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Annabelle Hirsch raconte une histoire des femmes en 100 objets

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D’une statuette antique au téléphone portable en passant par le bidet ou le bikini, la journaliste Annabelle Hirsch raconte dans son essai une histoire des femmes en 100 objets.

© PHILIPPE QUAISSE-LES ARENES

Artistique, littéraire, technique, ménager, très intime, utile ou purement décoratif, un objet raconte toujours des histoires. Celles de l’époque où il a été conçu, celles des personnes qui l’ont créé, l’ont regardé ou s’en sont servi. Bien plus parlant qu’on pourrait le penser, riche de sens et porteur d’enjeux de pouvoir, d’émancipation ou de sexualité, il témoigne d’une société, des rapports de domination. Ou d’une (r)évolution libératrice, antidiscriminatoire et égalitaire, aussi, parfois.

Comme le montre la journaliste franco-­allemande Annabelle Hirsch, qui analyse la condition féminine par le prisme de l’objet dans un passionnant essai, 100 objets racontent une histoire des femmes (Éd. Les Arènes), n’importe quel bidule peut en effet attester autant de la soumission que des luttes, des défaites ou des victoires des femmes au cours des siècles. Décryptage en compagnie de l’autrice…

FEMINA D’où vous est venue l’idée de «100 objets racontent une histoire des femmes»?
Annabelle Hirsch Comme journaliste, j’écris beaucoup sur les femmes et je m’intéresse forcément à notre histoire. Or, si je connais bien les XIXe et XXe siècles, je me suis rendue compte que je savais peu de choses sur ce précédait et il me paraissait important de m’y plonger. L’idée de le faire en passant par des objets m’est apparue entre autres pendant que je visitais la maison-musée de Karen Blixen, au Danemark. En regardant le nombre exorbitant de casseroles qu’elle possédait, je me suis notamment demandé ce que ces ustensiles disaient d’elle, de son statut de femme et d'écrivaine et de la société dans laquelle elle évoluait. Et j’ai réalisé que les objets sont une très bonne porte d’entrée parce qu’à travers eux, on peut jongler entre l’intime et le collectif, le particulier et le plus global, parler d’un détail qui en dit long sur l’ensemble…

Vous écrivez que vous auriez pu choisir «deux cents, trois cents, mille objets»…
C’est vrai…

Mon idée était de faire une espèce de promenade à travers le temps, de montrer que l’histoire des femmes n’est pas linéaire, qu’on n’est pas parties de la soumission totale à l’émancipation complète, mais qu’il y a toujours eu des vagues entre moments où la position des femmes s’améliorait et backlashes – et ce dans tous les domaines: sexualité, espace public, mobilité, maternité, rapport au pouvoir et aux arts…

J’ai donc recherché des objets significatifs de ce que vivaient les femmes pour chaque époque et en ai trouvé énormément. Mais pour obtenir une espèce d’équilibre, il m’a fallu laisser de côté beaucoup d’objets pourtant passionnants!

Votre essai commence par un fémur cassé et guéri...
Cet «objet», qui est peut-être un peu inattendu, me ramène à une conférence que la fameuse anthropologue américaine Margaret Mead a donnée dans les années 60. Alors qu’on lui demandait quel était l’objet qui, selon elle, représentait le début de notre civilisation, elle avait répondu qu’il s’agissait d’un fémur guéri parce que le fait qu’un être humain ait pu survivre à une fracture laissait penser que quelqu’un s’était occupé de lui. Elle en déduisait que ce qui nous fait et fait notre civilisation et notre force est peut être moins notre envie et notre capacité de conquérir des nouveaux territoires, de nous battre ou même d’inventer mais aussi, et peut être d’abord, le fait qu’on s’occupe et prenne soin les uns des autres.

J’ai voulu commencer par cette idée du care pour essayer de montrer que toute notre interprétation de ce qui est important et de ce qui l’est moins est peut-être un petit peu biaisée: notre force n’est pas uniquement dans la violence et les guerres mais également dans la douceur, l’écoute et la présence aux autres, dans ce qui est discret et souvent mis de côté comme banal et inintéressant. Comme les objets, finalement!

Vous parlez aussi des empreintes de mains qu’on peut voir dans des grottes préhistoriques…
La préhistoire est très intéressante – et beaucoup de recherches menées notamment par des femmes sont en train d’en livrer une espèce de relecture et de montrer que la vie ne se passait peut-être pas comme on l’a supposé pendant des siècles. Dans le rapport à l’art, par exemple, on a toujours pensé que les premiers artistes étaient des hommes, que le génie artistique était forcément masculin (!).

Or, d’après le chercheur américain Dean Snow, 75% de ces empreintes de mains seraient celles de femmes. Ce n’est pas anodin puisque cela pourrait un peu remettre en place notre idée que tout le beau qui a été créé l’a été par des hommes!

Le corset en métal du XVIIe

© LES ARENES

Le corset, développé dès le milieu du XVIe siècle, n’était au départ pas conçu pour soumettre mais pour souligner le pouvoir de certaines femmes en leur donnant un port particulier. Bien que les dangers de ce véritable outil de torture furent longtemps dénoncés, le rapport que les «corsetées» entretenaient avec cette pièce fut plus complexe qu’on ne l’imagine: quand certaines commencèrent à «revendiquer une tenue plus pratique pour la vie active» au milieu du XIXe, d’autres y tenaient mordicus, arguant que cet accessoire «leur donnait le sentiment d’être plus belles et plus fortes».

Le téléphone portable

© LES ARENES

Outre le fait qu’il permet de travailler, le portable «constitue aussi comme une porte vers l’extérieur et offre une forme d’indépendance – et c’est important dans les régions où des femmes sont moins libres, relève Annabelle Hirsh. Et puis j’aime savoir que, si on se sent en danger, on peut appeler des numéros spéciaux. Il est donc intéressant dans ses enjeux d’ouverture et de protection parce que ce qui rend les femmes si vulnérables à toute forme de violence ou de soumission, c’est souvent l’isolement.»

Le bikini

© LES ARENES

Inventé par Louis Réard et présenté comme «un symbole de modernité et de libération de la femme» en juillet 1946 à la piscine Molitor, à Paris, le deux-pièces commença (évidemment!) par provoquer l’indignation, relève Annabelle Hirsch. Il n’en devint pas moins un incontournable de l’été. Et l’objet de grosses colères féministes. Car si, à ses débuts, le «itsy bitsy teenie weenie bikini» pouvait être pris comme un signe d’émancipation, il fut rapidement récupéré par des publicitaires et promoteurs de concours de beauté à des fins bien moins nobles – à savoir sexualiser et réifier le corps féminin. Mais attention, les protestations «ne visaient pas le maillot lui-même, mais ce qu’il faisait des femmes: du bétail que l’on jauge», précise l’autrice. Qui note que si, autrefois, on s’échauffait à propos du minimalisme du bikini, c’est aujourd’hui le maximalisme du burkini qui pose un problème. Et si, conclut-elle, on faisait preuve de bon sens en laissant chaque femme choisir «autant ou aussi peu de tissu qu’il lui plaît» pour aller à la plage?

Les gants de Catherine de Médicis

© LES ARENES

Quand elle arrive en France pour s’y marier vers 1530, Catherine de Médicis a dans ses bagages un accessoire inconnu ailleurs qu’en Italie: des gants parfumés. Ceux-ci emballent la Cour et, bientôt, les commandes affluent à Grasse, alors «pays du cuir». Pour répondre à la demande, les artisans grassois sont mis au défi. Réalisant soudain la richesse de leur environnement olfactif – lavande, roses, mimosa, etc. –, ils se recyclent. Et c’est ainsi que l’art de la parfumerie supplante celui du cuir: «Je force un peu le trait mais c’est tout de même par Catherine de Médicis que Grasse est devenue une ville de parfums. Avec cette histoire de transfert culturel, j’ai essayé de montrer l’énorme impact que peuvent avoir les femmes!» note Annabelle Hirsch.

Le bidet

© LES ARENES

Inventé à l’époque de Louis XIV, le bidet raconte une histoire sulfureuse. Car s’il est associé à l’hygiène, il l’est encore plus à la sexualité. Le rapport entre cette bassine et les plaisirs de la chair? La possibilité d’une toilette intime – ces ablutions permettant aux libertines si ce n’est d’empêcher, du moins de limiter des grossesses non désirées. Las, dès le XIXe siècle, c’en fut fini de la légèreté et le plaisir féminin fut à nouveau «considéré avec crainte et suspicion». Si bien que la petite cuvette se retrouva si liée à la prostitution ou aux mœurs libres qu’aux États-Unis, elle fut bannie et retirée des salles de bains.

La statuette d’Hatchepsout

© LES ARENES

Comme le rappelle Annabelle Hirsch, Hatchepsout est aujourd’hui considérée comme l’un des principaux pharaons de l’histoire. Mais elle a longtemps suscité de la défiance. En cause: elle aurait été «sans scrupule, avide de pouvoir et, bien sûr, sexuellement dépravée». Il a fallu des égyptologues femmes pour corriger cette thèse. «Elle est intéressante non seulement parce qu’elle a été extrêmement puissante et que son règne fut positif mais aussi dans son rapport à la féminité», note l’autrice. De fait, elle se faisait volontiers représenter mi-homme mi-femme (comme sur cette statuette) et les documents officiels parlaient d’elle en conjuguant le masculin et le féminin. Au fond, elle mélangeait allègrement les attributs: il, elle, peu importe… «La façon qu’avait cette pharaonne de se faire représenter va plutôt dans le sens d’une forme queer de l’image de soi et du pouvoir.» Une première…

La machine analytique d’Ada Lovelace

© LES ARENES

On a tendance à l’oublier, mais c’est Ada Lovelace qui, au XIXe siècle, a jeté les bases de l’informatique. Fille du poète Byron, née en 1815 et morte à Londres en 1852, elle se passionne pour les mathématiques dès sa plus tendre enfance. Et c’est donc en toute logique que, jeune adulte, elle s’intéresse au travail de Charles Babbage et à sa «machine analytique». Or, elle en comprend mieux que lui les possibilités et, de là, pose les fondements de la programmation! Annabelle Hirsch ajoute: «À ses débuts, l’informatique était un terrain presque exclusivement féminin. Mais comme toujours, dès que l’on s’est rendu compte que ce domaine pouvait devenir très lucratif et constituait un moyen de pouvoir, les femmes en ont été évincées, les hommes se sont emparés des leviers de commande. Aujourd’hui encore, il faut pousser les jeunes filles dans ce genre de métier alors que si elles étaient nées il y a cent ans, ça aurait été très naturel pour elles!»

Le jeu «Le tour du monde en 72 jours de Nellie Bly»

© LES ARENES

Autre objet amusant et totalement inconnu, le jeu «Le tour du monde de Nellie Bly», sorti à la fin du XIXe siècle. Inspiré du périple de la journaliste américaine, qui se mit au défi de faire le tour du monde en 80 jours après avoir lu le roman de Jules Verne et le réalisa… en 72 jours, «ce plateau est peut-être le meilleur témoignage de l’engouement populaire que suscita l’aventure de la reporter», note Annabelle Hirsch. Devenue un modèle, elle a permis à nombre de femmes de changer leur vision des choses et, en prouvant que «cela était possible», leur a ouvert de nouveaux horizons.

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