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Interview

«Parents, vous avez le droit de penser à votre propre bonheur!»

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«J'ai l'impression que la parentalité n'est plus perçue comme un passage dans la vie comme un autre. Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'une performance, quelque chose qu'on doit "réussi"». - Lénaïg Steffens, psychologue de l'enfant.

© GETTY IMAGES/ANASTASIIA KRIVENOK

«Libérez-vous et, surtout, soyez heureux-ses!», clame Lénaïg Steffens, psychologue de l'enfant, dans son ouvrage paru en février 2023 aux éditions Eyrolles. Intitulé Parents, soyeux heureux et illustré par Marie-Astrid Berthon, il constitue un guide déculpabilisant et optimiste destiné aux parents qui peinent à se faire confiance et qui, parfois, s'oublient un peu. Alors que les conseils d'éducation inondent les réseaux sociaux et que l'illusion de la «famille parfaite» est omniprésente dans notre société, l'autrice rappelle que le bonheur des parents est essentiel à celui des enfants. Ainsi les encourage-t-elle à s'écouter et à prendre soin de leur propre bien-être, en prenant un peu de distance pour diminuer la pression qu'ils et elles s'infligent.

Quelques semaines après la sortie du livre, l'autrice nous a accordé une interview.

FEMINA Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre et de choisir ce thème? Y a-t-il eu un élément déclencheur?
Lénaïg Steffens Oui, l'idée est venue de mes consultations! Je suis psychologue pour enfants et, dans mon cabinet, je reçois uniquement des familles. J'avais envie de diffuser les conseils que je propose durant mes séances, afin de les partager au grand public et d'aider d'autres parents que ceux et celles qui viennent me consulter. Le but, avant tout, est de rassurer les personnes qui doutent d'elles-mêmes, de les guider dans l'éducation de leurs enfants, de leur offrir quelques principes et informations que j'ai eu la chance de recevoir durant mes formations. Car aujourd'hui, je constate que beaucoup de parents sont un peu déboussolé-e-s.

Avez-vous l’impression que la pression qui pèse sur les parents est plus importante aujourd’hui? Qu'ils et elles ont davantage l'impression de devoir tout faire «parfaitement»?
Absolument! Tout le monde partage son quotidien sur les réseaux sociaux, tout semble possible, tout doit être visible et, malheureusement, tout devient ainsi critiquable... C'est embêtant et plutôt contre-productif pour l'épanouissement personnel. Par ailleurs, Internet a également permis l'avènement de nombreux dogmes qui ne rendent pas forcément service aux parents, comme l'éducation exclusivement positive par exemple, très souvent évoquée sur les réseaux. Les centaines de mouvements ou informations disponibles sur la Toile ne sont pas toujours basés sur un bagage théorique ou scientifique.

J'ai aussi l'impression que la parentalité n'est plus perçue comme un passage dans la vie comme un autre. Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'une «performance». On entend des propos qui suggèrent qu'il faut «réussir» la parentalité, qu'il faut tout conscientiser... Ce type de discours nous inflige une grande pression.

Plutôt que de les aiguiller, cette masse d'informations contribue donc à inquiéter les parents...
Sans oublier qu'on peut tomber sur des informations complètement contradictoires! Et tous ces conseils différents peuvent venir autant de l'extérieur que de notre cercle proche, au point de se sentir submergé-e. Jadis, on recevait peut-être un ou deux conseils venant de notre mère ou de notre grand-mère, mais aujourd'hui, toutes les personnes qu'on connaît tiennent à nous partager telle ou telle info qu'elles ont dénichée. Dans la plupart des cas, plutôt qu'une marche-à-suivre pratique, les parents ont besoin qu'on les écoute. Lorsqu'une personne avoue qu'elle «ne sait pas trop comment faire», on se sent automatiquement poussé-e à lui donner un conseil, pour l'aider. Mais souvent, une maman un peu déboussolée est davantage en quête de soutien, d'une épaule ou d'une voix rassurante qui l'aide à ne pas culpabiliser.

    Le sujet principal de votre livre est le bonheur. Pourquoi est-il important que les parents prennent soin de leur propre bien-être, afin de rendre leurs enfants plus heureux-ses?
    Au début du livre, j’utilise la métaphore du bateau, qui assimile la parentalité à une grosse embarcation. Certains moments sont calmes, avec une mer sereine, et les parents peuvent alors laisser la barre pour se baigner joyeusement avec leurs enfants. Or, les phases tumultueuses sont inévitables et exigent leur totale disponibilité. Lorsqu'on ne parvient plus à identifier ce qui nous rend heureux-se, ce qui nous fait vibrer ou les activités qui nous ressourcent, il est bien plus difficile d'affronter ces mini-tempêtes du quotidien!

    En effet, il faut beaucoup d'énergie pour conduire nos enfants sur le chemin de la vie, pour les dynamiser, leur donner envie de découvrir le monde... Et on a davantage d'énergie lorsqu'on est heureux-se.

    Conduire son enfant sur le chemin de la vie, c'est lui apprendre à trouver le bonheur?
    Comme tout dans l’éducation, la disponibilité au bonheur s'apprend. Il est essentiel que les enfants voient leurs parents choisir la voie du bonheur, même lorsqu'ils traversent des difficultés. Cela n'est pas toujours aisé à comprendre, mais même quand on vit de véritables drames, on peut continuer à se demander ce qui pourrait nous aider, nous soulager ou nous faire du bien. Cela passe souvent par de toutes petites choses, comme une demi-heure de sport, une balade, un weekend en tête-à-tête...

    L'idée que le bonheur des parents détermine celui de leurs enfants ne risque-t-elle pas de créer encore plus de pression? Une tendance à vouloir «se forcer» d'avoir l'air heureux-se?
    Dans mon livre, j'invite constamment les parents à sortir des injonctions... Or, le titre de l'ouvrage en est une, justement! Avec humour, je dis souvent que s'il fallait garder une seule injonction, ce serait celle-ci. Car il est important de se demander vraiment, en profondeur, ce qui nous anime, ce qui nous donne envie de nous lever le matin. Les parents viennent me voir car ils et elles investissent toute leur énergie dans l’éducation, donnent tout à leurs enfants et, au final, ont oublié que leur propre bonheur est important aussi. En fait, le problème ne vient pas des injonctions en elles-mêmes, mais de leur nombre important et de leurs messages contradictoires. Un coup, on nous dit qu'il est bénéfique de dormir avec l’enfant, un coup on nous dit qu'il ne faut surtout pas faire cela... Quand je rencontre des parents qui dorment avec leur bébé, je leur demande si cela leur convient. Et si la réponse est «non», je leur rappelle qu’ils ont totalement le droit d'aimer dormir en couple et qu’ils peuvent se l’accorder. Mon livre, j'aurais pu l'appeler «Parents, n'hésitez pas à être heureux, ce ne sera jamais un problème pour vos enfants»!

    Justement, vous évoquez aussi l'importance d'accorder du temps et de l'énergie au couple.
    Quand on a décidé d'avoir des enfants avec quelqu'un, il est important - et totalement permis! - de passer au minimum une heure par jour seul-e avec cette personne. On ne peut pas espérer rester ensemble toute notre vie, si on n'a pas le temps de s'aimer! L'amour prend du temps, de l'énergie, mais quelques outils simples peuvent déjà être très bénéfiques. Je pense notamment au concept du «1-1-1-1» [Une heure en couple par jour, une soirée en couple par semaine, un weekend en couple par trimestre et une semaine en couple par an, ndlr] ou au fait de connaître nos langages de l'amour respectifs [c'est-à-dire la manière par laquelle chaque partenaire aime exprimer et recevoir de l'amour, selon la théorie de l'auteur américain Gary Chapman. Cela peut être les mots valorisants, les gestes de tendresse, les cadeaux, le temps passé ensemble ou les services rendus à l'autre, ndlr].

    Dans ce sens, que diriez-vous aux couples qui restent ensemble pour le bien de leurs enfants, alors qu'ils ou elles voudraient se séparer?
    À nouveau, je pense qu'il convient de choisir la perspective du bonheur: il est bien plus bénéfique pour les enfants de vivre avec des parents heureux-ses, car les plus jeunes souffrent surtout de voir les adultes se déchirer. Je vois au quotidien des parents qui ressentent beaucoup de colère et font parfois preuve de violence verbale, voire physique, envers leur partenaire. Il faut absolument proscrire cela, bien sûr, car pour les enfants, ce genre de situation est très délétère. Par ailleurs, comment peut-on leur apprendre l'amour et le bonheur d'une relation si on ne s'autorise pas à le vivre?

      Dans votre ouvrage, vous parlez d’un rêve inatteignable, du fantasme d’une famille «parfaite»... Faudrait-il alors baisser nos attentes, pour être plus heureux-se?
      Le fantasme de cette famille «parfaite» est différent pour tout le monde, mais une image figée est tout de même véhiculée par la société. Or, le plus important est l'équilibre qu'on trouve en soi-même. Alors oui, je pourrais inviter les parents à réduire un peu leurs exigences et à prendre de la distance pour se demander pourquoi cet idéal leur semble si souhaitable. Cela vient peut-être du fait qu'on a grandi dans une famille «parfaite», imprégnée de l'illusion que tout allait bien, et qu'on souhaite reproduire cette vie-là pour notre propre petite tribu...

      Dans tous les cas, j'encourage chacun-e à travailler sur son histoire personnelle. En effet, notre comportement et nos envies sont fortement influencés par ce que nos propres parents nous ont transmis et ce que nous avons nous-mêmes vécu en tant qu'enfants. Quand on a été blessé-e lors de nos premières années, ces douleurs peuvent ressurgir tout au long de notre vie d'adulte, et surtout lorsqu'on devient parent à notre tour. Par contre, je constate que les personnes très inquiètes de faire revivre à leurs enfants ce qu'elles ont vécu plus jeunes ne reproduisent généralement pas ces mêmes schémas! Elles commettront sans doute d'autres erreurs (car celles-ci sont inévitables!), mais pas celles qu'elles espéraient tant éviter.

      Je passe beaucoup de temps à rassurer les parents. Après les avoir écoutés, je leur dis: «Mais la bonne nouvelle, c'est que vous êtes de bons parents et que votre enfant va bien». Souvent, à ces mots, ils et elles pleurent de soulagement.

      Comment pouvons-nous briser ce mirage de perfection? Faut-il parler plus souvent des côtés plus difficiles de la parentalité?
      Il faudrait faire davantage exister l'ambivalence parentale, soit la cohabitation de l'amour et de l'hostilité. Être capable d'exprimer ouvertement qu'on adore nos enfants, qu'ils représentent notre plus grand bonheur, mais qu'en même temps, on se réjouit de les confier aux grands-parents pour aller manger au restaurant tranquilles, à deux. Ou encore, alors qu'on leur donne le bain, oser s'avouer et assumer qu'on voudrait plutôt être ailleurs, en réunion, dans le canapé... Il faudrait faire comprendre aux parents que cela est normal! Par ailleurs, cette ambivalence est utile dans le développement parental: durant les premières années, les tout-petits ont besoin de notre présence constante, mais aussi d'occasions de créer leur propre espace psychique.

      Je constate en effet que beaucoup de parents se mettent tellement de pression qu'ils et elles risquent d'étouffer leurs enfants, en les empêchant d'aller vers l'extérieur.

      Dans votre livre, vous décrivez différents mécanismes ou injonctions dont les parents devraient se libérer. Qu'est-il le plus urgent de faire, pour y parvenir?
      Je pense qu'il faut prendre conscience que l'éducation est essentielle. L'éducation bienveillante et positive, mais qui implique tout de même des «non», afin que les enfants apprennent la frustration. C'est indispensable pour leur montrer comment composer avec les obstacles que la vie leur présentera. Il n’y a évidemment pas de manuel de l’éducation, mais chaque enfant a des besoin auxquels il faut répondre, en fonction de son âge. Ils ont tous-tes besoin des limites à un moment! La grande majorité de mes consultations se déroulent avec des parents qui se demandent comment bien faire et se basent énormément sur l'éducation positive.

      Cette théorie va-t-elle trop loin, pour vous?
      Oui, pour moi l'éducation exclusivement positive va trop loin et ne crée pas un bon équilibre. L'idée qu'un perpétuel non-conflit suffit à éduquer notre enfant ne convient pas: ils auront forcément besoin qu'on leur donne des limites, à un moment. C'est un besoin de l'enfant, notamment durant la fameuse période des «Terrible Two», qui survient vers deux ans. Cette phase ne passe pas d'elle-même et si on ne leur donne pas les limites dont ils ont besoin, elle risque de perdurer.

      Quels types de propos, de ton ou de conseils vous ont manqué, quand vous êtes devenue mère?
      Je pense que ce qui aurait pu me manquer, ce sont des conseils concrets concernant l’éducation. Si je n’avais pas été correctement formée à la psychologie à cette époque, je pense que je me serais sentie plutôt perdue, par moments. Dans ma vie quotidienne de maman, lorsque je traverse des moments difficiles, je prends le temps de faire une pause, de me demander pourquoi j'ai l'impression d'être coincée dans un tunnel. Et je me rends compte que ce sentiment désagréable vient du fait que je n'ai pas fait de sport depuis des semaines, que je ne me suis pas suffisamment reconnectée à mes besoins... Alors je m'autorise à remplir mon réservoir de plaisir et d'amour, afin de repartir du bon pied. On a le droit de faire cela, de changer de perspective! Si les parents devaient retenir un seul conseil du livre, ce serait celui-ci.

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