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Un téléphone à 10 ans, c'est la norme?

SMARTPHONE 10 ANS ECOLE ECRAN PARENTS

Plus d’un enfant de 10 ans sur deux a un smartphone, selon les derniers chiffres de l’étude MIKE menée par la Haute École zurichoise des sciences appliquées (ZHAW).

© RETO CRAMERI

C’est presque devenu un rituel hebdomadaire le lundi midi entre Emile* et sa mère. Le garçon de 10 ans la tanne pour avoir un smartphone tout comme sa sœur de 15 ans. «À chaque fois, je lui répète qu’elle l’a eu à 12 ans, soupire Silvia, quarantenaire installée à Genève. À la longue, c’est usant. D’autant plus que la plupart des ses copains sont équipés pour leur rentrée en 7P.» Si, jusque-là, Silvia tient bon, ce n’est pas le cas de son amie Nathalie*:

«J’ai bâché aux 10 ans de ma fille, il y a un an, car son père dont je suis séparée tenait à ce que nous puissions la joindre lorsqu’elle était entre son domicile et le mien.»

La maman se souvient s’être alors sentie jugée par les parents des camarades de classe de sa fille. «Ce qui m’amuse aujourd’hui, c’est que les mêmes parents qui levaient les yeux au ciel alors ont acheté des appareils de dernière génération à leurs enfants et y ont installé Snapchat, Instagram, TikTok… Sur le téléphone de ma fille, il n’y a «que» WhatsApp pour l’instant.»

De fait, en Suisse, plus d’un enfant de 10 ans sur deux a un smartphone, selon les derniers chiffres de l’étude MIKE menée par la Haute École zurichoise des sciences appliquées (ZHAW) et publiée en mars dernier. Et si à cet âge, selon la même étude, les écoliers préfèrent encore consacrer leur temps libre aux jeux, au sport et aux contacts sociaux, c’est aussi à ce moment charnière que le téléphone portable devient un objet du quotidien indispensable, avec une utilisation quasi généralisée des réseaux sociaux qui s’installe durablement dès 12 ans.

Pour mieux résister à cette pression, certains parents s’organisent. À l’instar de ceux de la ville de Greystones, en Irlande, qui ont passé un pacte en juin dernier avec les huit écoles de leur commune pour interdire les smartphones à leurs enfants avant leur entrée en école secondaire. Un moyen pour eux de s’appuyer sur ce texte pour argumenter leur refus face à leur progéniture.

Aux États-Unis aussi, les initiatives dans ce sens fleurissent, dont une qui a particulièrement retenu l’attention d’Allison Ochs, autrice et experte en citoyenneté numérique qui intervient aussi dans les classes helvétiques qui le demandent: «C’est une ressource que beaucoup d’Américains apprécient et que j’aurais aimé avoir en Suisse. Il s’agit d’un groupe appelé «Wait until 8th», soit «attendez la huitième» (ndlr: qui correspond à la 10P suisse) pour donner un smartphone. L’idée est que le nombre fait la force. Il a été lancé par des mères et si une école obtient 100 parents qui s’engagent et signent une promesse, elle devient une école qui attend jusqu’à la huitième année, où les parents s’entraident pour tenir la résolution.»

À chaque famille sa charte

En Suisse, les initiatives pour faire face à la pression restent pour l’instant individuelles. Et très personnelles. Souvent, les parents s’appuient sur l’exemple d’un grand frère ou d’une grande sœur pour mettre la fratrie sur un pied d’égalité.

«Ma fille sait qu’elle n’aura pas son smartphone avant ses 12 ans, tout comme son frère avant elle. Peu importe si elle aime répéter qu’ils ne sont que trois élèves à ne pas en avoir dans sa classe de 7P», raconte Paul*, papa lausannois qui admet que c’est plus dur de résister avec sa deuxième.

«Il y a cinq ans, rares étaient les camarades de classe de mon fils qui avaient un téléphone portable», continue Paul. Le fait que chaque famille trouve ses propres alternatives est plutôt une bonne chose, selon Jon Schmidt, psychologue thérapeute de famille à Lausanne et auteur d’Adolescence en quête de sens (Éd. LEP): «Les pactes tels que ceux de Greystones sont des régulations qui sont au-delà de l’autorité des parents, alors que ceux-ci doivent être au centre. Si la charte est élaborée par les parents pour leur bien et le bien de leur famille, selon moi, ça fonctionne. Si c’est quelque chose qui est régulé par une autorité extérieure, c’est toujours à double tranchant. D’un côté, ça amène une dimension de contrôle qui soulage les parents, mais de l’autre, ça les déresponsabilise. On sous-entend alors aux parents leur incompétence dans la manière de gérer la situation et surtout, ça leur permet de se délester de ce problème.»

Dans le canton de Vaud par exemple, l’utilisation des outils numériques dans le cadre scolaire se double de conseils aux parents sur l’utilisation des écrans. Ainsi, de 9 à 13 ans, toute activité sur un écran devrait se faire avec une personne adulte à proximité. Mais comment gérer si l’enfant a un smartphone? «En Suisse il y a des âges régulés pour l’utilisation des portables et des réseaux sociaux, mais ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver. On est souvent surpris des âges auxquels on autorise un enfant à y aller», continue le psychologue.

La sécurité est une illusion pour les parents une fois que leur enfant a son smartphone
© RETO CRAMERI

L'illusion de la sécurité

Parmi les arguments avancés par les parents qui ont craqué, celui de la sécurité est le plus courant. Savoir quand son enfant est arrivé à tel endroit. Pouvoir lui dire qu’on sera un poil en retard après le travail. Entre autres exemples. Les enfants eux-mêmes l’ont bien compris, lorsqu’ils négocient. Surtout quand leurs parents sont séparés.

«Alors que je racontais mon dilemme à un ami qui s’y connaît en nouvelles technologies, il m’a dit quelque chose qui m’a fait tilt: imagine que tu lâches la main de ton enfant de 10 ans dans une foule immense, ça te ferait peur? Maintenant imagine ton enfant surfer seul sur les réseaux sociaux à cet âge, c’est mille fois pire au niveau des risques», se souvient Silvia.

Des outils numériques qui ont de quoi brouiller les messages pour les parents, comme l’explique Jon Schmidt: «On perd un repère qui était beaucoup plus clair avant: quand mon enfant est à l’extérieur, j’ai beaucoup plus de souci à me faire que lorsqu’il est à la maison. Là, il y a une sorte de logique inversée. Il peut être plus exposé sur son téléphone dans sa chambre que sur le chemin de l’école. Ça complique les relations, car cet outil censé créer du lien, favoriser la communication avec ses pairs, est aussi en même temps un terrain sujet au harcèlement et aux moqueries.»

Une gestion des risques que tempère Zoé Moody, professeure à la Haute École pédagogique du Valais et collaboratrice scientifique au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève:

«Dans l’exploration de cet espace numérique, il y a en effet des risques, et on doit en protéger les jeunes, car c’est souvent plus dangereux d’être en ligne que de jouer dans le quartier. Il y a une bascule dans les comportements à prendre en compte, mais aussi des opportunités offertes par le numérique. L’important, c’est ce qu’on en fait.»

Accompagner la découverte

Que l’on craque ou pas en tant que parents, l’important est de baliser le terrain, si possible en amont et en ne s’interdisant pas des retours en arrière si besoin, en fonction des aptitudes de son enfant. «Il ne faut pas confondre aisance et aptitude d’utilisation du smartphone, insiste Jon Schmidt. Niels Weber, mon collègue spécialisé dans l’hyperconnectivité, donne l’exemple de donner une voiture à quelqu’un qui n’a pas le permis. Il a toute la connaissance technologique mais il n’a pas la connaissance relationnelle pour se comporter en société sur le téléphone portable. Il faut créer un espace tampon comme on colle un A sur les voitures en France: pendant une année, cet enfant est dans l’apprentissage du téléphone portable.»

Une année test durant laquelle le parent a le droit de voir ce qui se passe sur le téléphone de son enfant à tout moment, parce qu’il est en train d’apprendre. «Si on voit que ça se passe bien, qu’il n’est pas victime ni auteur de harcèlement, à ce moment-là, il pourra gagner en intimité par rapport à cet outil. Peut-être qu’on réduira les fois où le parent va aller dessus, jusqu’au moment où, en grandissant, l’enfant aura son jardin secret. Ses parents n’auront plus à contrôler sans arrêt son téléphone, parce que la confiance relationnelle se sera tissée. Ce qui manque parfois, c’est d’accompagner les parents vers un apprentissage parent-enfant de cet outil.» Un soutien sur lequel insiste également Zoé Moody:

«Tous les parents ne sont pas égaux en la matière. Ils devraient pouvoir se faire accompagner dans leurs choix, instaurer le dialogue pour s’autoriser des tâtonnements et revenir en arrière lorsque leur enfant a accès à quelque chose qu’il ne maîtrise pas encore.»

Un apprentissage familial commun qui devrait s’enrichir en toute complémentarité, en stabilisant certaines connaissances et habitudes d’utilisation pour ne pas se mettre en danger. «On sait que parmi les facteurs protecteurs, ce n’est pas d’avoir interdit mais c’est d’avoir appris à utiliser qui prime, conclut Zoé Moody. En tant que parent, c’est important aussi de porter un regard critique sur sa propre consommation de ces médias. Si on est capable d’avoir cette posture-là, nos enfants doivent pouvoir la développer aussi.»

*prénoms d'emprunt

Des ressources pour partager...

Sur le harcèlement

Un récit que l’autrice a écrit en pensant à sa fille de 12 ans qui fait le forcing pour avoir son smartphone. Une manière de lui expliquer par l’histoire de Louise, une jeune fille du même âge qui rêvait tant d’avoir enfin son propre téléphone portable, combien le rêve peut virer rapidement au cauchemar sur les réseaux sociaux, même entre meilleures amies, même parfois pour une broutille. Ou comment incarner la prévention.

Tout le monde déteste Louise, Annelise Heurtier, Éd. Casterman (disponible le 6 septembre 2023)

© DR

Sur l'hyperconnectivité

Une BD qui parle d’hyperconnectivité, destinée aux parents et aux enfants entre 10 et 12 ans. Un choix parmi les ressources (flyer, vidéo, livrets) disponibles par tranches d’âge sur le site de la fondation Action Innocence. Sur actioninnocence.org

Écran mon amour, Adrienne Barman (illustrations) et Action Innocence

Ecran mon amour, de Adrienne Barman (illustrations) et Action Innocence (textes)
© DR

Sur la citoyenneté numérique

Sur son site, Allison Ochs propose ses livres en français et en anglais pour aborder le thème de la citoyenneté numérique. Une question qu’elle aborde également dans les classes qui font appel à elle pour détricoter le phénomène, en s’appuyant sur une série de livres dédiés à cette thématique dans la collection «Oscar et Zoé», à retrouver sur editbooks.net

La collection Oscar et Zoé autour de la citoyenneté numérique

Sur les écrans

Concocté par Niels Weber, psychologue et psychothérapeute spécialisé en hyperconnectivité, ce livre offre une vision transversale de l’utilisation des écrans par les enfants comme les parents. Ou comment comprendre ce qui peut rendre accro dans les jeux vidéo et sur les réseaux sociaux notamment, pour devenir un utilisateur averti et mieux déjouer les tentations à l’hyperconnectivité familiale.

Les écrans, je gère!, Niels Weber et Clémentine Latron (illustrations), Éd. Magenta, Collection Sans tabou (disponible le 31 août)

Niels Weber

Sur les contenus

Tyrannie de l’image de soi, distraction perpétuelle, contenus inappropriés: ce livre décortique le pourquoi du comment de la révolution numérique et propose des pistes et des solutions concrètes pour aider les parents à aborder ces sujets avec les enfants. Le tout en se concentrant sur les contenus, plus que sur le temps d’exposition aux écrans.

Les écrans-rois. Smartphone, consoles, tablettes: aidons nos enfants à reprendre le contrôle, Carole Bienaimé Besse, Éd. de l’Observatoire

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