inégalité
Notre rapport aux tâches domestiques est (toujours) conditionné par le genre
Autrice, entre autres, de l'ouvrage Le Ménage: la fée, la sorcière et l’homme nouveau (Éd. Stock), paru en 2013, et de Et si on réinventait l'éducation des garçons? (Éd. Nathan), paru en 2020, Christine Castelain Meunier est sociologue au CNRS, responsable du séminaire sur le masculin et le féminin à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). À l'occasion de notre édition du 23 avril 2023, consacrée au ménage, l'experte a accepté de répondre à nos questions sur les stéréotypes de genre qui entourent encore les tâches domestiques.
FEMINA Est-ce qu’aujourd’hui, on fait plus le ménage par plaisir que par devoir?
Christine Castelain Meunier Je pense que oui. Il y a une manière de se tourner vers soi, de se faire plaisir dans une société assez individualiste dans laquelle l’environnement personnel est perçu comme important. Et une morale ambiante moins tournée vers le devoir et le fait de paraître grâce à son intérieur qui est bien tenu, en général par une maîtresse de maison, même si c’est de moins en moins la norme. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de nouvelles contraintes.
Justement, est-ce qu’on peut dire que les hommes et les femmes ont des contraintes différentes en la matière?
Le regard porté sur la manière dont les femmes et les hommes entretiennent leur intérieur est conditionné par le genre. Sur les femmes, il est plus sévère car il faut que la femme soit une bonne maîtresse de maison, une bonne mère, même si le poids moral associé à ces figures est moins lourd aujourd’hui. Sur les hommes, il se base sur un a priori qui veut que de toute façon, ceux-ci seront désordonnés, ce qui est selon moi faux.
La répartition des rôles dans le savoir-faire domestique n’est donc plus tout à fait la même?
Ce qui change aujourd’hui, même si la charge mentale sur les capacités à assumer des responsabilités éducatives et domestiques reste inégalement répartie, c’est que les hommes sont plus présents dans l’espace intérieur et familial. C’est une préoccupation majeure des jeunes hommes de concilier vie professionnelle et vie familiale, du coup leur présence est plus évidente qu’autrefois. Du côté de l’éducation des enfants, c’est important qu’ils voient leur père s’impliquer dans l’espace domestique. C’est une des clés pour une meilleure répartition des rôles non genrée. Il faut arrêter de projeter des stéréotypes du genre «les garçons ont tendance à être sales et les filles plus propres.»
Si ranger est donc un plaisir unisexe, pour certaines personnes c’est devenu une obsession face au désordre ambiant dans la société, comme l’a montré l’expérience du confinement. Comment l’expliquer?
Cela peut en effet s’expliquer par un besoin d’ordonner son chez-soi face au désordre extérieur. Au niveau comportemental, cela peut aussi refléter une personnalité qui se mettrait «sous contrôle» en passant par une capacité à maîtriser son intérieur. Mais il y a aussi le fait que les logements étant chers, la place peut être restreinte: la préoccupation du rangement est d’autant plus importante parce que l’espace est limité.
Il y a aussi cette idée qu’on serait mieux dans un environnement rangé, sachant qu’il y a un univers d’objets qui est énorme aujourd’hui là où, avant, on avait assez peu d’objets qui étaient planqués dans de gros meubles conçus pour les faire disparaître des regards.
Un pas difficile à franchir pour les personnes qui préfèrent «garder au cas où», par peur de manquer, non?
Il y a une angoisse latente aujourd’hui autour de l’avenir en général et de celui de la planète en particulier. Cette anxiété se traduit par une envie de mieux réguler sa consommation en conservant ce qui est nécessaire. Ce qui implique donc de ranger et de trier pour mieux conserver. Sans tomber dans les extrêmes non plus.
Cette idée de «garder au cas où» renvoie aussi à une éducation revalorisée qui est d’économiser, de ne pas trop dépenser. Aujourd’hui, le climat ambiant pousse à accorder de la valeur à des choses qu’autrefois on aurait eu tendance à jeter dans une société industrielle de consommation. On est aussi en train de se défaire de l’image sociale de soi construite à travers tout ce qu’on possédait. Ce qui compte, c’est la préoccupation de la qualité.
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