Sexualité positive
Comment mieux intégrer le consentement à sa sexualité
Ce mot est sur toutes les lèvres depuis le renouvellement des mouvements féministes et des prises de conscience à propos des violences sexuelles. Une notion d’accord entre personnes, pourtant si élémentaire, imputable à tant de domaines de la vie, mais qui n’est pas encore ancrée dans notre société quand on parle d’intimité, comme le montrent les statistiques à propos du harcèlement, des agressions sexuelles et des viols.
Sans consentement, pas de sexualité. «C’est un prérequis, insiste Romaine Kohler, sexologue à Fribourg. En l’absence de consentement, de permission, un acte intime se mue en abus.» Le consentement peut prendre plusieurs formes, mais il impose un moment de communication entre les partenaires. Notion basique, donc, mais finalement pas si simple à mettre en pratique. «Nous manquons de mots pour parler de nos émotions, explique Zoé Blanc-Scuderi, sexologue à Lausanne et directrice du centre SexopraxiS. Et comme c’est quelque chose qu’on n’apprend pas, à laquelle on n’est pas entraîné-e, et dont on manque de représentation, difficile de se sentir à l’aise en parlant de sexe.»
Selon Romaine Kohler, le dénominateur commun aux obstacles à aborder la question du consentement est la peur. «On craint de faire faux, de ne pas savoir, du rejet, d’être moqué-e. Les discussions autour de cette notion peuvent être vues comme compliquées ou ne pas être prises au sérieux.» Pour la spécialiste, on manque d’outils concrets afin d’aborder le sujet. «Cela peut s’expliquer par un focus sur l’aspect cognitif – très important – mais qui a pu faire passer le corps, moins valorisé, au second plan.»
Concrètement, comment inclure le consentement dans notre sexualité afin de vivre des relations et des échanges plus sains? Voici quelques pistes.
Banaliser et élargir la discussion
À partir de quand devrait-on être sensibilisé-e à la notion du consentement? «Depuis tout-e petit-e», répondent sans hésiter les sexologues.
«Ne pas outrepasser le consentement des jeunes enfants en les forçant à embrasser ou câliner un parent ou n’importe qui d’autre, leur apprendre à demander à leurs camarades un accord pour un contact physique – comme toucher les cheveux –, à respecter un refus et à accepter la frustration donnera aux petit-e-s des outils pour mieux appréhender le consentement dans leur sexualité plus tard. C’est bien plus compliqué une fois devenu-e ado puis adulte si l’on n’a jamais été entraîné-e à dire non ou à demander.» Il n’est pas toujours possible d’aller dans le sens de l’enfant, cependant «on peut reconnaître et valoriser son besoin», complète Romaine Kohler.
En couple ou entre partenaires régulier-ère-s, doit-on nécessairement parler de consentement? «Si les personnes se sentent en accord, la notion est probablement déjà présente, même si le terme exact n’est pas utilisé», intervient la thérapeute fribourgeoise. Elle préconise toutefois une communication ouverte et une curiosité des désirs de l’autre. «Parce qu’on change! Et qu’il est possible qu’un-e partenaire pense que tout va bien alors que ce n’est pas le cas chez l’autre.» En couple, bien souvent, on adopte une routine. «Avec l’installation d’une routine en sexualité, le danger de ne plus se demander si celle-ci fait sens peut survenir, admet Romaine Kohler. S’écoute-t-on encore soi-même et l’autre? Il faut commencer par ces questionnements, car on pourrait glisser vers quelque chose dont on n’a plus envie sans s’en rendre compte.»
Zoé Blanc-Scuderi recommande d’aborder le sujet même quand on ne se sent pas concerné.
«L’agression crée une insécurité, explique la sexologue, et même chez celles qui n’en ont pas vécu, la menace de l’agression et la peur du viol pèsent constamment. Parler du consentement est primordial pour créer un environnement sécurisé au sein d’une relation.»
La thérapeute lausannoise porte plus loin son analyse: «Ne pas souhaiter parler de consentement avec une femme signifie maintenir celle-ci dans la non-sexualité pour conserver sa valeur. Parce qu’il subsiste le stigmate de la salope qui manifeste son envie de sexualité ou entreprend des démarches pour en avoir. Les luttes féministes montrent aux femmes qu’on peut garder sa valeur tout en ayant une sexualité.»
Dépasser la gêne de parler de sexe
Même si le sexe se trouve affiché partout dans notre culture, il reste parfois compliqué d’aborder le sujet avec un-e partenaire. «Il faut oser, dit simplement Romaine Kohler. Mettre le consentement en pratique, c’est créer un accord avec l’autre, oser dire ce qu’on aime et demander ce que l’autre souhaite. Oser être vulnérable, prendre le risque d’une maladresse.» Pour dépasser la gêne, la thérapeute conseille de penser à notre objectif, de réfléchir au préalable à ce qu’on veut communiquer à l’autre et d’éventuellement trouver des outils pour réguler son système nerveux. «Se sentir mal à l’aise parfois est humain, et partir du principe qu’on doit être parfait-e met en échec», souligne-t-elle.
Quand la gêne est dépassée, il faut s’accorder avec le ou la partenaire avant la première relation sexuelle sur les règles du jeu. «On peut tout cartographier en amont, décider de demander la permission à chaque fois ou alors prendre la responsabilité du refus», liste Zoé Blanc-Scuderi.
S’exercer à dire et entendre le non
Par quoi lancer une discussion autour du consentement? Rien de mieux que ces quelques exercices que nous apprend la directrice de SexopraxiS. «On se met face à face. Une personne va demander à l’autre si elle peut toucher une partie de son corps. L’autre répond non et son ou sa partenaire va dire merci.» La sexologue explique:
On est tellement habitué-e à faire plaisir que refuser est difficile. Il faut apprendre à recevoir le non de manière positive, car ça ne signifie pas le rejet. Refuser une caresse ou du sexe ne veut pas dire «"Je ne t’aime pas".»
La Roue du consentement, imaginée par Betty Martin, est un outil aidant à approfondir une discussion. Ses quadrants «Servir», «Accepter», «Prendre» et «Permettre» indiquent différentes postures, actives ou passives. «On peut s’exercer à se placer dans ces postures et à échanger les rôles», explique Zoé Blanc-Scuderi.
Érotiser le consentement
Lors des débats à propos de la nouvelle définition du viol dans la loi suisse, opposant les concepts du consentement explicite («Seul un oui est un oui») et celui du refus («Non, c’est non») – cette dernière étant la solution choisie qui entrera en vigueur le 1er juillet 2024 –, certain-e-s ont comparé le consentement à un contrat tue-l’amour. Demander la permission de toucher quelqu’un ne serait pas excitant, ce que renient nos deux expertes.
«La société patriarcale et la culture du viol ont voulu montrer que le non-consentement est sexy, par exemple dans le cinéma», explique Zoé Blanc-Scuderi. «Il circule l’idée que le sexe est quelque chose de spontané, mais c’est une complète illusion, ajoute Romaine Kohler. Comment savoir ce que l’autre aime sans échanger? Cette image véhiculée notamment par la culture cinématographique ne reflète pas la réalité. Le cinéma est un divertissement, une mise en scène.»
Renversant la situation, Zoé Blanc-Scuderi explique que le tue-l’amour peut tout aussi bien se situer dans l’insécurité du non-consentement. La sexologue poursuit: «Les mots du consentement peuvent être excitants: demander à être embrassé-e, touché-e d’une certaine manière, décrire les caresses qu’on a envie de prodiguer à l’autre, tout ça a une charge érotique. Si l’on préfère ne pas parler, on peut diriger les caresses de l’autre pour lui montrer ce qui nous plaît.»
Réfléchir à ses envies, ses désirs et ses limites
Afin de lancer une discussion sur le consentement, la directrice de SexopraxiS conseille de se demander: «Comment savez-vous quand vous allez faire l’amour? Généralement on sait, même si l’on ne se pose pas la question. Il s’agit de mots détournés, d’une façon de toucher. Or s’accorder sur la façon de se dire qu’on veut avoir du sexe permet de se dire aussi quand on n’en veut pas.»
La sexologue souligne en outre l’importance de spécifier ce dont on a envie. «De quoi est constitué un rapport sexuel? Au sein des couples hétéros, on nous apprend qu’il y a une phase de préliminaires – un terme à bannir du vocabulaire, car il suppose que seule la pénétration compte –, de pénétration et d’orgasme. Voilà le menu stéréotypique. Or on n’est pas obligé de consommer à chaque fois l’entrée-plat-dessert dans cet ordre», estime Zoé Blanc-Scuderi.
«L’important est de créer un climat sécurisé dans lequel les partenaires peuvent dire non. Généralement, les non surviennent quand on n’a pas envie de tout le menu.»
Il arrive aussi que le désir ne soit pas aligné entre les partenaires. Cela peut conduire à des situations où l’un se force pour faire plaisir à l’autre. Changer cette dynamique demande des efforts. «Dans une telle situation, il s’agit de réapprivoiser le non dans le couple», souligne Romaine Kohler. «En fait, le consentement vient avant le désir, insiste de son côté Zoé Blanc-Scuderi. De nombreuses personnes consultent pour des absences de désir, mais avant ça il faudrait se demander: souhaite-t-on avoir des relations sexuelles?»
D’après la thérapeute lausannoise, c’est à la personne qui a le plus de désir d’apprendre à s’autonomiser. Elle peut aussi se placer dans la situation de celle qui va plus offrir sans demander en retour. «En face, il est plus facile de recevoir des caresses ou des baisers si l’on n’a pas de désir spontané que du sexe pénétratif, par exemple, explique Zoé Blanc-Scuderi. Mais je conseille un accompagnement professionnel sur la question complexe du désir.» Le centre SexopraxiS propose par exemple des ateliers spécifiques: «Connaître et affirmer ses limites», le 4 mai 2024, et «Explorer ses désirs», le 5 octobre 2024.
Enfin, si le consentement est outrepassé, si une demande de discussion n’est pas entendue ou prise au sérieux, les spécialistes suggèrent une réflexion de fond à propos de la relation.