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Relations

Déconstruire le couple pour bâtir un amour plus égalitaire

Déconstruire le couple pour bâtir un amour plus égalitaire

Aline Laurent-Mayard questionne l'omniprésence du sentiment amoureux, la place du couple et propose des alternatives.

© VINCENT FERRANE

Parler d'amour à l'approche de la Saint-Valentin? Sans doute un brin cliché, mais une bonne occasion d'aborder la question par le prisme des luttes féministes et des mouvements LGBTIQ+. C'est d'ailleurs la voie qu'a choisie la journaliste indépendante Aline Laurent-Mayard, autrice des livres Libérés de la masculinité (Éd. JC Lattès, 2022), Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es (Éd. Buchet-Chastel, 2021) et des podcasts Free from desire et Bienvenu·e Bébé (Paradiso Media).

Son nouvel essai intitulé Post-romantique, comment moins de romance pourrait sauver l'amour (et la société), paru aux éditions JC Lattès le 10 janvier 2024, analyse le mythe de l'amour romantique et les nombreuses injonctions qui gravitent autour de cette notion. Injonctions qui participent à dévaloriser les autres formes d'amour, comme l'amitié, et les personnes qui ne vivent pas selon les principes patriarcaux du couple. Un ouvrage fouillé et truffé d'anecdotes personnelles, de ceux qui font remettre sa vie en question, mais aussi touchant par son universalité (on vous promet qu'il nous a tiré quelques larmes) et radical dans ses propositions pour réinventer la place de la romance dans notre société.

FEMINA Pourquoi avoir écrit ce livre?
Aline Laurent-Mayard Premièrement, je voulais comprendre pourquoi j'ai mis autant de temps à réaliser que je suis aromantique et asexuelle. C'est-à-dire que le crush, le sentiment amoureux et le désir sexuel ne font pas partie de mon vocabulaire émotionnel. Après des décennies à essayer de tomber amoureuse, à tenter d'atteindre cette soi-disant source de bonheur ultime, comme nous l'apprend la société, j'ai finalement trouvé le bonheur ailleurs et je voulais partager cette découverte. Ce livre vise à faciliter le travail aux personnes qui ne veulent pas jouer le jeu du couple, ou ne peuvent pas car elles sont discriminées sur ce marché ou n'ont pas les moyens d'être en couple.

Deuxièmement, comme toute féministe, je vois ce qui se passe dans les couples hétéros: les inégalités, les violences. Le couple peut être un environnement malsain pour les femmes, mais aussi pour les hommes puisqu'il est parfois question de «fin de liberté» dès qu'un homme est casé. La déconstruction que je propose est aussi pour eux.

Enfin, ma thèse est qu'il n'y a pas de choix sans option: on a besoin d'autres modèles pour que le couple soit choisi en toute liberté. On devrait pouvoir sortir facilement du couple, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.

Dans cet essai, je questionne l'omniprésence du sentiment amoureux, la place du couple et je propose des alternatives.

Quel est le problème avec l'amour romantique?
Notre société est obsédée par l'amour romantique qu'on conçoit ainsi: la monogamie, certaines étapes - mariage, enfants, maison - dans le bon ordre… On est plongé-e-s dedans dès la naissance, puisqu'à la crèche on invente des amoureuses aux petits garçons ou on loue les filles pour leur beauté qui plaira au sexe opposé. C'est aussi toutes les histoires de couples hétéros qu'on trouve dans les dessin animés et les livres. Le passage dans la vie adulte est marqué par le couple: c'est la preuve qu'on est attrayant-e, mature - et ça crée une pression incroyable! Les violences conjugales débutent d'ailleurs dès l'adolescence. On performe ce couple qu'on nous a appris à valoriser et c'est mauvais, car notre cerveau n'imagine pas d'autre option. Cela engendre évidemment des douleurs chez les personnes homosexuelles ou aromantiques.

Au-delà du manque d'option, le couple a tendance à isoler les partenaires du reste du monde. C'est que l'amoureux-se est l'âme sœur, la personne qui doit nous apporter le bonheur. Il ou elle doit endosser à la fois le rôle de partenaire de vie, financier-ère, sexuel-le, de meilleur-e ami-e. Tant de pression sur une seule personne fragilise le couple et mène forcément à des déceptions. Et quand le couple ne fonctionne plus, on se retrouve seul-e. Dans mon livre, je ne propose pas de remplacer le couple, mais bien de réinvestir d'autres types de relations en plus de celui-ci: l'amitié, la famille proche ou éloignée, la famille choisie. Et les parents le savent bien: l'amour est extensible, on peut vivre des amours différentes avec des gens différents.

Vous souhaiteriez d'ailleurs qu'on «amicalise l'amour». Que voulez-vous dire?
J'aime préciser l'«amour romantique», qui n'invisibilise pas les autres types d'amour.

En effet, pour moi il s'agit de s'inspirer de la façon dont on traite nos amitiés pour changer nos relations amoureuses: voir l'amour romantique comme un lien ouvert, une relation qui s'ajoute à d'autres, et qui fait grandir notre cercle social plutôt que de le restreindre.

Et chercher une relation d'égalité. Le couple romantique est construit sur un socle profondément inégalitaire, puisqu'il est basé sur le mariage de convenances. Sans compter le mouvement romantique, au sens artistique du terme, qui a créé un imaginaire ultrasexiste.

À cause de notre obsession pour le couple, le célibat est toujours mal perçu, surtout chez les femmes.
Les femmes célibataires ont toujours fait peur, car derrière, il y a cette idée qu'elles n'ont plus besoin d'hommes. Et plus de femme à disposition signifie plus d'enfant ou de ménagère. Il est intéressant de noter que le mythe du couple romantique s'est imposé pile au moment où les femmes ont commencé à être indépendantes, au XIXe siècle. La nécessité économique ne suffisait plus à justifier le mariage, on a donc misé sur la justification émotionnelle. Loin d'être un complot, l'idée s'est imposée sans qu'on se rende compte à travers l'art, la littérature, le cinéma. Aujourd'hui, même si les femmes sont indépendantes économiquement, il subsiste la peur des femmes célibataires, et donc des imaginaires à visée dégradante, comme l'image de la vieille fille avec ses chats. Le renforcement des mouvements féministes a également fait naître des backslashs qui démontent le célibat, par exemple l'invention de l'horloge biologique dans les années 80.

Étant aromantique, j'ai choisi d'être célibataire. J'ai vu aussi, dans mon cheminement pour avoir un enfant, que tout est fait pour les couples: les articles sur la parentalité, les formulaires administratifs, la façon dont les gens me parlent… Le patriarcat me dit que je suis en échec dans ma parentalité.

C'est que notre société entière est bâtie pour les couples.
Oui. L'immobilier, par exemple, est un fil rouge de mon livre. J'y décris mon projet de vivre avec ma sœur et mon enfant, mais malheureusement cela a été rendu impossible parce que l'offre immobilière n'est pas adaptée aux personnes qui ne forment pas des couples ou des familles nucléaires. Vivre seule est cher, les mères célibataires sont discriminées à salaire égal… Il faut des logements adaptés à toutes et tous: les colocataires, les familles, les personnes vivant en coparentalité choisie, les communautés souhaitant vivre dans des habitats partagés.

J'ai peu d'espoir que cela change, cependant une bonne partie dépend de la volonté des gouvernements, qui offrent des avantages et des «réductions» aux couples mariés, comme l'impôt sur le revenu ou l'héritage en France.

Ce sont les autorités publiques qui peuvent changer la façon dont on a organisé la société.

Comment les mouvements LGBTIQ+ ont permis de libérer en partie les injonctions à être en couple?
Les personnes LGBTIQ+ font partie de celles que l'on a exclues du couple romantique. Elles ont donc été obligées de repenser ce modèle, par exemple en offrant à l'amitié une place très importante dans leur vie, mais aussi en inventant d'autres manières de faire couple, comme les trouples, les couples ouverts. Depuis que ces mouvements sont plus visibles, ils peuvent servir d'inspiration pour d'autres dans l'organisation de leur vie.

Après la génération Bridget Jones, il y a eu la génération Sex Education, et plus récemment Barbie, le film de Greta Gerwig, dont le discours féministe aurait inspiré des jeunes femmes à mettre fin à leur couple inégalitaire. La «génération Barbie» représenterait-elle la révolution post-romantique?
En fait, je ne crois pas à cette idée de génération. Le dernier état des lieux du sexisme en France montre bien que les idées sexistes perdurent, même chez les moins de 35 ans (ndlr: 37% considèrent que le féminisme menace la place et le rôle des hommes, un résultat en hausse depuis 2023). Nous nous trouvons à une époque cruciale: de plus en plus de femmes réalisent que la structure actuelle du couple pose problème (charge mentale, répartition des tâches domestiques et parentales, violences), tandis que d'autres personnes veulent renforcer le modèle patriarcal.

Le futur nous dira si on connaîtra une vraie révolution post-romantique.

Il n'existe pas encore de réflexion de fond sur la place du couple dans la société, on n'en est qu'aux balbutiements. La révolution aura lieu lorsqu'on entreprendra une réflexion collective, avec des propositions d'alternatives accessibles à toutes et tous. Là, et seulement là, on pourra espérer sortir du modèle traditionnel.


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