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Témoignages: Des pères racontent l'affection au masculin

Témoignages: Des pères racontent l'affection au masculin

«Les petit-e-s élevé-e-s dans des constellations familiales différentes du modèle traditionnel s’en sortent bien.» - Philip Jaffé, professeur au Centre interfacultaire en droits de l’enfant

© ANNE-LAURE LECHAT - UNSPLASH/MOURZIAL ZATIVA

Elle est révolue, l’époque où les pères de famille avaient comme unique mission de ramener l’argent à la maison, laissant leurs épouses gérer tout ce qui se rapporte aux enfants. «La place de l’homme dans la société a évolué. Depuis les années 1990, la place de l’affectif a pris de l’ampleur et les pères sont davantage impliqués au niveau relationnel et affectif au sein de la famille, explique Philip Jaffé, professeur au Centre interfacultaire en droits de l’enfant. La fluidité du genre actuelle favorise des relations moins genrées, loin des stéréotypes et cela est bénéfique pour l’enfant.»

Faut-il pour autant une figure masculine et une féminine pour garantir un développement idéal aux plus jeunes?

Philip Jaffé nuance: «Pour un-e enfant, ce qui est important, c’est d’être entouré-e d’un-e adulte pourvoyeur-eue de sécurité, qui lui voue un amour inconditionnel, qui lui témoigne de l’affection et qui soit suffisamment présent-e à ses côtés.»

«Certes, les femmes sont plus investies tactilement, mais le bien-être de l’enfant ne dépend pas uniquement de cela. Par ailleurs, les petit-e-s élevé-e-s dans des constellations familiales différentes du modèle traditionnel s’en sortent bien, ils et elles font preuve de résilience et la diversité des figures parentales est un gage de bon développement.»

Les jeunes grandissent bien s’ils et elles se sentent aimé-e-s, respecté-e-s et si les adultes qui s’occupent d’eux et elles ne se limitent pas aux soins essentiels mais s’intéressent véritablement à leur «narcissisme» et passent du temps avec eux et elles. Et Philip Jaffé de conclure: «Un parent qui fait de son mieux ne peut pas mal faire!

Jérôme Carrel: «J’ai de la peine à imaginer ce que serait mon quotidien sans Toma»

Témoignages: Des pères racontent l'affection au masculin
Jérôme Carrel, 42 ans, vit seul avec son fils de 4 ans. La mère, rencontrée lors d’un voyage, a préféré rentrer dans son pays. © ANNE-LAURE LECHAT

Lorsque Jérôme Carrel pousse le portail de la cour de la garderie, Toma lui saute au cou. Le bambin de 4 ans semble minuscule dans les bras de son père, grand et d’allure sportive. Après avoir récupéré les affaires du petit, le duo se dirige vers la place de jeux. Toma grimpe dans la nacelle de la grande balançoire et demande à son père de le pousser toujours plus haut. Il rit aux éclats tout en s’accrochant au cordage. Son pantalon en velours côtelé, troué au genou, trahit son tempérament aventurier. «Heureusement, la crèche a changé le revêtement de la cour. Par le passé, un pantalon neuf ne restait intact qu’une journée», s’amuse le quadragénaire.

Père et fils ont une tendre complicité. Ce n’était pourtant pas gagné, car les débuts ont été difficiles pour l’un comme pour l’autre. «J’ai rencontré la maman de Toma lors d’un voyage au Laos. J’y suis retourné pour la revoir. Notre relation était heureuse et facile. J’étais clair sur le fait que je ne voulais pas d’enfant.»

«Un jour, de retour en Suisse, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte. Ça a été un choc. Je pouvais tourner la page et ignorer cet enfant, envoyer de l’argent ou prendre un vrai rôle de papa.»

«Après réflexion, et à la lumière de mon histoire familiale, je n’ai pas pu me résoudre à abandonner mon fils et j’ai décidé de tout faire pour lui offrir une vie heureuse. Je n’aurais pas pu vivre en me mentant à moi-même.»

Jérôme Carrel arrive au Laos pour la naissance de Toma, né le 7 octobre 2019. Il y retourne à Noël, passe cinq mois sur place, bloqué par le Covid. Enfin, après de multiples démarches administratives, il réussit à faire venir mère et fils en Suisse. «Elle ne pouvait rester que trois mois. J’avais en tête que nous alternerions les séjours entre ici et le Laos.

Malheureusement, j’ai découvert une femme très différente de celle que j’avais connue là-bas. Elle ne s’occupait pas de Toma. J’ai alors décidé de le garder auprès de moi. J’ai demandé sa garde exclusive et sa maman a accepté. Elle est repartie dans son pays. Toma lui parle régulièrement, lorsqu’il en fait la demande.»

Jérôme et Toma ont leurs rituels: le jeudi, c’est resto à deux et une fois par mois, c’est soirée fondue. Le quadragénaire fait tout pour offrir à son fils une vie harmonieuse et lui donner toutes les clés pour être heureux.

«Ma vie ne ressemble pas du tout à ce que j’avais prévu, mais aujourd’hui, je ne peux l’envisager sans Toma. C’est un enfant épatant et facile.»

Toma se réjouit de partir trois semaines au Sri Lanka avec son père pendant les vacances. «Je veux monter sur un éléphant», affirme le bambin haut comme trois pommes. Quand on lui fait remarquer que ce type d’animal est très grand, le garçon ne se laisse pas démonter: «Un petit, alors!»

Laurent Leuba: «Mes enfants ont dû devenir autonomes très vite, car je n’arrivais pas à tout faire»

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Laurent Leuba a la garde de ses trois enfants. Les adolescent-e-s, débrouillard-e-s et complices, apprécient la liberté dont ils et elle jouissent. © ANNE-LAURE LECHAT

Lorsque l’on pénètre dans la grande salle de séjour de l’appartement de Laurent Leuba, ce qui frappe c’est le calme qui y règne malgré la présence de cinq enfants. En cet après-midi de vacances scolaires, Carmelo, Dany, Lucilia sont assis à la grande table, tandis qu’Adèle et Anne-Louise sont installées sur le canapé d’angle. «Adèle est la fille de ma compagne, elle a passé la semaine de vacances avec nous. Anne-Louise vient d’Allemagne, elle est là pour un échange linguistique», explique Laurent Leuba, 47 ans. La joyeuse équipe a profité des jours de congé pour montrer à la jeune Allemande les coins typiques de la région: Musée Chaplin, château de Chillon, entre autres.

En cet après-midi pluvieux, Lucilia, 12 ans, s’attelle à éplucher une montagne de châtaignes. La cadette adore faire de la pâtisserie, chaque occasion est bonne pour tester de nouvelles recettes. «Parfois, elles sont hasardeuses, mais désormais, ce qu’elle prépare est plus souvent bon que mauvais», explique Carmelo, 15 ans. L’aîné n’a pas la langue dans sa poche. Passionné de mécanique, il retape de vieux vélomoteurs dans la cave. «J’aimerais les revendre pour pouvoir m’acheter une moto.»

Dany, 13 ans, aime inventer des dessins techniques de véhicules et bénéficie d’un programme de l’école pour travailler en entreprise les mercredis après-midi. Lorsque l’on évoque leur situation familiale, Carmelo explique:

«Je préfère vivre chez mon père. Depuis qu’il a notre garde, les choses se sont calmées pour tout le monde.»

Laurent Leuba a obtenu la garde de ses trois enfants il y a plus de six ans. Travaillant à plein temps, il a fait en sorte qu’ils gèrent leurs devoirs et la préparation de leurs affaires tout seuls. «Ils ont dû devenir autonomes très vite, car je n’arrivais pas à tout faire. Le matin, je prépare leur repas de midi qu’ils mangent à la maison. L’après-midi, ils se débrouillent jusqu’à mon retour du travail.» Cette situation a permis aux adolescent-e-s de jouir de plus de libertés que les autres jeunes du quartier et cela dans un cadre de respect et confiance réciproques basé sur une bonne communication avec leur père. Lucilia et Dany admettent qu’il et elle aimeraient voir plus souvent leur mère, mais savent que son état de santé ne le permet pas.

Sebastian Woerle-Lang et Hans-Juergen Woerle: «Nos fils sont des enfants comme les autres: très vivants et un peu filous!»

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Sebastian Woerle-Lang et Hans-Juergen Woerle élèvent leurs jumeaux en Lavaux. Le couple, originaire d’Allemagne, s’est installé en Suisse un an après la naissance des enfants. © ANNE-LAURE LECHAT

À la belle saison, Leopold et Maximilian Woerle sont souvent à la plage de Cully, sur leur paddle. Ils sont suivis de près par l’un de leurs pères. En semaine, c’est plus souvent Sebastian Woerle-Lang qui pagaie à leurs côtés. Ce quadragénaire, originaire de Munich, a cessé de travailler à la naissance des jumeaux. «Nous sommes conscients d’avoir de la chance d’être nés en Europe. Nous voulions rendre quelque chose à la prochaine génération. Nous aurions considéré l’adoption, si cela avait été possible pour un couple gay», explique-t-il.

«Dans ma jeunesse, en tant qu’homosexuel, je n’aurais même pas envisagé d’être père un jour.»

Son mari, Hans-Juergen Woerle, admet avoir pensé la même chose. Comme le meilleur ami de Sebastian a fait appel à une mère porteuse, l’idée fait son chemin dans la tête du couple. Marié en 2012, il entame les démarches aux États-Unis en 2014. Les jumeaux naissent en 2016. Les deux hommes sont reconnus officiellement comme les pères de leurs enfants.

La famille fonctionne comme toutes les autres. Il faut se battre pour les devoirs et c’est souvent Sebastian qui s’y colle. Hans-Juergen admet: «J’ai tendance à être trop permissif, car je ne suis pas avec les garçons toute la journée.» Comme dans beaucoup de foyers, le désaccord entre les parents sur le temps passé devant la télévision est une constante. «Les jumeaux savent très bien profiter de nos différences pour demander des choses», s’amuse Sebastian.

Le samedi de notre rencontre, Maximilian et Leopold étaient étendus sur le canapé avec Daddy (le nom qu’ils donnent à Hans-Juergen) et regardaient un film. Ils se moquent gentiment de son français. «Avoir deux papas, c’est super cool. On fait plein d’activités», explique Leopold. Le garçon de 7 ans rentre toujours le dernier à la maison, trop occupé à discuter avec ses copains. Maximilian est plus timide, mais aussi plus filou. Les frères se blottissent dans les bras de leurs pères et les taquinent. Ils se jettent avec appétit sur le goûter. Il faut dire que la matinée a été sportive, Max participait à un tournoi de foot, alors que Leo avait rugby. Très active, la famille se réjouit de l’hiver qui arrive pour skier ensemble.

La justice évolue, mais lentement

Les pères sont encore trop souvent le parent pauvre de la garde des enfants. En cas de séparation de leurs parents, la garde des enfants relève de l’appréciation de la situation par les juges. «Elle va beaucoup dépendre de la culture du canton et de la personnalité du juge. En effet, dans le Code civil, il n’y a aucun texte qui définit ce qu’est le bien des enfants. Quel que soit le sexe du parent, chacun devrait avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs envers sa progéniture», explique Anne Reiser, avocate genevoise spécialisée dans le droit de la famille.

«Il faut éviter de demander aux pères d’agir comme des mères. Chaque parent exerce son rôle différemment.»

Les choses commencent à bouger. Une motion a été déposée en 2022 au parlement pour que la garde alternée devienne la règle et elle a été acceptée par le National. Un postulat pour la création d’un Tribunal de la famille, composé de juges spécialisés dans ce domaine, est en cours de discussion au sein du Conseil fédéral. «Pour être efficace, un tel tribunal doit être indépendant et ne pas fonctionner de la même manière que les autres instances juridiques. Il faudrait y entendre l’avis de l’entourage des enfants, de médecins, de proches de la famille, entre autres», explique Pascal Gysel, responsable de la communication du Mouvement de la condition paternelle Vaud.

Quant à Oliver Hunziker, président de GeCoBi, l’organisation faîtière pour la parentalité partagée, il explique: «Aujourd’hui, les chances d’obtenir une garde partagée pour un père qui le souhaite ont augmenté. Les femmes veulent aussi garder un travail. Tout le monde y gagne».

«Un congé parental est indispensable pour que les pères puissent s’impliquer davantage dès la naissance des enfants.»

«Ils auraient ainsi les mêmes chances que la mère de développer une relation avec eux et de la garder en cas de séparation.»

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