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Interview

Le harcèlement à l’école n’est pas une fatalité

Le harcelement a lecole nest pas une fatalite

Le harcèlement scolaire, une thématique que l’on retrouve dans de nombreuses séries et films, tels que Precious, Retour vers le futur, Carrie: la vengeance, 13 Reasons Why, Stand by me, et Cyberbully.

© ALAMY/UPI, MAXIMUM FILM, CINEMATIC COLLECTION, LIFESTYLE PICTURES, PHOTO12 - STOCK PHOTO - MGM

C’est le fléau des préaux: brimades, injures, voire violences physiques à répétition, exercées sur des enfants qui ont le malheur d’apparaître un tantinet différents aux yeux des autres. Le phénomène, très ancien, serait même en augmentation, selon le psychologue Saverio Tomasella, qui vient de publier Plus jamais harcelés: en finir avec la maltraitance entre adolescents (Éd. Vuibert). Dans ce livre qui décortique la mécanique et la spirale infernale du harcèlement scolaire, le spécialiste français de l’hypersensibilité appelle à empoigner enfin ce problème générateur de drames et de traumas comme un véritable enjeu de société. Interview.

FEMINA Rédiger un livre sur un sujet si grave doit beaucoup retourner. Comment êtes-vous ressorti de l’écriture de cet ouvrage?
Saverio Tomasella
J’ai été touché par ce phénomène révoltant qui n’est pas assez pris en considération par la société. Il y a encore une banalisation de la gravité de ces actes, comme si, au fond, puisque cela existe depuis toujours, ce n’était qu’un mauvais moment à passer dans la vie de certaines personnes. On tend encore aujourd’hui à minimiser l’impact de ces traumatismes, en se rassurant souvent sur le fait que ce ne serait que la conséquence de bêtises d’enfants. L’inaction, voire la complaisance, fréquente des témoins, qui peuvent être des adultes, des profs ou des directeurs d’établissement même, m’a beaucoup choqué.

Y a-t-il des profils davantage harcelés?
Les premiers de la classe font partie des cibles, surtout s’ils montrent qu’ils le sont. Parmi les motifs, on recense aussi des aspects pouvant passer pour une étrangeté, un accent, une culture différente, un trait physique particulier. On sait également que les personnes homosexuelles, ou semblant homosexuelles aux yeux des autres lorsqu’elles correspondent à certains clichés, sont fréquemment l’objet de persécutions, de même que les enfants très sensibles, atypiques. Être juste très gentil peut suffire à déclencher des brimades.

Pourquoi la majorité de ces comportements se déroulent entre 10 et 16 ans?

Ces âges correspondent à des moments de grandes transformations dues à la puberté, qui génèrent des évolutions rapides. Cela entraîne des décalages au sein des classes, où certains ne sont pas du tout pubères et d’autres le sont déjà. Ces grandes différences sont perturbantes pour les préadolescents.

Il s’agit par ailleurs d’une phase clé où l’individu se met à se rebeller contre l’autorité tout en étant encore enfant, ce qui génère le besoin d’être protégé par le groupe, ou par les adultes. On commence à forger son identité par le fait de désigner ce qui n’est pas comme nous, tout en recherchant la sécurité procurée par les autres. C’est un grand tournant plein d’ambivalences et d’émotions contradictoires.

Qui sont ces intimidateurs et pourquoi ont-ils ce comportement?
Les actes qu’ils commettent sont souvent une sorte de répétition de la violence vécue à la maison ou dans l’entourage proche, qu’il s’agisse de maltraitance physique ou psychologique, d’abus sexuels ou de lourds secrets de famille. Ces jeunes peuvent également souffrir de parents absents, et leur désespoir les pousse à prendre des risques et à décharger sur les autres la violence qu’ils ressentent en eux. On compte ainsi une grande prévalence d’intimidateurs chez ces profils. On observe aussi des situations où ce sont les harcelés qui deviennent les harceleurs, à l’occasion d’un changement de classe, car ils ne veulent plus endosser ce rôle de victime.

Mais ces profils demeurent assez rares, comment expliquer que ces phénomènes de harcèlement deviennent souvent un fait collectif?
Généralement, le groupe n’a pas l’initiative du harcèlement, il ne fait que suivre le meneur, qui est souvent l’unique personne à l’origine de cette dynamique. Si l’on envisage la situation d’un point de vue psychanalytique, le harceleur désire être en relation avec son harcelé, mais il n’arrive pas à être dans cette relation proche. C’est au fond une curiosité qui ne peut être reconnue ni verbalisée. Le violenteur va alors créer une antirelation avec cette personne.

Devenir gratuitement hostile envers quelqu’un n’est pas louable en soi, le harceleur le sait bien, c’est pour cette raison qu’il va entraîner les proches dans ce cycle comme s’il était question d’une cause juste et admirable à défendre. Cela lui procure un statut de leader et donc une potentielle popularité, très recherchée dans ces âges car perçue comme essentielle pour réussir ou se sentir important. Mais les membres du groupe, eux, suivent surtout pour ne pas risquer d’être les prochains sur la liste. De ce fait, le harceleur prend le pouvoir à la fois sur la victime et sur ceux qui le suivent.

La peur est le moteur de tout ce phénomène?
À l’adolescence, le groupe est parcouru par la crainte collective d’être rejeté. Il s’agit d’une peur archaïque d’être banni du genre humain, qui est permanente mais qui n’est pas dite. Le groupe est pratique puisqu’il prend en charge les peurs de ses membres et qu’il leur permet de ne plus s’y confronter. Pourquoi? Parce que le mythe fondateur du groupe est qu’il est homogène. Or, la survenue d’une différence dans l’environnement peut réveiller ces peurs chez les membres. La personne différente va alors devenir un porte-étendard de ces craintes, comme une anomalie qu’il convient d’éradiquer. Le harceleur choisit de l’humilier pour qu’elle soit exclue du groupe et que la peur reste de son côté.

Quel peut être l’impact du harcèlement?

Bien souvent, le harcèlement est quelque chose qui dure dans le temps et cette installation dans le quotidien génère de l’effroi, une frayeur permanente chez la victime qui vient modifier sa biologie. Sous le stress, le système nerveux se met en effet en mode de vigilance, avec pour conséquence un corps plus tendu, crispé, avec les épaules hautes, une posture essentiellement défensive qui n’offre plus de possibilité de riposte.

Voyant cette attitude chez sa victime, le meneur des intimidations est alors conforté dans l’idée qu’il se fait de sa propre puissance de domination, et c’est souvent à ce moment que les violences physiques commencent. Une emprise se met en place et la personne harcelée entre dans une phase de sidération, de découragement, de déception de l’humain. En état de choc, elle n’arrive pas à parler de ce qu’elle vit. Ceci explique notamment pourquoi il est si difficile de raconter ce vécu aux parents.

Avec des effets néfastes sur les performances scolaires?
Si le stress est trop fort, la victime peut souffrir d’insomnies, vivre un sentiment de perte de sens, et un décrochage scolaire est possible. C’est d’ailleurs souvent là que les adultes découvrent le problème s’ils investiguent un peu les choses. Ces attaques répétées peuvent conduire les jeunes harcelés à une déprime peu visible, ou dans un véritable état de dépression, voire au suicide. Ces expériences sont de toute manière traumatiques, et même pour les personnes qui ne vont pas jusque dans ces extrêmes tragiques, les conséquences négatives risquent de peser sur elles toute leur vie.

Lesquelles notamment?
Au-delà du danger de mener une scolarité moins bonne que celle qu’on aurait pu avoir, le harcèlement peut générer une perte de confiance en soi s’il se prolonge, des difficultés à se défendre. Ces vécus rendent souvent plus réservé, avec une tendance à être dans la distance sociale, avec une position d’observateur. C’est véritablement un gâchis car les enfants persécutés sont très souvent des gens gentils, ouverts, sensibles, généreux, intelligents, et ces expériences risquent d’endommager leur grand potentiel social et relationnel. Il s’agit d’un phénomène social ayant des répercussions sur tout le monde.

C’est-à-dire?
On parle très légitimement des impacts sur les personnes harcelées, mais les camarades spectateurs de ces comportements peuvent aussi être marqués durablement en s’identifiant à la victime. Cette situation augmente le risque qu’ils soient à nouveau témoins inactifs de violences à l’âge adulte. Certains vont même à leur tour devenir des harceleurs. Des études montrent en outre que les actes du harceleur ont également des conséquences sur lui. Les anciens persécuteurs sont davantage exposés au risque de consommation de drogue et de violence envers leurs partenaires ou leurs enfants. C’est un schéma violent et destructeur qui peut devenir récurrent.

Comment juguler ce phénomène si fréquent?

Il existe aujourd’hui des méthodes relationnelles dites non blâmantes, à appliquer au sein des établissements. Elles se concrétisent par des cellules, mises en place dans les écoles, vouées à recevoir toute information sur un harcèlement en cours, par exemple sur signalement d’un témoin. La victime désignée par la personne dénonçant les faits est invitée à un entretien pour parler de ce qu’elle vit. Cette démarche lui permet aussi de se sentir écoutée et comprise.

Dans un second temps, ce sont là où les personnes à l’origine du harcèlement sont reçues de façon individuelle et anonyme. L’idée n’est alors pas d’accuser et de faire des reproches, mais d’inviter à parler de l’individu qu’elles intimident, notamment par une question telle que «pourriez-vous me dire ce qui arrive à X, car sa situation me préoccupe beaucoup?» On prie alors le harceleur, toujours en passant sous silence ses actes, d’être attentif au bien-être de sa victime. Le simple fait de lui adresser cette requête réveille, stimule l’empathie chez lui.

Certains meneurs sont dans le déni, mais les suiveurs ou les témoins se mettent parfois à protéger le harcelé et prendre position contre le harceleur, ce qui rend sa tâche plus compliquée, car cela l’isole dans sa violence. Ces cellules fonctionnent souvent très bien et sont de plus en plus utilisées en France, au Royaume-Uni, en Scandinavie et en Australie (ndlr: ces TEPP, pour technique d’entretien de préoccupation partagée, sont aussi utilisées dans certains établissements suisses depuis quelques années).

Pourquoi ne met-on pas tout de suite l’intimidateur face à ses agissements lors de ces entretiens?
On sait maintenant que les interventions les plus directes ne sont pas celles qui fonctionnent le mieux. L’approche frontale, punitive, comme méthode de prévention n’est clairement pas la meilleure. Cela vaut aussi pour les préventions contre le harcèlement qui peuvent être organisées dans les classes, par exemple en invitant d’anciennes victimes de harcèlement ou d’anciens harceleurs à raconter leur expérience. La violence contenue dans ces récits bloque les jeunes.

Il est beaucoup plus productif d’animer des débats en classe sur la violence en général, dans les relations ou dans le monde, à travers des discussions sur ce qu’il se passe dans la vie, pas spécifiquement sur les violences vécues lors du harcèlement, afin d’aborder les notions d’empathie et de consentement.

Les chiffres noirs du harcèlement

15%, soit la proportion de jeunes qui font l’objet de brimades lors de leur parcours scolaire, selon une enquête de Pisa en Suisse. Un chiffre en augmentation, puisqu’ils étaient 13% en 2018 et 11% en 2015. Les spécialistes appellent malheureusement à ne pas voir ces statistiques comme reflet fidèle de la réalité puisque de nombreuses victimes ne se signalent pas.

7%, des jeunes subissent des violences physiques de la part d’autres adolescents.

2 à 3, c’est le nombre d’enfants par classe, qui seraient victimes de harcèlement.

Entre 3 et 4 jeunes se suicident chaque année. Deux tiers des ados harcelés confient avoir envisagé de mettre fin à leurs jours, selon le film Souffre-Douleur d’Andréa Rowlins, diffusé sur France2.

2 novembre, journée internationale contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire.

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