatre jours public et spécialistes pour parler de la mort, de ses rituels, des soins palliatifs ou des doulas de fin de vie, entre autres joyeusetés. Le pari des «Couleurs de la mort», rendez-vous organisé début octobre 2022 à Lausanne, n’était pas gagné d’avance vu les thèmes abordés. Pourtant, l’événement a été un succès et le public au rendez-vous, avec une intensité toute particulière, comme le souligne Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois, coorganisateur des quatre jours:
Il y avait une belle dynamique d’intensité et de réflexion dans les échanges entre le public et les professionnels. Beaucoup d’étonnement aussi de découvrir de nouveaux métiers, de nouveaux rituels, des valeurs qui évoluent avec le temps. L’objectif est largement atteint.» Une réussite qui témoigne de l’intérêt grandissant pour la mort et ce qui l’entoure.
Car aujourd’hui, on veut en parler, on veut partager, on veut se préparer et accompagner. Une volonté de réhabilitation d’habitudes perdues face à la mort, mise à distance durant des décennies. «La mort devrait à nouveau rentrer dans nos habitudes, comme elle l’était du temps de nos grands-parents, j’en suis convaincu, continue le médecin cantonal. Il faut en parler, qu’on revienne à une certaine normalité d’accompagnement avec humanisme, que nos enfants soient confrontés à ça. La famille a un rôle essentiel, la communauté aussi.» Et les choses bougent, effectivement. Rosette Poletti, docteur en sciences de l’éducation et spécialiste du deuil depuis quarante ans, confirme: «Les gens veulent apprendre et ils ont besoin de parler de la mort pour vivre. C’est un sujet qui attire toujours plus de monde que les autres lors de conférences.»
Un engouement que constate également Alix Noble Burnand, thanatologue et coorganisatrice du Festival Toussaint’S (lire plus bas) qui aura lieu à Lausanne début novembre 2022: «Avec l’association Deuil’s, nous venons de lancer notre formation, La Mort – de la préparation à la réparation – qui se déroule en quatre modules, et il y avait une centaine de personnes présentes. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a de plus en plus d’intérêt de la part des jeunes. Ils sont passionnés par ça, que ce soit dans leurs travaux au gymnase ou parmi les éducateurs qui se renseignent sur la mort et l’enfant. Ça devient un sujet intéressant, et on sort du tabou pour la génération de nos enfants.»
Mourir chez soi
De fait, selon la dernière recherche Mourir en Suisse du Fonds national, 75% des personnes de 60 ans et moins voudraient mourir chez elles. «Pour le moment, seuls 25% peuvent le faire étant donné les circonstances», nuance Rosette Poletti. Faute de moyens, de place, et d’accompagnement adapté. «Lorsque mes grands-parents sont morts, leur ferme était si grande qu’on pouvait garder leurs cercueils facilement. Si on a un deux-pièces, c’est plus compliqué, continue-t-elle. Aujourd’hui, les nouvelles générations demandent beaucoup plus de participer aux décisions qui les concernent et se demandent pourquoi elles devraient rester à l’hôpital au lieu de chez elles si elles n’en ont pas besoin lorsqu’elles seront en fin de vie.
Sauf que le problème, c’est qu’un assez grand nombre de gens n’ont plus le soutien de proches, ou alors ceux-ci habitent trop loin.» Une absence du clan ou un désarroi trop grand face à la situation d’un proche qui encourage parfois les familles à faire appel à des Doulas de fin de vie (lire plus bas). Elles sont toujours plus à suivre la formation proposée par l’association Doulas Fin de Vie Suisse. «Ce ne sont pas des professionnelles de la santé, mais elles peuvent faire ce que les enfants auraient fait. Elles agissent à trois moments: lors de l’annonce d’une maladie difficile à guérir, dans la fin de vie, la mort, la veillée et pour accompagner le deuil», précise Rosette Poletti.
Chez les jeunes, notamment. Camille, 24 ans, a entrepris les démarches: «C’est une réflexion personnelle que j’ai entamée pendant le Covid. Je suis en train de chercher une institution où pouvoir apporter mon écoute, mon temps et ma présence à une personne qui en a besoin et ses proches. Ensuite, je vais m’inscrire pour suivre la formation proposée et acquérir les outils nécessaires pour accompagner au mieux.» Chargée de missions chez Palliative Vaud, Béatrice Dolder se réjouit de cet engouement et souligne l’importance de ce bénévolat «qui est pour les professionnels comme la cerise sur le gâteau dans l’accompagnement des personnes malades et des proches. Ces personnes offrent leur temps et leur présence, ce qui représente un soutien précieux.»
Yvonne Prélaz, 68 ans, accompagnatrice en psychiatrie qui a créé mamypapysitting.ch, un site qui propose des heures d’accompagnement pour personnes âgées, et titulaire d’un diplôme européen du deuil, se souvient de son premier accompagnement: «C’était un deuil mal vécu par une dame d’un âge avancé. Elle était couchée dans son lit, dans tous ses états car le jour de ma visite, cela faisait quarante ans que son papa était mort. Sur la pendule, les aiguilles indiquaient encore l’heure de son décès. Il y avait beaucoup d’angoisses. Je l’ai écoutée avec empathie et bienveillance, tout en respectant mes limites. La première chose pour accompagner, c’est apprendre à se taire et à être disponible dans sa tête.
Accompagner les autres, même avec ses propres limites, c’est forcément questionner son propre rapport à la mort. Et l’anticiper par contagion? «Non, répond Camille. Même si je sais exactement ce que je veux pour moi. J’ai rempli mes directives anticipées, j’ai choisi une playlist pour mon enterrement, et surtout, je souhaite mourir chez moi, entourée si possible. Pas parce que j’ai peur de mourir seule, mais parce que je pense que cela sera plus facile pour mes proches s’ils sont accompagnés.»
Le retour de la veillée
Céline, cinquantenaire genevoise, se souvient de sa réaction le jour où sa maman d’origine fribourgeoise lui a dit qu’elle souhaitait qu’on organise une veillée dans son appartement à sa mort. «Pour moi, c’était un tabou ultime et je ne me voyais pas organiser une veillée dans son trois-pièces au quatrième étage d’un immeuble locatif. Et puis je me suis renseignée, et il s’avère que c’est possible.»
De fait, la veillée reste un tabou, en zone urbaine en tous les cas, mais la pratique revient en grâce. «On a le droit de le faire, sauf lors de certaines épidémies ou pandémies. En été, on peut par exemple demander des plaques réfrigérantes à mettre sous le cercueil pour que la personne puisse rester à domicile, précise Rosette Poletti. On croit à tort qu’on doit immédiatement donner les défunts aux pompes funèbres, or en Suisse, la seule chose qu’on n’a pas le droit de faire, c’est de transporter un corps au cimetière ou au funérarium. On peut faire la toilette mortuaire, préparer le défunt. Disperser ses cendres à peu près où on veut. On a beaucoup de libertés en Suisse.» Mais quelques manques, aussi. Pour permettre aux 75% des personnes qui souhaitent mourir chez elles de pouvoir le faire, notamment.
Et en matière de soins palliatifs également, puisque selon un dernier sondage réalisé en 2018 par l’OFSP sur le traitement et la prise en charge dont les personnes aimeraient bénéficier en fin de vie, quatre Suisses sur cinq estiment que ces soins devraient être proposés à toutes les personnes gravement malades et mourantes en Suisse pour soulager les souffrances. «Il y a effectivement des choses à faire, car en Suisse il y a un manque de financement. Mais pouvoir en parler, c’est positif et nécessaire», se réjouit Rosette Poletti.
«J’accompagne les familles avant, pendant et après», Myriam Moltrasio, 49 ans, doula de fin de vie
«Dans notre société, on a besoin de revenir à des choses qui sont essentielles. La mort fait partie d’un passage et les gens s’y intéressent de plus en plus, plus particulièrement quand ils sont touchés personnellement. Je l’ai été relativement vite, puisque mon papa est décédé en 2004, et qu’en même temps j’ai eu un accouchement difficile. J’ai vécu ces deux passages comme des formes de délivrance et c’est à ce moment-là que je me suis intéressée au phénomène de l’accompagnement. Mais comme j’étais en plein dans ma nouvelle maternité, je me suis dit que j’allais m’y consacrer plus tard.
Entre-temps, le père de mes enfants et mon beau-frère sont décédés, et j’ai entouré mes enfants dans ces deuils. Quand j’ai entamé en 2015 la formation d’accompagnement de personnes en fin de vie et des endeuillés, donnée par Rosette Poletti, je me sentais prête. Depuis un an et demi, je fais également partie de l’association Doulas de fin de vie.
Certaines doulas se sentent plus à l’aise avec l’accompagnement de la personne mourante, et une doula peut être appelée dans différents processus dès l’annonce d’une maladie. Pour ma part, j’accompagne plus les familles, avant, pendant et après. J’ai mon propre cabinet en soins holistiques à Neuchâtel, et je suis le plus souvent sollicitée par des membres de la famille, particulièrement des adolescents ou des enfants qui vont perdre un de leur parent, un frère ou une sœur, qui ont besoin de créer un rituel pour bien vivre ce passage.
Lors de mes voyages, j’ai été interpellée par les différentes approches de la mort dans d’autres cultures, et j’utilise beaucoup les rituels. Je viens d’ailleurs de trouver un jeu de cartes sur comment préparer sa mort en pensant aux dernières volontés, à ce qu’on aurait envie comme musique. Ce genre de support permet d’entamer une discussion, de jouer à deux, d’en parler. En tant que doula, l’écoute est importante, mais ce qui rassure, c’est le partage. De pouvoir dire: je suis passée par là, mes enfants aussi, et nous avons fait tel ou tel rituel. Les personnes se les réapproprient parfois, et c’est libérateur. Ce ne sont pas des choses qu’on trouve dans les livres, mais du concret. J’ai envie de mettre en place des séances d’information pour en parler sans que ça soit dramatique et de transmettre des outils pour que ça apaise.»
doulasfindevie.ch et archanciel.com
Un festival entre rire et larmes
«Marre de la mort? En 2022, on s’marre!» C’est l’invitation lancée cette année par l’équipe du Toussaint’S Festival qui se déroule du 3 au 6 novembre 2022 à l’Espace culturel des Terreaux, à Lausanne. Pour cette sixième édition, après avoir traité du deuil, de l’enterrement ou des dernières volontés, le thème est plus badin mais néanmoins concernant.
Et pas question de se moquer de la mort en riant d’elle, mais plutôt de l’inviter à faire partie de la vie avec un programme qui fera la part belle aux contes, aux spectacles, à un karaoké mortel, aux installations vidéo ou photographique, avec Play Dead qui propose de se faire photographier dans un cercueil puis debout à côté pour l’observer. Une pratique qui peut faire frémir ou sourire, mais qui avait cours autrefois puisqu’on faisait fabriquer son cercueil de son vivant et qu’on l’utilisait comme lit quand il en manquait.
«Si je m’appuie sur les danses macabres, les représentations des masques mortuaires ou même Halloween, l’idée est la réunion des morts et des vivants qui traditionnellement mangeaient ensemble. Le rire est certes une façon de se défendre, mais passer du rire aux larmes et vice versa est une vraie souplesse émotionnelle», continue la thanatologue. Des rendez-vous destinés aux petits comme aux grands et une bonne occasion de se familiariser avec la mort sans trop dramatiser.