Femina Logo

Ode aux grandes soeurs

Comment le rôle de fille aînée peut influencer le caractère

Comment le role de fille ainee peut influencer notre personnalite

Sérieuses, responsables, consciencieuses, attentionnées et assidues: voilà les traits que partagent de nombreuses filles aînées, selon l'écrivaine néerlandaise Lisette Schuitemaker, autrice de The Eldest daughter effect.

© GETTY IMAGES/CAVAN IMAGES

Être fille aînée, c'est entrer dans l'arène la première. C'est fouler un sol immaculé, tomber, apprendre à se relever. C'est rédiger le manuel d'usage pour les cadets, leur marteler nos leçons de vie durement apprises avec force gestuelle. Puis, c'est s'alarmer de les voir trébucher quand même, panser leurs plaies et ravaler les «Je te l'avais bien dit!». C'est apprendre à changer des couches à dix ans, entonner les chansons préférées des petits quand ils pleurent, devenir la première personne qu'ils imitent. C'est s'entendre dire qu'on est «très sage» ou «trop sérieuse». C'est un cadeau et une immense responsabilité.

Et c'est également ce qu'évoquent des dizaines de milliers d'internautes sur les réseaux sociaux. En mai 2022, un tweet viral posait, avec ironie, la question suivante: «Est-ce que vous allez bien? Ou est-ce que vous êtes une fille aînée?» S'en était suivi un déferlement de commentaires compatissants. Sur Instagram, des comptes tels que Eldest daughter club et Home Girls Unite sont entièrement consacrés aux filles aînées et abordent le manque de confiance en elles, l'anxiété et le perfectionnisme qui les caractérisent parfois. Sur TikTok, le hashtag #EldestDaughterSyndrome [le syndrome de la fille aînée, ndlr] rassemble des témoignages de grandes sœurs qui décrivent la pression d'être un modèle irréprochable et de prendre soin des autres. «Je me suis toujours demandé qui je serais devenue, si j'étais née en dernier, partageait la tiktokeuse et poétesse américaine Kori Jane, en mars 2023. Me serais-je sentie aussi responsable pour les émotions de tout le monde? Aurais-je ressenti le même besoin d'être perçue comme la plus forte?»

Fin avril 2023, la psychologue Israa Nasir avait également posté une vidéo TikTok visionnée près de 30'000 fois, précisant que tous ces contenus révèlent un phénomène bien réel: «Nous avons toutes et tous vu les mèmes hilarants au sujet des filles aînées, leur tendance à angoisser et à tout porter sur leurs épaules... Mais en tant que thérapeute, [...] je m'aperçois que cette dynamique comportementale, ce perfectionnisme et cette inquiétude développées par certaines filles aînées, se répercutent réellement dans les relations des personnes concernées.»

D'où viennent ces émotions et comportements qui semblent concerner beaucoup de filles aînées? Nous avons demandé l'avis de deux spécialistes.

La plus obéissante

«Dans une fratrie, l'aîné-e, peu importe le genre de l'enfant, ouvre la parentalité à ses propres parents, explique la psychologue et psychothérapeute FSP Sandie Ackermann. Avec cet enfant, les parents vivent l'expérience des premières fois, et l'aîné-e aura plus tendance à répondre aux demandes des parents afin de garder la position privilégiée qu'il ou elle tenait jusqu'à la venue de ses frères et sœurs.»

Bien qu'il soit évidemment impossible de généraliser ce phénomène et que des garçons soient parfois concernés par la même pression, il semble que les filles aînées partagent certains points communs, en raison de leur éducation, des stéréotypes sexistes et des injonctions sociales qui conditionnent leur développement. Par exemple, on parle plus souvent du «syndrome de la bonne élève», sachant qu'il est communément attendu des filles qu'elles soient sages et calmes, tandis que les garçons bondissent dans le jardin et grimpent aux arbres.

«Pour les filles aînées, "jouer aux petites mamans" est assez fréquent, poursuit l'experte. Elles peuvent être plus maternantes que les autres membres de la fratrie. De surcroît, il est souvent demandé à l'aîné-e de montrer l'exemple, ce qui rend cet enfant parfois plus "obéissant-e".»

5 traits de caractère typiques

Pour l'écrivaine néerlandaise Lisette Schuitemaker, co-autrice du livre passionnant The eldest daughter effect, (malheureusement pas encore traduit en français), les filles aînées auraient tendance à développer des traits de personnalité semblables, renforcés par leur place au sein de la fratrie et les exigences sociales qui accompagnent leur croissance. Depuis la publication de cet ouvrage phare - en anglais - en 2016, l'autrice organise des retraites annuelles destinées aux filles aînées, afin qu'elles puissent partager leurs vécus. La 5e édition de la «Eldest Daughter Retreat» a eu lieu fin mars 2023 en Écosse et a rassemblé des femmes de tous les âges: «Ces événements uniques m'évoquent des réunions de personnes qui ne se sont encore jamais rencontrées, mais qui se connaissent déjà! s'étonne la spécialiste, elle-même fille aînée. Nous partageons des traits de personnalité, mais aussi des expériences! Nous avons vu notre mère assise avec un nouveau bébé sur les genoux et entendu nos parents nous affirmer que nous étions désormais assez “grandes” pour faire certaines choses toutes seules. Cela tend à renforcer le sens des responsabilités de nombreuses d'entre nous.»

Durant une recherche menée auprès d'une centaine de femmes, aux Pays-bas, Lisette Schuitemaker et la journaliste Wies Enthoven ont donc cherché à distinguer les cinq traits de caractère qu'on retrouve le plus souvent chez les filles aînées ou celles qui ont eu ce rôle au sein de leur famille. Résultat: elles seraient sérieuses, responsables, consciencieuses, attentionnées et/ou assidues. Cela s'accompagne parfois d'un certain perfectionnisme, d'une exigence accrue et d'un manque de confiance pouvant les faire souffrir.

Par ailleurs, l'autrice note que lorsqu'une ou plusieurs de ces tendances sont présentes, celles-ci peuvent se répéter au cours de la vie adulte:

«Je remarque que les filles aînées se lient souvent d’amitié avec d’autres filles aînées. Les dynamiques familiales réapparaissent alors de manière inconsciente, car les plus âgées sont parfois plus réservées, plus exigeantes et très occupées avec toutes les responsabilités qui leur incombent ou qu'elles endossent.»

[Traduction: «C'est juste une idée, mais je pense qu'on pourrait régler n'importe quel problème en deux semaines, si l'on rassemblait un comité composé de filles aînées.»]

Et les garçons?
Du côté des fils aînés, l'ouvrage The eldest daughter effect, cite les travaux du psychologue américain Frank Sulloway, qui liste les traits de personnalité sensiblement différents: la compétitivité, la fermeté, la conventionnalité, une difficulté à se montrer empathique ou encore l'impulsivité. «On ne peut généraliser ces choses-là, bien sûr, mais des études ont montré que face à l’inquiétude ou l’agitation intérieure, les garçons s'autorisent souvent à extérioriser immédiatement, tandis que les filles tendent plutôt à tout intérioriser et à prendre sur elles», commente Lisette Schuitemaker.

Et les autres enfants de la fratrie?
Les cadets et enfants du milieu peuvent présenter d'autres caractéristiques communes, qui varient évidemment d'une personne à l'autre. «À l'arrivée des autres enfants, les parents sont souvent plus confiants, ils connaissent les étapes, savent bien souvent quoi faire, analyse Sandie Ackermann. Ces enfants-là sont souvent autonomes plus rapidement. Petit-e-s, ils et elles jouent plus facilement seul-e-s. Nous observons souvent également que le ou la plus jeune a souvent plus de liberté, et ce dès un plus jeune âge, que les enfants précédents. Chaque place dans la fratrie a effectivement une influence, mais d'autres variables sont à considérer comme les attentes des parents pour l'enfant ou les différences d'âge entre chacun-e.»

Faire juste, sans trop briller

Pour certaines filles aînées, les besoins des autres passent donc naturellement avant les leurs: «Beaucoup d’enfants premiers nés - surtout les filles - tentent de vivre en fonction de ce qui rendra leurs proches heureux, précise Lisette Schuitemaker. On souhaite que notre mère et notre père nous approuvent, nous apprécient, et cela peut même conduire à une confusion des rôles au sein de la famille. En effet, puisqu'on cherche à les aider au maximum, à devenir de plus en plus autonome et attentionné-e, on risque de porter une part du rôle de parent. À terme, il devient alors plus difficile d’identifier nos propres envies et nos propres besoins, puisqu’on les a toujours ignorés pour se focaliser sur ceux des autres.»

En outre, ce phénomène peut s'accompagner d'une forme d'ambivalence troublante, notamment lorsqu'il s'agit de s'affirmer et de prendre conscience de ses qualités: «J’ai récemment découvert que la frontière entre “trop” et “trop peu” est parfois floue, ajoute l'autrice. En tant que fille aînée, on reçoit parfois des signaux contradictoires: d’un côté, on nous demande de nous débrouiller et d’être “la grande”. Mais d’un autre côté, on nous conseille de ne pas en faire trop, de se retenir, de ne pas courir trop vite, car notre cadet ne pourra pas nous rattraper.

On nous encourage à faire notre chemin dans le monde, tout en nous demandant quand même de ne pas trop briller et d'attendre les autres.»

Comment se libérer?

À en croire les témoignages parsemant TikTok, une interrogation claire se dessine: est-il possible de changer ces dynamiques ou font-elles tout simplement partie de nous? «Oser sortir d'une place qui nous a potentiellement permis de continuer à être aimé-e après l'arrivée d'un frère ou d'une sœur n'est pas chose facile, constate Sandie Ackermann. L'extérieur attend de l'individu la réponse habituelle, qui rend la situation prévisible. Mais cette place empêche d'autres possibles nécessaires à certains moments de la vie.

L'enfant comme l'adulte devra alors prendre un risque s'il ou elle veut changer. Le risque d'être critiqué-e et moins apprécié-e, voire le risque d'être rejeté-e.»

Même son de cloche pour Lisette Schuitemaker, pour laquelle les schémas douloureux peuvent et doivent tout de même être travaillés: «On s’habitue à ce rôle, à être la personne qui s’assure que tout roule, affirme-t-elle. Cela finit par devenir une part de notre identité. Mais c’est lorsqu’on en prend conscience qu’on peut agir. Par exemple, quand vous êtes sur le point de vous charger d’une tâche, essayez consciemment de lâcher l’affaire. Vous vous apercevrez rapidement que vos proches sont tout aussi capables de faire ces choses! Même s’ils et elles s’en occuperont sans doute moins vite et moins parfaitement que vous.»

[Traduction: «N'oubliez pas de vous aider vous-mêmes, autant que vous aidez les autres.»]

Pour l'écrivaine, ce rôle implique évidemment des aspects difficiles, mais permet aussi de développer de vraies qualités. Et l'équilibre entre les deux n'appartient qu'à nous: «Au fond, nous avons toujours un choix: celui de se libérer! C’est comme si nous avions toujours pris le même tramway, toute notre vie. Il nous emmène donc chaque jour le long des mêmes rails, nous offrant toujours la même vue. Changer de tram, c’est faire le choix d’agrandir notre horizon. C’est s’offrir davantage de possibilités. Il n’est jamais trop tard pour opérer de tels changements: à ma dernière retraite, nous avons accueilli une dame de 79 ans!»

Aussi la spécialiste conseille-t-elle d'instaurer un nouveau dialogue intérieur, comme une sorte de mantra, en se répétant «Je suis déjà suffisante, exactement comme je suis. Je n’ai rien à prouver.» Pour conclure, elle adresse un message à tous les enfants aînés qui se sentent parfois incompris-e-s: «Je voudrais leur rappeler qu’ils et elles ne sont pas seul-e-s.

Beaucoup de personnes suivent cette même route; nous faisons constamment de notre mieux et méritons vraiment une petite tape dans le dos, de temps en temps. Bravo aux petits pionniers et pionnières que nous sommes!»

Témoignages de filles aînées

Être celle «qui fait le lien»

Julie*

«Alors que nous essayions d’organiser un brunch de Pâques en famille, avec nos agendas compliqués et des problèmes à s’atteindre par téléphone, mon frère me balance: "C’est toi l’aînée, c’est ton rôle de faire le lien!" Et ce n’est pas faux! Première d’une fratrie de trois, je passe pour la plus conciliante, celle qui fait tout pour arranger tout le monde, qui vole au secours des deux autres à la moindre alerte, qui garde les enfants, qui aide parfois financièrement.

Des trois, j’ai le caractère le plus "facile", je sais qu’on se repose beaucoup sur moi. Un rôle flatteur mais aussi parfois pesant.

Je suis très proche de ma sœur, en âge et en relation, nous avons été élevées ensemble sans beaucoup de différence jusqu’à l’adolescence où elle a eu beaucoup plus de liberté que moi, qui ai dû «faire le chemin», avec des parents assez stricts sur les horaires de rentrée par exemple. Mon frère, le cadet, on n’en parle même pas. Je me rappelle que l’algorithme Facebook m’avait proposé un jour ce trio de T-shirts à messages (plus parlant en anglais): sur le premier était inscrit "Je suis l’aînée, j’édicte les règles", le deuxième "Je suis celui du milieu, et la raison pour laquelle il y a des règles" et sur le troisième "Je suis le plus jeune, les règles ne s’appliquent pas à moi". C’est exactement ça!»

Savoir couper le cordon

Valentine*

«Je suis devenue grande sœur à l'âge de 6 ans quand mes petites sœurs, des jumelles, sont nées. Du haut de mon jeune âge, j’ai tout de suite dû aider mes parents, modestement, avec ces deux tornades qui venaient de débarquer à la maison. Depuis ce moment de ma vie, je crois avoir toujours veillé inconsciemment sur mes sœurs comme une seconde maman. D’autant plus quand celle-ci a disparu lorsque j’avais 31 ans. Quasi dix ans plus tard, avec pas mal de recul donc, je pense qu'être une grande sœur m’a toujours lesté d’une grande responsabilité envers elles et d’une inquiétude à les voir traverser chaque coup dur, mais cela m’a aussi offert un grand bonheur d’observer leurs victoires!

Si je pouvais donner un conseil aux grandes sœurs quand l’éponge émotionnelle est trop lourde, c’est que nous ne sommes pas responsables de leurs choix de vie et qu'il est bon de savoir quand il le faut couper le cordon!»

Être admirée... et copiée

Ilona*

«Je me retrouve dans les traits de caractère de la fille aînée: sérieuse, bonne élève, consciencieuse et responsable. Je dirais que ce rôle m'a également inculqué la créativité et une forme d'indépendance très tôt. Dans ma fratrie, c'est moi qui inventais tous nos jeux, qui étais suivie, admirée (bon, mon frère et ma sœur n'ont jamais avoué cela). Cette situation m'arrangeait bien parfois, puisque je pouvais prendre une grande partie des décisions, mais le revers de la médaille était d'être constamment copiée. Je me souviens que, adolescente, cela m'énervait beaucoup (et qu'aussi, bon nombre de mes vêtements disparaissaient de mon armoire).

Comme ma sœur cadette avait besoin d'attention particulière, j'ai aussi appris à rester discrète, dans mon coin, à gérer mes émotions seule et à me débrouiller à l'école.

Je ne voulais pas prendre trop de place, et comme mes parents ont vite compris que je réussissais mes devoirs, j'ai toujours été indépendante dans mon travail scolaire. Arrivée à la trentaine, je trouve aujourd'hui que nos rôles d'enfants au sein de la famille se sont alignés, que chacun et chacune remplit parfois le rôle de l'aîné-e en assumant une responsabilité.»

S'inquiéter de tout

Marzia*

«Je crois que je suis un peu le stéréotype de la sœur aînée. J'ai tendance à me sentir responsable des émotions des autres, à m'angoisser de tout, à me montrer perfectionniste, exigeante... et j'apprends seulement maintenant à lâcher un peu le rôle de la «fille sage et sérieuse» qui me valait tant d'éloges, enfant. Mais j'en ai toujours été infiniment fière. Comme nous avons pas mal d'années de différence, j'ai changé leurs couches et découvert des techniques imparables pour encourager ma petite sœur à manger ses brocolis. J'ai entendu des phrases de genre "Je veux être comme toi", après avoir déploré bruyamment la disparition soudaine de plusieurs de mes vêtements. J'ai été la première personne vers laquelle la plus jeune a rampé avec entrain, dans le seul but de me piquer le bâtonnet glace que je tenais entre mes doigts.

Alors comment ne pas rugir quand quelqu'un les froisse, comment ne pas bondir autour de ma cadette en lui demandant si elle a assez mangé? Comment lui refuser quoi que ce soit, alors que je l'ai vue grandir? Comment accepter que je ne peux réparer leurs cœurs brisés d'un coup de sparadrap magique? Même si c'est fatigant, parfois, je ne voudrais pas qu'il en soit autrement. Grande sœur, c'est dans mon ADN.»

*Nom connu de la rédaction

Ellen vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné